Migration subsaharienne au Maroc, entre intégration, protection et défis des droits humains

Dans une conférence organisée par l’OMDH-Casablanca en partenariat avec Migrapress au Complexe culturel Sidi Belyout


Elias Rayane
Jeudi 25 Décembre 2025

Migration subsaharienne au Maroc, entre intégration, protection et défis des droits humains
A l’occasion de la Journée mondiale des droits de l’Homme, la section de Casablanca de l’Organisation marocaine des droits humains (OMDH) en partenariat avec Migrapress a récemment organisé une table ronde au Complexe culturel Sidi Belyout autour du thème «La migration subsaharienne au Maroc : entre enjeux de l’intégration et garanties de protection».

Cette rencontre, modérée avec brio par Yassine Belkébir, ingénieur et membre de l’OMDH-Casablanca, s’inscrit dans un contexte régional et international marqué par la multiplication des conflits, des crises économiques et climatiques, et l’augmentation des flux migratoires vers les pays d’accueil, dont le Maroc.

S’appuyant sur sa référence universelle et indivisible des droits humains, l’OMDH a rappelé que les questions migratoires et d’asile ne sauraient être réduites à des enjeux sécuritaires ou conjoncturels. Elles constituent avant tout des problématiques humaines et juridiques, nécessitant des politiques publiques fondées sur la dignité, la non-discrimination et le respect des engagements internationaux du Royaume, ainsi que des dispositions de la Constitution de 2011 relatives aux droits des étrangers et à la lutte contre le racisme et la haine.

Migration subsaharienne au Maroc, entre intégration, protection et défis des droits humains
Gueck Beyeth attire l’attention sur les difficultés quotidiennes
auxquelles font face les migrants 
et les réfugiés
Dans une allocution prononcée par Youssef Melliani, l’OMDH a dressé un état des lieux préoccupant de la situation migratoire en 2025. Selon les données issues de son suivi de terrain, environ 6.000 migrants et demandeurs d’asile sont entrés au Maroc, principalement via les frontières orientales. Les centres d’assistance juridique et administrative de l’OMDH, dont celui de Casablanca, ont accueilli plus de 5.000 personnes de différentes nationalités africaines, avec une prédominance de ressortissants soudanais représentant près de 75% des cas traités. La présence accrue de femmes et d’enfants non accompagnés a également suscité une vive inquiétude.

Tout en saluant les avancées de la Stratégie nationale de l’immigration et de l’asile lancée en 2014, l’OMDH estime qu’après plus d’une décennie de mise en œuvre, cette stratégie nécessite une évaluation approfondie et courageuse. Elle pointe notamment les limites de son déploiement territorial, le manque de coordination institutionnelle et l’absence de réformes législatives majeures, en particulier le retard dans l’adoption de la loi sur l’asile et la non-révision de la loi relative à l’entrée et au séjour des étrangers, afin de l’aligner sur les normes internationales.

Dans ce contexte, l’OMDH considère que l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations 2025 au Maroc doit être perçue non seulement comme un événement sportif, mais aussi comme une opportunité politique, éthique et symbolique pour réaffirmer l’engagement du pays en faveur des droits humains, renforcer la solidarité africaine et consolider l’image d’un Maroc ouvert et respectueux de la dignité de toutes les personnes vivant sur son territoire.

En conclusion, la section de Casablanca de l’OMDH a insisté sur le fait que la migration ne constitue pas une menace, mais une responsabilité collective et une opportunité pour promouvoir la solidarité africaine. Elle a réaffirmé sa détermination à poursuivre ses actions de veille, de plaidoyer et de défense des droits de tous les migrants, sans distinction, en faveur d’un Maroc plaçant la dignité humaine au cœur de ses politiques publiques.

 De son côté, Gueck Beyeth, président de l’association Bank de Solidarité, a attiré l’attention sur les difficultés quotidiennes auxquelles font face les migrants et les réfugiés, tout en reconnaissant les efforts consentis par le Maroc, notamment en matière d’accès à l’éducation pour les enfants migrants et de protection sociale. Il a, cependant, dénoncé certaines formes d’exploitation, en particulier à l’encontre des femmes migrantes, appelant à des politiques plus inclusives, sensibles au genre et mieux adaptées aux réalités du terrain.

La question de l’intégration a également été au cœur des débats. Plusieurs intervenants ont rappelé que le Maroc a fait le choix d’une approche humaniste fondée sur la solidarité et le respect de la dignité humaine, mais l’absence d’une vision claire et structurée de l’intégration demeure un obstacle majeur à l’insertion pleine et entière des migrants dans la société.

A rappeler que l’association Bank de Solidarité œuvre pour aider les personnes vulnérables, migrants, réfugiés et laissés-pour-compte sans distinction d’origine, de race, de sexe, de religion ou d’opinion. Elle agit pour la réinsertion sociale et économique, la lutte contre le racisme, l’accès à la santé et l’aide humanitaire (nourriture, soins, vêtements, abris) et organise chaque année des caravanes médicales au Maroc et à l’étranger (plus de 2000 consultations par an), ainsi que la Journée des médecins de la diaspora, en partenariat avec des institutions publiques et diplomatiques.

Migration subsaharienne au Maroc, entre intégration, protection et défis des droits humains
Moulay Said Alaoui
souligne que la loi 02-03
demeure marquée par une approche parfois plus
répressive que strictement fondée sur les droits humains
Pour sa part, Moulay Said Alaoui, avocat et membre de l’OMDH-Casablanca, a axé son intervention sur l’approche juridique de la question de la migration, de l’asile et du statut des étrangers au Maroc. Il a d’abord rappelé que cette problématique s’inscrit dans un double cadre : celui des engagements internationaux du Royaume et celui de la législation nationale. Le Maroc, en tant qu’acteur engagé sur la scène internationale, est tenu de respecter un ensemble de conventions et d’accords internationaux relatifs aux droits des réfugiés, des demandeurs d’asile et des étrangers en général.

Il a ensuite mis l’accent sur la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, soulignant qu’à l’origine, son champ d’application était limité géographiquement, notamment aux pays européens. Cette restriction s’expliquait par le contexte de l’après-guerre. Toutefois, l’adoption du Protocole de 1967 a permis d’élargir la portée géographique et temporelle de la Convention, en tenant compte des nouvelles réalités internationales, marquées par la décolonisation et l’émergence de nouveaux flux de réfugiés et de migrants en provenance d’Afrique et d’Asie.

Moulay Said Alaoui a également rappelé que le Maroc a ratifié plusieurs conventions internationales en matière de droits humains, ce qui renforce sa crédibilité et sa présence sur le plan international. Ces engagements impliquent pour l’Etat marocain une obligation de mise en conformité de sa législation interne avec les normes internationales ratifiées. Cette exigence de concordance entre le droit national et le droit international constitue un pilier essentiel de la protection des droits des migrants et des réfugiés.

Dans ce sens, l’intervenant a souligné l’importance de la Constitution de 2011, qui consacre la primauté des conventions internationales dûment ratifiées par le Maroc sur le droit interne. Il a rappelé que plusieurs dispositions constitutionnelles garantissent les droits fondamentaux des étrangers résidant légalement sur le territoire national. Il a également évoqué le rôle du bureau du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) au Maroc, reconnu dans le cadre d’un dispositif institutionnel en coordination avec les autorités marocaines, afin d’assurer le traitement des demandes d’asile selon des procédures encadrées.

Enfin, Moulay Said Alaoui a abordé la loi 02-03 relative à l’entrée et au séjour des étrangers au Maroc, tout en reconnaissant qu’elle comporte des aspects positifs en matière de protection des droits des étrangers. Néanmoins, il a souligné que cette loi demeure marquée par une approche parfois plus répressive que strictement fondée sur les droits humains. Malgré les avancées notables réalisées par le Maroc en matière de migration, d’asile et de séjour des étrangers, il a affirmé que les acteurs des droits humains aspirent à aller plus loin, afin de renforcer durablement la culture des droits humains et la protection effective des migrants et des réfugiés au Royaume.

Migration subsaharienne au Maroc, entre intégration, protection et défis des droits humains
Majdouline Laaouina
assure que la population étrangère résidant au Maroc est désormais
dominée par
les ressortissants
d’Afrique subsaharienne
L’intervention de Laaouina Majdouline, doctorante-chercheuse et professeure à l’Université Mundiapolis, a porté sur «Les mutations actuelles de la migration africaine vers le Maroc».
Elle a analysé les mutations profondes de la migration subsaharienne vers le Maroc, en dépassant la vision réductrice du Maroc comme simple pays de transit vers l’Europe. Elle a insisté d’abord sur l’importance du choix des mots (migration, réfugié, migrant forcé, transit, installation), soulignant que la migration est avant tout un objet conceptuel et juridique, et non uniquement politique ou médiatique.

Selon la chercheuse, les définitions de l’OIM et du HCP montrent l’évolution des outils statistiques et des catégories mobilisées pour appréhender les populations étrangères au Maroc, assurant que le Royaume connaît depuis une décennie une augmentation significative de la population étrangère, passée de 84.000 personnes en 2014 à plus de 148.000 en 2024. Cette population est composée majoritairement de Subsahariens, ces derniers représentant près de 60% des résidents étrangers en 2024, contre moins de 27% en 2014. Cette évolution marque un basculement clair des profils migratoires, avec une diminution relative des Européens et des migrants issus de la région MENA.

Laaouina Majdouline a mis en évidence une transition majeure du transit vers l’installation durable. Alors que la grande majorité des migrants subsahariens envisageaient auparavant l’Europe comme destination finale, une part croissante déclare aujourd’hui vouloir rester au Maroc. Cette mutation se traduit par un allongement notable de la durée de séjour, une diversification des trajectoires migratoires et l’émergence du Maroc comme espace de vie, de travail et de socialisation.

Sur le plan socio-démographique, la migration subsaharienne au Maroc est jeune, active, de plus en plus féminisée et relativement instruite. Les motivations migratoires sont désormais dominées par la recherche d’emploi, les raisons familiales et les études. Toutefois, l’insertion professionnelle reste marquée par le secteur informel, le sous-emploi et les discriminations, notamment pour les migrants qualifiés occupant des emplois en inadéquation avec leur niveau de formation.

En outre, elle a mis l’accent sur le rôle central de la Stratégie nationale de l’immigration et de l’asile (SNIA) et des campagnes de régularisation, qui ont marqué un tournant dans la politique migratoire marocaine. Malgré ces avancées, des défis persistants demeurent : précarité du logement, concentration urbaine, discriminations et enjeux de cohésion sociale. A long terme, l’installation durable des migrants pose des questions structurantes liées à l’intégration, à la citoyenneté et à la transformation de la migration en levier de développement pour le Maroc.

Migration subsaharienne au Maroc, entre intégration, protection et défis des droits humains
Zainab Elaje estime que
la lutte contre la traite
des êtres humains ne peut être pleinement efficace sans une politique
migratoire cohérente
Pour sa part, Zainab Elaje, doctorante-chercheuse et professeure à l’Université Mundiapolis, a abordé les enjeux de la lutte contre la traite des êtres humains et les perspectives bioéthiques.  

Selon elle, la migration africaine constitue aujourd’hui un phénomène complexe aux dimensions humaines, juridiques et politiques majeures. Le Maroc, historiquement pays d’émigration, est devenu progressivement un pays de transit, mais aussi d’accueil et d’installation durable pour de nombreux migrants africains, notamment subsahariens. Cette évolution soulève une question centrale : comment concilier la gestion des flux migratoires, la lutte contre la traite des êtres humains et la protection effective des droits fondamentaux, tout en intégrant une réflexion éthique fondée sur la dignité humaine ?

Sur le plan juridique et institutionnel, le Maroc a engagé depuis 2014 une réforme importante de sa politique migratoire à travers la Stratégie nationale de l’immigration et de l’asile, marquant un passage progressif d’une approche sécuritaire vers une logique fondée sur les droits humains. Cette dynamique s’appuie notamment sur la Constitution de 2011, la ratification de nombreuses conventions internationales relatives aux réfugiés et aux migrants, ainsi que sur l’adoption de la loi n°27-14 relative à la lutte contre la traite des êtres humains, qui renforce la protection des victimes et aligne le droit interne sur les standards internationaux.

Cependant, malgré ces avancées normatives, des insuffisances persistent dans la mise en œuvre effective des droits des migrants. L’accès limité à la santé, au travail légal et à l’assistance juridique, ainsi que les difficultés d’identification et de prise en charge des victimes de la traite, maintiennent de nombreux migrants dans des situations de grande vulnérabilité. La réponse reste encore largement centrée sur la répression pénale, au détriment d’une protection globale et humaine.

Face à cet écart entre le droit proclamé et le droit vécu, l’approche bioéthique apparaît comme un cadre pertinent pour repenser la gouvernance migratoire. Elle place la dignité humaine au cœur des politiques publiques, indépendamment du statut administratif, insiste sur le droit à la santé, la remise en cause du consentement dans les situations d’exploitation, et appelle à une protection renforcée des femmes et des migrants mineurs.

Selon Zainab Elaje, si le Maroc a accompli des progrès significatifs en matière de protection juridique des migrants africains, le défi principal demeure celui de l’effectivité. La lutte contre la traite des êtres humains ne peut être pleinement efficace sans une politique migratoire cohérente, inclusive et intégrant explicitement une réflexion bioéthique fondée sur la dignité, et la solidarité humaine. La migration doit ainsi être appréhendée non comme une menace, mais comme un enjeu profondément humain, juridique et éthique.

Migration subsaharienne au Maroc, entre intégration, protection et défis des droits humains
Hassan Bentaleb met en évidence une évolution de la migration, passée d’une question sécuritaire à un dossier humanitaire et de coopération internationale
De son côté, Hassan Bentaleb, chercheur et président de Migrapress, a souligné que depuis le lancement de la Stratégie nationale de l’immigration et de l’asile en 2014, la politique migratoire marocaine a connu des transformations majeures, saluées sur la scène régionale et internationale comme un modèle «progressiste» de gestion des migrations dans les pays du Sud. Toutefois, derrière ce discours valorisant se cache une réalité plus complexe, marquée par des contradictions structurelles et un déficit politique persistant.

Son analyse a mis en évidence une évolution de la migration, passée d’une question sécuritaire à un dossier humanitaire et de coopération internationale, sans que cette transition ne s’accompagne d’un cadre juridique national cohérent ou d’un véritable débat démocratique. La gouvernance migratoire s’est progressivement technicisée et dépolitisée : elle repose aujourd’hui sur des projets financés par des partenaires internationaux, des indicateurs de performance et des rapports destinés aux bailleurs de fonds, reléguant au second plan les enjeux de droits, de citoyenneté et d’appartenance.

Hassan Bentaleb a évoqué le  phénomène de délégation croissante de la politique migratoire à des acteurs extérieurs, notamment européens, qui influencent la définition des priorités et des solutions, au détriment d’un débat souverain interne. Cette logique contribue à maintenir un modèle hybride, fondé sur l’exception humanitaire et la précarité juridique des migrants, plutôt que sur une politique publique assumée et stabilisatrice.

Selon lui, le concept d’« intégration », central dans le discours officiel, apparaît ainsi comme un mot d’ordre consensuel mais largement vidé de son contenu. Faute de définition claire, d’objectifs politiques et d’indicateurs fondés sur les droits, l’intégration se limite dans la pratique à un accès partiel et conditionnel aux services et au marché du travail, sans garantir ni stabilité juridique ni égalité devant la loi.

Il a mis en garde contre les effets du vide politique et du silence institutionnel sur la question migratoire. En l’absence d’un récit officiel clair et responsable, les réseaux sociaux deviennent le terrain de diffusion de discours hostiles aux migrants, nourris par l’incertitude juridique et le manque de repères publics. La migration apparaît ainsi moins comme une crise de ressources que comme une crise de définition du rôle de l’Etat, de la responsabilité politique et du projet de vivre-ensemble.

Elias Rayane


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