Lettre ouverte à Monsieur Ammar Ben Jâmaâ : Nous vous laissons au jugement de la conscience


Lahcen Laassibi
Lundi 3 Novembre 2025

Lettre ouverte à Monsieur Ammar Ben Jâmaâ : Nous vous laissons au jugement de la conscience
Monsieur,

Je m’adresse à vous avec le respect que m’a inculqué mon éducation envers tous les hommes, et aussi parce que vous venez d’un pays que nous, Marocains, estimons profondément — non par flatterie, mais parce que nous sommes convaincus que nous partageons le même sang et le même destin.

Je m’adresse aussi à vous comme à un descendant de la lignée maghrébine des Ben Jâmaâ, d’origine idrisside marocaine, dont les branches existent au Maroc (les Jâmaï), en Algérie (Ben Jâmaâ), ainsi qu’en Tunisie et en Libye (Ouled Jâmaâ).

Je vous ai écouté, Monsieur, lorsque, du haut de la tribune mondiale (le Conseil de sécurité des Nations Unies), vous avez expliqué la raison pour laquelle le gouvernement de votre pays s’est abstenu de voter la résolution onusienne n°2797.
Et au nom de qui parliez-vous hélas?

Au nom du pays de Didouche Mourad, Krim Belkacem, Mohamed Khider, Mohamed Boudiaf, Ahmed Ben Bella, Larbi Ben M’hidi et Mostefa Ben Boulaïd.
Et c’est au nom de ces géants que vous avez osé qualifier le pays de Mohammed V, de Mohammed Ben Abdelkrim El Khattabi, de Mohammed Zerktouni, du Cheikh Ma El Aïnine et de Mehdi Ben Barka de « pays occupant » et « Etat colonial » ?
Comment votre âme — avant même votre langue — a-t-elle pu prononcer de telles paroles ?
Ai-je été blessé, en tant que Marocain ?
Oui. Mais pour vous, pas pour nous.
Car vous avez abaissé votre propre valeur, et celle d’un grand pays comme le vôtre, à un niveau bien triste.
Vous insultez l’avenir, Monsieur le diplomate chevronné — vous qui n’êtes pourtant pas le produit des bottes des militaires.

Quelle dynamite semez-vous ainsi dans le cœur des nouvelles générations, chez nous comme chez vous, alors que, lorsque nous étions réellement victimes d’un colonialisme oppresseur, nous étions unis.

C’est de nous deux qu’est née une génération d’« hommes de valeur », unie dans une lutte héroïque et fraternelle pour la liberté et la dignité, qui n’a pas d’équivalent dans le monde.
Quel crime commet aujourd’hui votre génération contre les nouvelles générations marocaines et algériennes, et contre le sang de nos martyrs communs qui a irrigué nos deux terres lors de batailles d’honneur partagées !
Puis-je vous demander, Monsieur :
Au profit de qui agissez-vous ainsi ?

Permettez-moi de vous rappeler — et à travers vous, de rappeler aux jeunes générations — que l’histoire du Maroc (que je suis certain que vous connaissez) est une histoire de lutte constante et renouvelée pour la liberté, l’indépendance et la récupération de nos terres usurpées par un système colonial complexe et multiforme.
Oui, votre pays, l’Algérie, a retrouvé son indépendance au prix d’un immense combat, en une seule négociation avec la France du général de Gaulle.

Tandis que nous, au Maroc, avons dû affronter plusieurs tables de négociations, dans différentes capitales, pour récupérer nos terres volées, occupées ou confisquées, morceau par morceau, depuis 1956 jusqu’à aujourd’hui.

Et il nous reste encore des territoires à libérer, sur notre rive méditerranéenne — les villes de Sebta et Melilla, et les îles —, et soyez sûr que nous y parviendrons, tôt ou tard.
Car nous sommes un peuple libre, descendant d’un Roi patriote, Mohammed V, et d’une lignée d’héros universels dont les luttes ont inspiré les plus grandes révolutions de libération du monde.

Notre combat pour notre Sahara marocain est une lutte de libération nationale, partie intégrante de notre long parcours historique pour la liberté.
Ce fut notre destin, en tant que Marocains, de suivre ce chemin avec la patience de ceux qui croient en la justesse de leur cause.

Avons-nous commis des erreurs dans ce long parcours ?
Oui, car nul n’est infaillible.
Mais nous avons appris, nous apprenons, et nous continuerons d’apprendre que nous formons un seul corps, que nous ne renions jamais nos fils — même lorsqu’ils se trompent —, et que, malgré nos divergences, nous restons Marocains, unis par un immense projet de société : bâtir un Etat d’institutions, de libertés et de démocratie.

Permettez-moi de partager un souvenir personnel :

Un jour, le défunt Abderrahmane El Youssoufi, grande figure de la lutte marocaine pour l’indépendance et la démocratie, reçut au siège du journal Al Ittihad Al Ichtiraki (33 rue de l’Emir Abdelkader — quelle ironie du nom !) le président de l’Union internationale de la jeunesse socialiste (IUSY), venu de Suède.
Celui-ci, plein de fougue, lui parla du Sahara avec la passion de certains gauchistes européens.

El Youssoufi l’écouta patiemment, puis conclut :
« L’un de nous se trompe : Soit nos frères des camps de Tindouf doivent nous rejoindre pour que nous poursuivions ensemble notre combat pour la démocratie et la liberté, soit c’est nous qui devons les rejoindre là-bas. Mais, au vu de notre histoire, je suis convaincu que ce sont eux qui sont dans l’erreur. »

Monsieur (fils de Skikda que vous êtes) nous ne sommes pas dans l’erreur, en tant que Nation, peuple ou Etat.

Ce sont vos propos blessants qui le sont.
Jamais, par Dieu, le Maroc n’a été un pays d’occupation ou de colonialisme.
Nous sommes les victimes cher diplomate.

Nous sommes les victimes d’un héritage colonial injuste, qui a dépecé nos terres comme on découpe un gâteau entre métropoles européennes.
Nous sommes, par conséquent, dans le camp des hommes libres, pas dans celui des conquérants.

Sachez que nous n’attendons pas votre compréhension, car nous savons pertinemment que ce n’est pas l’arc qui lance la flèche, mais le cœur de celui qui la tire.
Certaines batailles sont d’ordre du destin.
Et il ne nous reste qu’à « chevaucher la tempête », comme l’a dit le grand poète palestinien Mahmoud Darwich — car l’honneur a toujours un prix que seuls les hommes libres connaissent.

Lettre ouverte à Monsieur Ammar Ben Jâmaâ : Nous vous laissons au jugement de la conscience
Sachez aussi que nous croyons profondément que le bien demeure présent et abondant dans la terre d’Algérie et dans le cœur de son peuple.

Nous ne faisons pas d’amalgame : la majorité de nos frères algériens ne partagent pas les paroles basses que vous avez prononcées en nous qualifiant d’« Etat d’occupation ».
Les yeux peuvent s’aveugler, mais non les cœurs qui sont dans les poitrines.
Nous vous laissons, Monsieur Ammar Ben Djaâma, au jugement de la conscience.

Par Lahcen Laassibi


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