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En dépit des dispositions juridiques garantissant la protection des victimes, le fossé entre la loi et son application, conjugué à une certaine pression sociale, demeure un frein majeur au rétablissement des victimes dans leurs droits.
Si la violence conjugale n'est pas un phénomène nouveau, sa pratique étant souvent dissimulée par des représentations sociales qui poussent la victime à se réfugier dans le silence, les textes législatifs censés offrir un cadre protecteur se heurtent à de multiples contraintes en ce qui concerne l'application sur le terrain, notamment dans les cas difficiles à prouver, mettant en évidence la complexité du lien entre le texte juridique, sa mise en œuvre et le contexte social.
Le rapport annuel de la présidence du Ministère public a révélé qu'en 2023, environ 86.000 plaintes liées à la violence à l'égard des femmes ont été enregistrées, précisant que l’époux demeure le principal mis en cause, représentant 51% du total des plaintes contre 44% en 2022.
Dans ce cadre, Brahim Ait Ouarkane, professeur de droit privé, a indiqué que la loi n°103-13 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes représente une avancée dans le système législatif, en ce sens qu'elle a défini les différentes formes de violence et a édicté des dispositions modifiant et complétant plusieurs articles du Code pénal et du Code de procédure pénale.
Au niveau institutionnel, a-t-il ajouté dans une déclaration à la MAP, il a été procédé à la mise en place de mécanismes de prise en charge des femmes victimes de violence, la création de cellules centrales, régionales et locales de prise en charge des victimes au sein des tribunaux et des services de sécurité, en plus de nouvelles mesures de protection telles que l’interdiction d’approcher la victime, l’hébergement et l’orientation vers les services de santé.
De l'autre côté, M. Ait Ouarkane a relevé un écart notable entre les textes de loi et leur application effective, expliquant que pour engager des poursuites contre les auteurs de violence conjugale, le dépôt d'une plainte par la victime reste nécessaire, laquelle peut être amenée à la retirer à cause de pressions sociales ou économiques, faisant en sorte que l'affaire soit classée sans suite.
Le professeur universitaire a également signalé l'absence de délais légaux pour les investigations et le jugement, ce qui entraîne fréquemment des retards dans le traitement des dossiers.
Il a par ailleurs évoqué le manque de structures d’accueil et de soutien psychologique et juridique qui dissuade nombre de victimes de dénoncer les violences subies, soulignant que la pression familiale et sociale reste un facteur déterminant qui pousse de nombreuses femmes à retirer leurs plaintes. De ce fait, beaucoup de cas de violence sont passés sous silence, a-t-il fait remarquer.
Dans le même ordre d'idées, Mohssine Benzakour, professeur de psychologie sociale, a indiqué que certaines traditions sociales continuent de nourrir, même indirectement, une culture justifiant la violence en entérinant des concepts erronés tels que "l’obéissance absolue", "l’amour possessif" ou encore l’acceptation par les femmes de la violence comme un comportement normal.
Ces représentations, bien qu’en recul, demeurent ancrées dans l’imaginaire collectif et contribuent à banaliser la violence au sein du couple, surtout lorsqu’elles reposent sur des interprétations culturelles ou religieuses biaisées conférant à la violence une forme de légitimité sociale.
Le spécialiste a également évoqué la culture du silence et la peur de la stigmatisation, notant que de nombreuses familles hésitent à dénoncer la violence conjugale par "honte", transformant ainsi ce silence en une forme de complicité involontaire avec l’agresseur. En ce sens, la dénonciation, qui constitue une étape essentielle vers la justice, est souvent perçue comme une menace à la stabilité familiale, poussant de nombreuses femmes à endurer la violence comme une fatalité, a-t-il relevé.
M. Benzakour n'a pas manqué de rappeler la responsabilité des institutions sociales et médiatiques qui contribuent, sciemment ou non, à la reproduction des stéréotypes légitimant la violence, notamment à travers certaines productions cinématographiques et publicitaires qui véhiculent une image peu valorisante des femmes et consacrent les rapports de domination plutôt que ceux d’égalité.
Cette dérive, a-t-il estimé, transforme le mariage en un espace de reproduction des modèles de domination, au lieu d’en faire un cadre de respect et de complémentarité, consolidant ainsi une perception déformée de la relation conjugale.
De son côté, la présidente de l’Association Tahadi pour l'égalité et la citoyenneté, Bouchra Abdou, s'est attardée sur la problématique de la violence psychologique, un type d’abus souvent difficile à prouver où la charge de la preuve repose sur la victime.
Démunie face à l'insuffisance des centres d’accueil et au manque d’autonomie financière, la femme se trouve incapable de quitter le foyer et d'échapper à l'engrenage de la violence, notamment lorsqu’elle a des enfants à charge, a déploré Mme Abdou, ajoutant que face à cette situation de précarité, nombre de victimes sont condamnées au silence par peur de l’inconnu et faute de structures d’accompagnement efficaces.
Après avoir mis en exergue le rôle des acteurs de la société civile dans l’accompagnement psychologique, juridique et la sensibilisation, la militante associative a affirmé que ces efforts se heurtent à l’absence de solutions immédiates et globales et à la faible coordination avec les institutions compétentes, ce qui souligne la nécessité de renforcer le cadre légal et d'assurer une protection effective des victimes contre toutes les formes de violence conjugale.
Par Aicha El Abbadi (MAP)










