Demain, un Marocain sur quatre aura plus de 60 ans. Sommes-nous prêts ?
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En un demi-siècle, le nombre de Marocains âgés de 60 ans et plus a quadruplé, passant d’un million en 1970 à 4,5 millions en 2022. Et la vague grise ne fait que commencer. Les projections du Haut-Commissariat au plan sont sans équivoque : à l’horizon 2050, le pays comptera dix millions de personnes âgées, soit près d’un quart de sa population. Cette transformation démographique, fruit d’une espérance de vie désormais proche de 77 ans, est une victoire sanitaire et sociale, mais elle porte en elle un défi immense.
Le vieillissement n’est plus un horizon lointain, mais une réalité pressante qui appelle une réponse nationale d’envergureCar derrière l’allongement de l’espérance de vie se cachent des fractures profondes. Les femmes, d’abord, en sont les premières victimes. Elles vivent plus longtemps que les hommes, mais bien souvent dans des conditions plus précaires. La moitié d’entre elles connaissent le veuvage, et une sur huit finit ses jours seule, sans conjoint ni soutien proche.
Leur participation historiquement faible au marché du travail, leurs carrières souvent invisibles mais essentielles dans la sphère domestique, les privent massivement de pensions de retraite : seules 15,8% d’entre elles en bénéficient, contre 41,1% des hommes. Le reste dépend de la solidarité familiale, un filet de sécurité qui s’effrite à mesure que la société se transforme.
A cette fragilité économique s’ajoute la vulnérabilité sanitaire. Plus de 73% des femmes âgées souffrent d’une maladie chronique, souvent sans couverture médicale. Neuf sur dix sont analphabètes. Et une sur trois déclare avoir subi un acte de violence, principalement psychologique ou physique. Ces chiffres ne sont pas de simples statistiques, ils révèlent le visage d’une vieillesse trop souvent synonyme d’isolement et d’invisibilité.
Mais la situation des retraités dans leur ensemble illustre une autre facette de la crise. Ils ont construit le Maroc moderne, porté ses administrations, ses entreprises et ses services publics, avant de céder la place aux générations montantes. Pourtant, leur quotidien est marqué par l’amertume d’un combat inachevé. Depuis un quart de siècle, les pensions de retraite sont figées, comme si le temps s’était arrêté pour eux, tandis que les prix des denrées et les frais de santé ne cessent de grimper.
En septembre 2022, la maigre revalorisation décidée par la Caisse nationale de sécurité sociale – une hausse plafonnée à 210 dirhams par pension – a été ressentie comme une insulte plus que comme un geste de reconnaissance. Beaucoup de retraités y ont vu le symbole d’une indifférence persistante. Le Réseau marocain des organismes de retraités, alors mobilisé, dénonçait une exclusion systématique et une gestion opaque des Caisses de retraite. Les accusations allaient jusqu’à pointer des prélèvements abusifs et un manque criant de transparence.
Cette colère, même si la mobilisation de l’époque s’est essoufflée, reste vive. Elle rappelle que la question du vieillissement ne peut être réduite à une série d’indicateurs démographiques. C’est une question de dignité, de justice et de reconnaissance. Comment accepter qu’après avoir payé leurs impôts toute leur vie active, les retraités continuent d’être ponctionnés fiscalement sur leurs pensions, parfois dérisoires? Comment comprendre que les femmes âgées, majoritaires parmi cette population, soient livrées à une double peine : pauvreté matérielle et solitude affective?
L’avenir du Maroc se joue aussi dans la manière dont il traitera ses aînés. Les projections du HCP annoncent une société où un citoyen sur quatre sera âgé de 60 ans ou plus. Si rien ne change, ce vieillissement rapide risque d’aggraver les inégalités, de fragiliser la cohésion sociale et de transformer les solidarités familiales traditionnelles en charges insupportables.
La Journée internationale des personnes âgées n’est donc pas une simple commémoration.
C’est un rappel pressant. Le Maroc doit choisir : honorer ses seniors, reconnaître leur contribution et bâtir des politiques ambitieuses pour leur garantir une vieillesse digne, ou continuer à détourner le regard, au risque d’un choc social irréversible.
Il ne s’agit pas seulement de revoir les pensions, d’améliorer la couverture médicale ou de renforcer les services sociaux, mais aussi de repenser le rôle des personnes âgées dans la société. Les femmes âgées ne sont pas seulement des victimes de l’isolement ou de la précarité. Elles portent aussi une résilience et une sagesse essentielles pour relever les défis du monde.
En vérité, la question est simple, presque brutale : quelle société voulons-nous être? Une société qui relègue ses anciens dans l’ombre, ou une société qui les considère comme des piliers vivants de son identité et de son avenir? Le Maroc de demain se mesure déjà aujourd’hui, dans le regard qu’il porte à celles et ceux qui ont bâti le pays.
Mehdi Ouassat