
-
Une alternative contre l’immobilisme : L’Union Socialiste face au vide du pouvoir
-
La diva de l’afropop Yemi Alade fait vibrer la scène Bouregreg
-
Driss Lachguar : La promotion de la situation de la femme ne devrait pas se confiner dans son déploiement politique mais de se focaliser sur l’ensemble des volets de la vie sociale
-
Une terre d’engagement, une flamme inextinguible : Guercif, au cœur battant de l’USFP
Le 22 juin 2025, à 03h12 du matin, l’histoire s’est accélérée. Dans le plus grand secret, les Etats-Unis et Israël ont déclenché une opération militaire d’une ampleur rarement atteinte, baptisée Midnight Hammer, contre les installations nucléaires iraniennes. En moins de deux heures, une centaine d’avions, dont 7 bombardiers furtifs B-2 Spirit et une salve de missiles de croisière Tomahawk ont frappé des cibles sensibles à Fordow, Natanz et Ispahan.
Ce qui aurait pu être une démonstration de force ponctuelle a au contraire, ouvert la voie à une spirale d’escalade incontrôlée. L’Iran n’a pas tardé à répondre. Et sa réponse a pris deux formes : des frappes directes contre Israël — notamment contre l’aéroport Ben Gourion et des centres de commandement à Tel Aviv — mais surtout, une décision stratégique sans précédent : le Parlement iranien a approuvé dans la foulée la fermeture du détroit d’Ormuz, une décision que l’instance suprême de sécurité doit encore valider pour qu'elle entre en application. Le Conseil suprême de sécurité nationale iranien doit donc encore prendre la décision finale mais le député et commandant des gardiens de la révolution, Esmail Kosari, a déclaré au Young Journalist Club que la fermeture du détroit est à l’ordre du jour et qu’elle «sera mise en œuvre si nécessaire».
Et le Maroc, dans tout cela ? A première vue, le Royaume semble loin de ces tensions qui embrasent le Moyen-Orient. Mais en réalité, il se trouve au cœur des répercussions économiques, énergétiques et stratégiques de cette crise. Car dans un monde globalisé, la géopolitique ne connaît plus de frontières, et une crise dans le détroit d’Ormuz suffit à faire vaciller les équilibres marocains.
Le cœur énergétique du monde suspendu à un fil
Le détroit d’Ormuz n’est qu’un goulet d’étranglement géographique d’une quarantaine de kilomètres, mais il canalise près de 40% du pétrole transporté par voie maritime dans le monde. Chaque jour, plus de 20 millions de barils de brut — ainsi que des volumes colossaux de gaz naturel liquéfié — y transitent.
En approuvant la fermeture du détroit, même partielle, l’Iran ne bloquera pas seulement les navires. Il menacera l’architecture énergétique mondiale, les chaînes logistiques globales, les prix des matières premières… et par extension, la stabilité économique de dizaines de pays, du Japon au Maroc.
Cette tactique n’est pas nouvelle. Mais ce qui change aujourd’hui, c’est la volonté affirmée de la mettre à exécution, avec des moyens modernisés : mines navales évoluées, vedettes rapides, drones marins, frappes de missiles sur des terminaux pétroliers ennemis. C’est la guerre par saturation, l’usure stratégique, la perturbation non-déclarée.
L'énergie, notre talon d’Achille
Le Maroc importe près de 90% de ses besoins énergétiques. Le pétrole brut, le gasoil, le gaz : tous sont acheminés par voie maritime et dépendent, directement ou indirectement, de la stabilité du marché mondial. La flambée du prix du baril — qui pourrait atteindre les 300 dollars dans les pires scénarios selon les analystes de Goldman Sachs — est une menace directe pour l’économie marocaine.
Les premiers effets se feront sentir dès les premières semaines si la fermeture du détroit d’Ormuz est confirmée. Le coût du transport maritime explosera. Les assurances doubleront. Les délais s’allongeront. Résultat : le prix à la pompe grimpera, et avec lui celui des produits alimentaires, du transport, de l’électricité. Dans un pays où l’inflation a déjà pesé sur le pouvoir d’achat en 2023-2024, un nouveau choc pétrolier aurait un effet dévastateur sur les classes moyennes et populaires.
Pour Anas El Khallouki, expert en géopolitique, «le Maroc est exposé de manière frontale. Une crise prolongée autour du détroit d’Ormuz alourdirait considérablement la facture énergétique, ferait exploser le déficit commercial et exercerait une pression insoutenable sur les subventions aux carburants”.
Hausse des prix, baisse des marges
Au-delà du consommateur, c’est l’ensemble du tissu économique marocain qui encaissera le choc. Le secteur du transport routier, déjà fragile, pourrait voir ses coûts d’exploitation monter en flèche. L’agriculture intensive, qui dépend largement des intrants importés, notamment des engrais et du gaz pour les serres, sera aussi lourdement touchée. L’industrie manufacturière, elle, pourrait faire face à une double peine : des importations plus chères et des exportations moins compétitives.
L’effet domino sera alors immédiat : ralentissement de la croissance, baisse de la compétitivité et augmentation du chômage dans les secteurs les plus vulnérables.
Une dépendance énergétique structurelle
La crise met cruellement en lumière une réalité longtemps occultée : la dépendance énergétique du Maroc est structurelle, et la diversification entamée reste inachevée. Le chantier du gazoduc Nigeria-Maroc, stratégique pour l’approvisionnement futur du Royaume, n’est pas encore abouti. Les investissements dans le solaire et l’éolien sont prometteurs, mais encore loin de couvrir la demande nationale.
Pour Amina Boussarhane, spécialiste des politiques énergétiques, «l’éventuelle fermeture du détroit d’Ormuz nous rappelle que sans indépendance énergétique, il n’y a pas de souveraineté économique». «Le Maroc doit accélérer ses projets de stockage stratégique, de terminaux de regazéification et de contrats à long terme pour sécuriser ses approvisionnements», estime-t-elle.
Une crise géopolitique aux portes du détroit de Gibraltar
Mais la crise n’est pas seulement économique. Elle est aussi stratégique. Le détroit d’Ormuz est à l’autre bout de l’océan Indien, mais ses répliques atteignent jusqu’à Tanger Med et au détroit de Gibraltar. La militarisation des voies maritimes, les tensions régionales et le risque de confrontation ouverte entre l’Iran et les puissances occidentales peuvent reconfigurer l’ensemble du commerce maritime mondial.
Tanger Med, hub logistique stratégique entre l’Europe et l’Afrique, pourrait subir des perturbations importantes si les routes maritimes sont détournées, si les flux de conteneurs ralentissent, ou si les assurances imposent des surcoûts prohibitifs. Le Maroc, qui ambitionne de devenir une plateforme régionale du commerce et de la logistique, se trouve confronté à un test grandeur nature de sa résilience.
Un monde arabe déstabilisé, un Maroc prudent
Dans le monde arabe, la crise renforce les clivages. Les pays du Golfe sont en première ligne. Les pays importateurs — Egypte, Tunisie, Jordanie, Liban — vacillent déjà. Et le Maroc, fidèle à sa doctrine de neutralité active, garde une posture prudente mais vigilante.
Le Royaume n’a aucun intérêt à s’aligner sur une logique de blocs. Son objectif est clair : préserver ses équilibres internes, défendre ses intérêts économiques et maintenir ses relations stratégiques, tant avec les partenaires du Golfe qu’avec les grandes puissances occidentales.
Mais cette position d’équilibre sera difficile à tenir si la crise s’enlise, si les flux financiers se tarissent, ou si l’instabilité régionale affecte la sécurité intérieure et les transferts de la diaspora.
Un test pour la souveraineté marocaine
Ce qui se joue dans les eaux brûlantes du détroit d’Ormuz dépasse largement le plan militaire. C’est un test de stress pour l’économie mondiale, une mise à l’épreuve pour les nations dépendantes, un rappel brutal que l’interconnexion globale peut aussi être une vulnérabilité.
Pour le Maroc, c’est une alerte stratégique. Une invitation à repenser son modèle énergétique, à renforcer ses marges de manœuvre économiques, et à affirmer sa souveraineté face à un monde où les crises sont de moins en moins locales, et de plus en plus systémiques.
Les décisions qui seront prises dans les mois à venir — sur l’énergie, sur la diplomatie, sur la logistique — auront des conséquences durables. Car l’histoire, parfois, choisit de frapper loin pour tester la solidité de ceux qui croient en être éloignés.
Mehdi Ouassat