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Spécial 40ème jour du décès d'Abderrahmane El Youssoufi : L'ascète au grand cœur


Hassan Bentaleb
Mercredi 8 Juillet 2020

Spécial 40ème jour du décès d'Abderrahmane El Youssoufi : L'ascète au grand cœur
La chercheuse Magdaléna Hadjiisky soutient que « la  perte d’un « proche » renvoie chacun à un dialogue avec lui-même, avec ce que signifie pour lui le disparu. Les deuils « nationaux » n’échappent sans doute pas à ce mécanisme, au moins dans certains contextes et à certaines conditions ». 
La disparition récente de Abderrahmane El Youssoufi s’inscrit parfaitement dans  cette perspective. En effet, et dès l’annonce de son décès, des milliers de témoins ont rendu compte de la proximité qu'ils ressentaient avec le défunt, qu'ils considéraient comme un parent ou un proche. Et ce n’est pas tant le premier ministre du gouvernement d’alternance ou le leader nationaliste, qu’El Youssoufi, l’homme qui a été célébré. 
Pour certains, sa figure renvoie à l’engagement politique sincère compris ici non au sens de l’accession au pouvoir gouvernant, mais au sens d’une implication personnelle dans des mobilisations collectives se revendiquant d’enjeux concernant la vie en société. Pour d’autres, El Youssoufi a été l’archétype de l’homme modeste, digne et intègre. 
Son engagement politique  fut constant et intense depuis les années 1940. Il a été de tous les combats  contre le colonialisme  et le despotisme, en tant que meneur, formateur d'ouvriers, porte-parole et avocat de la résistance et  défenseur des droits de l’Homme fortement imprégné des principes et de l’éthique de la gauche socialiste et démocrate cherchant à instaurer une société moderniste basée sur la démocratisation des institutions et la redistribution  des richesses.
Lors de son long et riche parcours politique, El Youssoufi a réussi à s’imposer comme  un personnage politique non « politicien », comme un homme de la gauche progressiste, un leader nationaliste et un homme d’Etat charismatique. Ses adversaires comme ses amis sont tous unanimes à voir en lui l'homme discret qui aime travailler dans le silence, qui avait un grand sens de l’écoute et de la communication avec lequel il a réussi à tisser un réseau de relations et de contacts au-delà des frontières de son camps politique. 
Abderrahmane El Youssoufi a été aussi un homme de dialogue et de débat et un farouche adversaire de la violence, même contre ses pires ennemis envers lesquels il n’a jamais éprouvé aucune haine ni rancune.  
En 1998, il  s’est imposé comme « l’homme de la situation » qui répondait aux attentes de l’incarnation du changement. 
Son accession à la Primature a symbolisé, aux yeux de ses partisans – mais aussi à ceux de tous les acteurs politiques – l’avènement d’une nouvelle étape  politique. 
Son personnage a suffi à incarner la rupture, alors même que les ressorts institutionnels du régime étaient pour l’essentiel préservés. Il a été perçu par  bon nombre de Marocains comme l’héritier d’une lignée d’honorables prédécesseurs (Abdallah Ibrahim, Ben Barka, Bouabid…) et comme une personnalité consensuelle fortement respectée et  capable de créer l’unanimité même parmi ses opposants. Pourtant, l’engouement d’une partie non négligeable de la population marocaine pour  El Youssoufi ne trouve pas son explication que dans les seules qualités personnelles de ce dernier, sa finesse d’analyse, son ouverture d’esprit ou sa modestie sont proverbiales. « Une personnalité politique, aussi « extraordinaire » soit-elle, ne se forge pas seule, mais en lien avec les attentes des collectifs qui la reconnaissent comme telle », précise Magdaléna Hadjiisky .
Ses proches se rappellent d’un Premier ministre, patient et sage, doté d’une grande rigueur morale, toujours à l’écoute, qui se place au-dessus des conflits et qui est très réticent face aux tentations et incitations du pouvoir et de l’autorité. Sa devise a toujours été « La patrie d’abord ». 
Le diplomate algérien Lakhdar Brahimi n’a pas hésité à le qualifier de « bouddhiste » qui ne s’intéresse pas aux questions mondaines. A rappeler qu’El Youssoufi a décliné le poste de président de l’Instance équité et réconciliation (IER)  et celui d'ambassadeur du Maroc en Algérie.
La rigueur et la fermeté envers lui-même et avec les autres ont été également le trait principal de son personnage en tant que directeur de publication des journaux Al Mouharir, Al Ittihad Al Ichtiraki et Libération. Selon certains journalistes de ces journaux, El Youssoufi était très attaché à l’éthique journalistique et à la rigueur professionnelle. Et même en briguant le poste de Premier ministre, il n’a jamais violé ces principes. A l’inverse, Il a été un farouche défenseur de la discipline, de la liberté d’expression, de la responsabilité et de la crédibilité. Pour les journalistes, il a toujours été un homme de dialogue qui n’a jamais censuré ne serait-ce qu'un article. 
Abderrahmane El Youssoufi a toujours été un homme modeste, serviable et digne. Après avoir quitté son poste, il s’est installé dans sa maison de 70 m et a refusé de se faire loger dans une villa. Il a même refusé de bénéficier des privilèges que lui accorde son statut d’ancien Premier ministre. Il a passé son temps à lire, à suivre l’actualité du pays, à donner son avis à qui le demandait et en toute discrétion. De fait, Abderrahmane El Youssoufi n’a jamais quitté le champ politique. Il a été l’absent-présent malgré la fragilité de son état de santé qui a fini par l'emporter définitivement un certain jour de mai en toute discrétion.  Certains de ses amis proches estiment que sa mise en terre  a cadré avec sa nature profonde.


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