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Aussi, mon texte peut-il, légitimement, paraître hésitant. Il est néanmoins la reconnaissance sincère du rôle et de l’apport de Si Abderrahmane El Youssoufi dans l’édification, toujours en cours, de l’Etat moderne marocain.
Les contributeurs à cet hommage ne manqueront certainement pas d’évoquer la riche biographie de Si Abderrahmane : sa naissance à la veille de la guerre du Rif, ses combats en tant qu’étudiant à Marrakech puis à Rabat, son adhésion au Parti de l’Istiqlal en 1943 où il se lie d’amitié avec Mehdi Ben Barka, son premier séjour en France de 1949 à 1952 durant lequel il prépara un DES en droit et sciences politiques et œuvra pour l’organisation de la classe ouvrière marocaine en France, son parcours d’avocat, sa participation au mouvement de résistance et de libération nationale, son rôle dans la fondation de l’UNFP, ses exils successifs, son retour au Maroc après la grâce Royale de 1980, sa charge de Premier secrétaire de l’USFP, son œuvre à la Primature... En réalité, on ne peut absolument pas plonger dans l’histoire marocaine contemporaine sans parler de Si Abderrahmane El Youssoufi tant il en était un acteur agissant et un témoin averti.
Dans ces « Leçons sur la philosophie de l’histoire », Hegel affirme que « rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion ».
Cette affirmation sied à merveille au parcours de Si Abderrahmane El Youssoufi qui a non seulement mené son combat avec ferveur, mais, aussi, avec de la constance dans l’engagement et une fidélité unique.
Mon propos s’efforcera, donc, de mettre en exergue la passion qui a animé le cheminement politique de Si Abderrahmane El Youssoufi.
Et en matière de passion, on peut se permettre une brève et respectueuse incursion dans sa vie intime pour mettre l’accent sur les soixante et onze ans d’amour rare qu’il a partagé avec son épouse Hélène. La rencontre entre les deux personnages fut fortuite à
Casablanca en 1947. Les deux jeunes amoureux décidèrent alors de jouer ensemble dans une pièce de théâtre célébrant la fin de l’année scolaire. Si Abderrahmane y campait le rôle d’un serveur. Mais ce n’est qu’en 1968 qu’ils décidèrent de convoler en justes noces à la mairie du VIe arrondissement de Paris.
Une union qui ne cessa de s’affermir en dépit de la douleur des épreuves et du fardeau de l’engagement militant.
La passion de Si Abderrahmane El Youssoufi se distingue clairement dans son parcours de vie. Il a défié les prisons du protectorat et les geôles marocaines en 1959 puis en 1963 année durant laquelle il subit d’atroces tortures de la part d’un certain Oufkir à Dar Elmoukri (Rabat).
Cela ne le dissuada nullement de renoncer à ses convictions.
Au contraire, il s’attela à lutter pour la libération du Maroc, à organiser les mouvements étudiants et ouvriers, à construire la gauche marocaine, à soutenir la révolution algérienne, etc. Il y fit état d’un engagement permanent, la marque de fabrique des grands hommes.
Les évènements du 26 mars 1963 puis l’enlèvement et la mise à mort de Mehdi Ben Barka le 29 octobre 1965, incitèrent Si Abderrahmane
El Youssoufi à entamer un exil forcé en France. Le procureur requiert la peine de mort contre lui lors du procès de Marrakech 1969/1975.
Cela n’entama en rien sa volonté de contribuer à l’action politique au Maroc. Il devint, alors, le délégué de l’USFP à l’étranger avant de rentrer au pays en 1980 après la grâce octroyée par le Roi Hassan II.
Les convictions et la sincérité de l’engagement politique de Si Abderrahmane ont fait que ce monsieur n’a tiré aucun profit matériel de ses années de lutte et de labeur. Il a continué à vivre dans son modeste appartement du quartier Bourgogne à Casablanca.
Cela contraste avec la désinvolture de trop nombreux responsables politiques qui, une fois aux manettes, s’activent à assurer leurs arrières en cumulant, souvent dans des conditions obscures, des fortunes injustifiées.
Ceci m’amène à évoquer la légèreté avec laquelle le PJD tente ces jours-ci de masquer les manquements de deux ministres pris en flagrant délit de violation de la loi concernant l’affiliation de leurs employés à la CNSS. Les indulgences émises par le « tribunal ecclésiastique » du parti témoignent du gouffre béant qui sépare ces ersatz d’hommes politiques de quelqu’un de la trempe de Si Abderrahmane El Youssoufi. Mais cette ténébreuse affaire met en lumière, si je peux m’exprimer ainsi, la réalité d’un parti dont le référentiel inavoué n’est pas la loi marocaine mais des règles malléables à souhait puisées hypocritement dans des livres jaunis.
Une tradition communément admise affirme que pour passer à la postérité, la personne doit laisser à sa mort soit un savoir, soit un bien utile, soit une descendance pouvant continuer ses belles œuvres. La vie de Si Abderrahmane est une leçon de vie, un livre à méditer et dont il faut s’en inspirer. Certes, il n’a pas eu une descendance de son propre sang, mais il a agi tout au long de sa vie pour les enfants de notre mère patrie en mettant constamment en avant l’intérêt général.
Et comme tout grand politique, il a su briser les chaînes du dogmatisme pour devenir un homme de compromis sans compromission. Il a, à juste titre, constaté que le Maroc s’achemine du « noir au gris » pour paraphraser le titre d’un ouvrage d’Abraham Serfaty (éd. Syllepse 1998).
Il semble que chaque peuple a les hommes politiques qu’il mérite ! Et un peuple qui a enfanté Mehdi Ben Barka, Omar Benjelloun et Ssi
Abderrahmane El Youssoufi pour ne citer que ses trois illustres personnages, mérite bien des femmes et des hommes politiques à idées opposées certes mais qui ont le sens du devoir, de l’intérêt commun et le respect de la chose publique.
Que la vie, les idées et la modestie de Si Abderrahmane El Youssoufipuissent nous éclairer le chemin. Que la gauche marocaine et en premier lieu socialiste s’en inspire dans sa quête légitime pour gouverner et amener les Marocains vers un lendemain meilleur.
* historien vivant en France