Menace terroriste, trafic et immigration irrégulière, tout cela se vaudrait-il? SelonEmmanuel Macron, il faut intensifier la lutte contre cette forme d’immigration ainsi que contre les réseaux de trafiquants «qui, de plus en plus souvent, sont liés aux réseaux terroristes». Il plaide également pour une refondation «en profondeur» des règles régissant l'espace Schengen de libre circulation en Europe et pour «un plus grand contrôle» des frontières. Et pour joindre l’acte à la parole, le président français a envoyé dernièrement son ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, au Maroc, enAlgérie et en Tunisie afin de présenter aux autorités de ces pays une liste de leurs ressortissants en situation irrégulière et soupçonnés de radicalisation, que la France souhaite expulser. Selon des chiffres du ministère français de l’Intérieurrapportés parl’AFP, la France compte 231 étrangers en situation irrégulière suivis pour "radicalisation", dont une soixantaine de Tunisiens, autant de Marocains et un peu plus d'Algériens, et a fait de leur expulsion une priorité. Gérald Darmanin a évoqué également la relance de la coopération en matière d'éloignement, entravée par la fermeture des frontières en raison de la pandémie de Covid-19, alors que les départs irréguliers ont augmenté depuis le Maghreb. Y a-t-il un lien entre migration et terrorisme, entre lesflux migratoires contemporains et les attentats islamistes, entre les migrants et les djihadistes? Les personnesimpliquées dansles derniers attentats qui ont frappé la France sont-elles que des migrantes? Ont-ellesinfiltré les réseaux migratoires pour les utiliser? Proviennent-elles de milieux immigrés? Jean-Baptiste Meyer, directeur de recherche, laboratoire Population environnement développement, (LPED)soutient dansson article «Le lien entre migration et terrorisme, un tabou à déconstruire, 2016» que les terroristes islamistes en France et en Belgique ne sont généralement pas des migrants.Ilssont essentiellement de nationalité française ou belge. «Le seul migrant intervenant dans les attentats de janvier 2015, par exemple, est au contraire un héros : c’est l’employé qui a sauvé des clients enfermés dansl’Hyper Cacher. Plus tard, des individus venus de Syrie se sont glissés parmi les réfugiés transitant par la Grèce et l’Europe centrale, mais avec des passeportstrafiqués. Par ailleurs, une étude statistique est mobilisée, avec toute la rigueur nécessaire. Elle souligne une corrélation entre les pays receveurs de migrants provenant de zones sensibles et les occurrences de terrorisme chez leurs hôtes. Mais la migration s’avère aussi, de la même façon, être un facteur de réduction proportionnelle de telles violences, par sa propagation d’effets bénéfiques, naturellement pacificateurs», explique-t-il. Et de préciser que sur près de 5 millions de Français de religion musulmane, à peine un millième, soit environ 5000, est répertorié comme djihadiste potentiel ou avéré. Et encore, parmi ces derniers, y en a un certain nombre, probablement plus du quart, qui sont français «de souche». En revanche, Jean-Baptiste Meyer avance que les attentats ont produit des conditions expérimentales contrôlées permettant d’isoler des acteurs et de rendre possible une analyse particulière.«Ils montrentsans équivoque que,s’il y a peu de migrants parmi lesterroristes, ilssont tous en revanche issus de l’immigration. Leur origine géographique ou celle de leurs parents se situe au Maghreb, dans des pays dont ils peuvent avoir gardé la nationalité. Ils revendiquent tous l’islam, d’une façon ou d’une autre. Leur mobilité spatiale est notoire avec des séjours en Europe mais aussi, bien souvent, en Syrie, en Afghanistan, au Pakistan, en Turquie et au Yémen. Les recoupements systématiques de ces quelques variables entre tous ces profils ne sont guère le fruit du hasard. Ils marquent bien des caractéristiques partagées dont il convient de saisirl’incidence surleurs actes », a-t-il observé. Pour comprendre cette relation entre terrorisme et migration, Abdellah Rami, spécialiste des groupes djihadistes, avance une lecture historique. Selon lui, historiquement, l’intégrisme religieux musulman violent a été, à ses débuts, un intégrisme local orienté vers un ennemi proche (les gouvernements). «En d’autres termes, il s’agit d’un intégrisme circonscrit dansl’espace national qui n’avait ni les capacités ni les moyens pour se propager au-delà des frontières nationales. Et il a fallu attendre les années 80, notamment avec le déclenchement de la guerre en Afghanistan pour que ce courant idéologique se répande audelà desfrontières nationales avec une migration massive des moudjahidines, et notamment leurs leaders vers l’Afghanistan. Plusieurs pays arabes ont considéré cette migration collective comme une solution pour contenirles adeptes de ce courant», nous a-t-il expliqué. Et d’ajouter que la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide ont exacerbé cette tendance migratoire notamment avec l’éclatement de nombreux foyers de guerre dans plusieurs zones géographiques (guerre du Golfe I, guerre d’Afghanistan II, guerre d’Algérie, guerre de Bosnie-Herzégovine). «Pendant cette période, plusieurs pays arabes ont ouvert leurs frontières devant les candidats à la migration (les djihadistes), désireux de rejoindre ces zones de conflits, notamment les chefs intégristes. Cette mobilité a eu pour conséquence l’émergence des pôles du salafisme djihadiste en Europe et le déplacement du centre de gravité de ce salafisme du Moyen-Orient vers l’Europe. Une mutation quis’est traduite par l’apparition de réseaux de soutien, d’exportation des armes et d’aide logistique en Europe. Les salafistes ont, en fait, profité de la liberté de circulation et de la complicité de certains gouvernements européens pour propager leurs idées, mobiliser leurs troupes et planifier des actions violentes et cela a duré jusqu’aux attentats du 11 septembre. Rappelons, à ce propos, que le commando terroriste, acteur de l’attentat de 1994 à l'hôtel Asni à Marrakech, était composé de trois ressortissants français d'origine algérienne et marocaine élevés à La cité des 4000 à La Courneuve (Seine Saint-Denis)», nous a-t-il affirmé. Abdellah Rami, comme d’autres chercheurs, pense que la migration se présente comme un élément fondamental de la situation actuelle. Elle permet de mettre en perspective les événements et d’expliquer un peu mieux un présent sidérant. Paraphrasant Jean-Baptiste Meyer, il a ajouté : «La lecture historique montre à quel point la migration a constitué un élément important dansla propagation de l’intégrisme.Et du coup, nous pouvons dire qu’il y a une relation dialectique entre terrorisme et migration. Cette relation est aujourd’hui plus palpable avec la mondialisation qui a donné un coup de fouet à la migration des intégristes en transformant l’intégrisme en un phénomène transnational», a-t-il souligné. Le chercheur estime que les facteurs permettant le développement de l’intégrisme sont plus répandus aujourd’hui en Europe que dans le monde arabe et que le contexte de l’Etat de droit et celui des libertés et des droits de l’Homme permettent une liberté d’action qui n’existe pas dans les pays où il y a un contrôle et une compréhension plus profonde du phénomène intégriste.