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40 boutiques ravagées à Souk El Gharb à Derb Sultan-El Fida : L’anarchie et la corruption alimentent le feu


Rida ADDAM
Mardi 11 Janvier 2011

40 boutiques ravagées à Souk El Gharb à Derb Sultan-El Fida :  L’anarchie et la corruption alimentent le feu
Lundi, 10 heures du matin. A peine arrivés au bout de la ruelle qui mène au marché El Gharb, dit Souk Jmiâa, à Casablanca, les curieux nous guettaient de loin. Cette artère de Derb Sultan bondée à longueur de journée est pratiquement vide ce matin. Ce qui annonce déjà qu’une catastrophe s’est abattue sur cette zone trop fréquentée à cette heure matinale. Seuls les quelques commerçants du prêt-à-porter font montre d’empathie pour leurs voisins, ces commerçants du Souk Jmiâa incendié ce week-end. La porte principale d’accès au marché était fermée avec un bout de bois à moitié brûlé. Un commerçant chargeait le coffre de sa grande voiture avec le peu de marchandises qui a échappé aux flammes et aux jets d’eau des pompiers. «Entrez ! Faites attention, ça risque de s’effondrer à tout moment. Le feu a ravagé nos boutiques. Nous avons tout perdu», murmure-t-il en dessinant un sourire pour dissimuler son indicible désarroi et sa profonde peine. D’ailleurs c’était le dernier sourire de la matinée. A l’intérieur du souk, l’ambiance est tendue. Le silence règne sur les lieux. Les traits sont tirés et les gens fatigués se contentent de nous jeter des regards en biais. Des regards qui expriment leur douleur et leur souffrance. «Ils ont mal. Evitez de les irriter par vos questions. Le feu a ravagé plus de 16 millions de DH de marchandises. Sans compter les autres dégâts matériels provoqués par le feu et les sapeurs pompiers qui ont préféré arroser, en premier lieu, les boutiques intactes au lieu de celles qui étaient en flammes», a crié un jeune commerçant qui a surgi soudainement d’une boutique de miel incendiée. Son compagnon paraissait plus attristé que lui. Ce quadragénaire s’est contenté de nous rappeler que «les sapeurs-pompiers sont à 40% la cause du drame des commerçants. Pire, ils ne sont venus que trois heures après que l’incendie s’est déclaré. Faites le tour du souk et vous allez découvrir que plus de 18 boutiques intactes ont été arrosées massivement pendant que d’autres en flammes ont été négligées».  Les propos de ces deux commerçants vont dans le sens de la polémique qui fait le tour du Souk. Les commerçants doutent que le déclenchement du feu n’ait pas été prémédité. Est-ce possible ? «Tout est possible dans ce district géré par des gens qui ne pensent qu’à leurs propres intérêts. Depuis quelques mois, nous sommes en litige avec les responsables de la commune qui nous rendent la vie dure. Nous n’avons cessé de nous plaindre contre certaines pratiques qui se déroulent au souk, surtout le soir. Mais les autorités locales et la police préfèrent fermer les yeux et laisser ce souk à l’abandon», nous a expliqué une commerçante furieuse. Un avis que partage une autre, assise à même le sol en attendant un improbable miracle. Pour cette jeune commerçante, sa vie a cessé d’avoir un sens au moment même où son petit commerce a pris feu. Elle n’a plus de quoi nourrir ses petits orphelins. Sa situation est grave. D’après elle, «en plus des loyers du magasin et de la maison cumulés depuis plusieurs mois, voilà le feu qui met fin à tous mes espoirs de m’en sortir. Il ne me reste plus qu’à  mendier». Un autre commerçant, rencontré juste à l’entrée du souk, a préféré garder le silence. «Depuis la nuit de samedi à dimanche, il n’a plus prononcé un mot. Il gesticule en remuant la tête. Je crois qu’il va mal. J’ai vraiment peur pour lui. Je le connais depuis des années. Il n’a jamais été si touché que maintenant», chuchote un de ses voisins dont la boutique a été partiellement touchée par le feu mais entièrement ravagée par les jets d’eau des pompiers. Et d’ajouter : «Mon voisin vient de stocker vendredi soir plus de 220.000 DH de marchandises. Il est grossiste. C’est pourquoi il n’arrive pas encore à croire qu’il a tout perdu».
Le cas de ces commerçants n’est certes pas unique. Pour quarante autres les dégâts sont énormes. «En somme, nous avons perdu en moyenne quelque 15 millions de DH. Cette fois-ci le coup est dur. Nous avons résisté longtemps à la concurrence déloyale des marchands ambulants laissés libres de leurs mouvements par les autorités locales juste devant le souk, mais cette fois-ci c’est notre fin», ajoute un autre commerçant dont l’échoppe se trouve au fond du souk. Celui-ci s’interroge sur les circonstances dans lesquelles cet incendie a eu lieu : «Notre bras de fer est à son pic avec le président de la commune et les autorités locales. Nous venons d’adresser plusieurs requêtes aux autorités contre les agissements de certaines personnes qui transforment chaque soir les boutiques en lieux de débauche et où elles invitent des prostituées et leurs clients à des soirées fortement arrosées. Sans oublier que notre grogne contre les marchands ambulants, installés devant le souk et qui profitent du laxisme des autorités, est à son comble. Tout montre que l’incendie est probablement prémédité». Est-ce une accusation directe contre les bénéficiaires des opérations de vente des échoppes contre de juteux pas de porte? Certains commerçants ne veulent pas aggraver les choses et incriminer directement les parties responsables. Ils accusent, par ailleurs, un certain commerçant réputé pour ses pratiques illégales et qui a fait objet de plusieurs plaintes de la part de ses voisins d’être la cause directe de ce drame qui a ravagé plus de la moitié du souk. «C’est lui qui a provoqué cet incendie. Il a l’habitude de consommer des drogues et des boissons alcoolisées dans son échoppe. Ce commerçant connu pour ses mauvaises fréquentations invite toujours des filles de joie chaque samedi soir. Et pour éviter que ses beuveries ne se soient remarquées, il s’éclaire aux bougies. Il se peut que l’une ait provoqué le drame. Surtout que sa boutique contient des débris de caoutchouc et des sacs en plastique. D’ailleurs, le feu s’est déclenché dans la partie du souk où se trouve son magasin. Celui-ci a disparu depuis la survenue du drame», affirme son voisin d’en face. Sa disparition inexpliquée attire des soupçons sur lui. Mais il n’en demeure pas moins que la gestion anarchique d’un souk caractérisé par tous les abus imaginables constitue un terreau fertile pour tous les drames éventuels. A rappeler qu’aucun responsable ne s’est rendu sur place et aucune enquête n’avait encore été diligentée. Vers 12 heures du matin, les commerçants ont appris par un auxiliaire de l’autorité (Mokaddem) que la police judiciaire allait se rendre sur place pour enquêter sur les causes de ce drame. Comme au temps des inondations de 1996, les sinistrés sont encore une fois livrés à eux-mêmes. Le président du Conseil municipal est resté, selon les sinistrés, aux abonnés absents.   
D’après les commerçants, les gestionnaires du souk ne fournissent aucun effort pour le restructurer. Pire, «les responsables communaux et provinciaux en profitent pour arrondir leurs fins de mois. Les marchands ambulants qui squattent les allées et les entrées du souk profitent de la protection des fonctionnaires et des édiles locaux qui refusent d’écouter les réclamations des commerçants. Ces derniers, dont les finances sont obérées par les retards de loyer, les taxes impayées et les dettes contractées auprès des fournisseurs, sont menacés d’expulsion s’ils protestent ou expriment la moindre résistance», poursuit un jeune sinistré. Le drame de ces commerçants, paraît-il, perdure depuis des années. Ils ont été contraints d’accepter la situation. Les responsables censés les protéger et combattre le commerce informel se contentent, selon certains commerçants, de faire le tour matin et soir pour récupérer leur  «loyer». Mais de quel loyer s’agit-il? «Les vendeurs ambulants (Farachates) versent quotidiennement une dîme à ceux qui les protègent. Il suffit de rappeler qu’un agent des forces auxiliaires est poursuivi, avec preuve à l’appui, dans une affaire de corruption. Il a été photographié en pleine collecte de « loyers » par un commerçant qui a publié cette image sur un quotidien arabophone. Depuis, ces « protecteurs » sont méfiants et ont confié l’opération de collecte à l’une des commerçantes ambulantes réputée pour ses bonnes relations avec l’actuel président de la commune», crient quelques commerçants. Des témoignages sans preuves, mais seulement sous serment. Notons que cette zone est devenue la capitale du commerce illégal. Des milliers de marchands ambulants occupent les coins de tous les quartiers et même plusieurs rues devenues ainsi interdites de facto aux automobilistes. Des centaines d’étals surgissent un peu partout sur les grands axes de ce quartier. Tout se passe sous le regard indifférent des agents d’autorité. L’affaire de l’incendie connaîtra, peut-être, des rebondissements dans les jours à venir. Les commerçants préparent leur riposte qu’ils se refusent à préciser. Mais ils jurent qu’elle sera la bonne cette fois-ci. Ils sont fatigués d’être victimes de cette situation de non droit et d’adresser d’incessantes requêtes à des responsables locaux qui ne daignent réagir en vue de rétablir la légalité.


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