
Dans un précédent article, (Libération du 23 juillet 2025), nous montrions comment l’institution, par le souffle du récit, reprenait voix et devenait pilier vivant du lien collectif. Aujourd’hui, il s’agit d’explorer ce fil invisible qui relie l’individu à l’institution, et comprendre comment une histoire juste, dense, intime, peut graver cette institution dans l’esprit et l’âme.
Les institutions ne tiennent debout que lorsqu’un souffle plus grand que leurs murs les traverse. Ce souffle, ce n’est ni une loi ni un règlement, ni un organigramme froid ni une procédure bien huilée. Ce souffle, c’est un récit. Un mythe. Une incarnation. Lorsqu’une institution devient chair dans l’imaginaire collectif, lorsqu’elle cesse d’être un bâtiment pour devenir une cause, une légende, une mémoire, alors elle commence à respirer. Et c’est dans ce souffle partagé que les individus se lèvent, non plus pour eux-mêmes, mais pour une finalité qui les dépasse.
Lorsqu’un mythe habite une institution, elle devient vivante. Elle n’est plus seulement là pour gérer, contrôler, maintenir l’ordre. Elle devient le prolongement d’une histoire à accomplir. Un récit sacré. Une mission à poursuivre. Le mythe transfigure le quotidien : le geste devient rituel, le service devient offrande, le travail devient engagement. Il donne un sens supérieur aux actes les plus simples, car il relie chaque action à une finalité qui dépasse le présent et les intérêts personnels. Le mythe appelle chacun à se dépasser. Il transforme le «moi» en «nous», et le «devoir» en «foi». Il rend possible cette alchimie secrète où l’individu se fond dans le collectif, non par contrainte, mais par désir d’accomplir quelque chose de plus grand.
Voilà pourquoi il faut des mythes. Non pour fuir la réalité, mais pour lui donner sens. Quand une institution raconte quelque chose de plus grand, elle devient cet espace rare où l’homme peut s’oublier pour mieux se retrouver.
• Lorsque le mythe de l’institution s’efface
Il arrive un moment, dans la vie des nations comme dans celle des individus, où le succès d’un projet, d’une institution, d’un rêve collectif, ne repose plus sur des règlements, mais sur ce que l’on croit. Et ce que l’on croit profondément, ce ne sont pas des consignes ni des objectifs chiffrés, ce sont des récits. Des mythes incarnés. Des histoires que l’on porte en soi comme on porte un serment, une appartenance. Ce sont eux qui tiennent les structures, qui redressent les volontés et qui font de l’exercice du pouvoir un acte de service plutôt qu’un abus d’autorité.
Lorsqu’un dirigeant met le succès de son organisation au-dessus de son propre intérêt, ce n’est pas parce qu’on lui a imposé une règle. C’est parce qu’un récit plus grand l’habite. Parce qu’il croit, au fond de lui, que ce qu’il sert est plus important que ce qu’il possède. Il se met au service d’un mythe : celui d’une organisation qui traverse le temps, qui transforme les vies, qui laisse une trace. Et ce mythe le guide, l’élève, l’éloigne de la tentation de l’ego.
C’est ce même souffle qui fait qu’un professeur devient le passage, le lien, le pont entre l’enfant et l’avenir. Ce n’est pas sa réputation qu’il cultive, mais la lumière de l’école, cette maison du savoir qui ne lui appartient pas mais qu’il honore par sa posture. Car il est animé par un mythe ancien : celui d’une école qui émancipe, qui protège, qui élève. Et c’est ce mythe qui place l’élève au centre, et non l’enseignant.
Lorsqu’un ministre se rappelle qu’il est d’abord serviteur, c’est qu’il a entendu, quelque part, le souffle du mythe fondateur de l’État : celui qui dit que gouverner, ce n’est pas jouir du pouvoir mais porter le poids du destin commun. Il agit alors non pour son image, mais pour la cohérence de la nation. Non pour durer, mais pour transmettre. Et ce mythe, même discret, même fragile, suffit parfois à sauver un pays du naufrage.
La justice, elle aussi, repose sur un récit sacré. Celui d’une balance tenue par une main impartiale, au-dessus des passions, au-dessus des pressions. Quand le juge oublie ses préférences, ses intérêts, ses liens, c’est qu’il se souvient qu’il est au service d’un idéal plus ancien que lui : celui de la justice comme horizon de paix, comme refuge des faibles. Il juge au nom d’un mythe, pas en vertu d’un ordre du jour.
Et sur les terres locales, dans les conseils communaux ou régionaux, là où les intérêts particuliers grondent comme des tambours, il faut un récit plus grand pour faire taire les appétits. Ce récit, c’est celui d’un territoire comme bien commun, d’une population comme raison d’être. Quand ce mythe s’ancre, les élus cessent de se battre pour leurs parts : ils bâtissent ensemble un avenir qui les dépasse.
Même la famille, cellule intime, repose sur un mythe profond. Celui d’un foyer où l’amour protège, où les enfants grandissent en sécurité, où chacun donne plus qu’il ne reçoit. Quand ce mythe s’efface, le couple devient arène, les enfants deviennent dommages collatéraux. Mais quand il vit, même dans le silence, même dans les tensions, il rappelle que la famille ne se possède pas, elle se construit, jour après jour, dans l’effort d’un amour plus grand que soi.
• Comment faire ancrer les mythes dans les esprits
Mais alors, comment faire pour que ces mythes s’ancrent dans les esprits ? Il faut les raconter. Encore et encore. Les incarner. Non par des slogans, mais par des gestes. Il faut que chaque institution retrouve sa voix, sa légende, son souffle. Que chaque dirigeant, chaque enseignant, chaque élu, chaque parent se sente dépositaire d’un récit à transmettre. Il faut bâtir des mémoires et réveiller les consciences. Le mythe n’est pas un mensonge : c’est une vérité qui traverse les générations, et qui donne à chaque acte ordinaire un goût d’éternité.
On inscrit les mythes dans les cœurs, dans les chairs, dans l’imaginaire. Pas par la force mais par la résonance. Pour qu’une institution s’impose durablement dans la mémoire collective, elle doit cesser d’être un bâtiment froid ou une entité abstraite. Elle doit devenir un récit, un visage, une promesse. Une chose que l’on raconte, que l’on transmet, que l’on sent. Une chose à laquelle on croit.
Chaque institution porte en elle une genèse, un moment où des femmes et des hommes ont décidé de créer un espace pour protéger, transmettre, réparer ou construire. Une naissance, un acte de foi, un besoin vital, une réponse à une douleur ou un rêve collectif. C’est dans cette histoire fondatrice que naît l’adhésion.
Une institution ancrée est une institution incarnée. Elle est faite de celles et ceux qu’elle touche, sauve, éduque, soigne ou fait grandir. Il faut raconter leurs histoires et inspirer par l’exemple. Le dirigeant qui sert au lieu de dominer, le juge qui écoute avant de trancher, l’élu qui partage au lieu de prendre — ce sont eux qui écrivent les nouveaux récits. Le mythe se réinvente dans l’action juste. Chaque geste intègre ou courageux devient une pierre dans l’édifice symbolique de l’institution. Et chaque trahison de la mission en ébranle les fondations. C’est aussi ouvrir des espaces d’appropriation. Permettre aux citoyens, aux usagers, aux enfants, aux anciens de s’exprimer, de raconter leur propre lien avec l’institution, de dire leurs attentes, leurs douleurs, leurs espoirs. C’est ainsi que naît un "nous" autour d’elle, une communauté vivante, et non une clientèle passive. Et enfin, il faut ritualiser la mémoire. Célébrer les réussites. Se souvenir des épreuves traversées. Honorer ceux qui ont donné pour elle. Une institution sans mémoire est une coquille vide. Une institution qui se souvient est une maison habitée. L’esprit des peuples s’attache à ce qui est raconté, honoré, symbolisé. Car ce que l’on retient, ce n’est pas ce que l’on impose. C’est ce qui nous touche. Ce qui nous parle. Ce que l’on estime appartenir à notre propre histoire. Et lorsque l’institution devient cette chose familière, cette promesse fidèle, ce récit vivant que chacun peut transmettre, alors, elle est ancrée dans les âmes.
Les institutions ne vivent pleinement que lorsqu’elles incarnent une finalité plus grande que leurs mécanismes internes. Cette finalité ne peut être transmise que par des mythes incarnés : récits fondateurs, figures symboliques, visions partagées. Ce sont ces mythes qui mettent en mouvement les individus, qui leur donnent envie d’agir, de croire, de servir. Le défi contemporain est de redonner souffle à ces récits pour reconstruire des institutions vivantes, inspirantes, capables de fédérer les volontés autour d’un projet commun.
Par Abderrazak Hamzaoui
Email : hamzaoui@hama-co.net
www.hama-co.net
Les institutions ne tiennent debout que lorsqu’un souffle plus grand que leurs murs les traverse. Ce souffle, ce n’est ni une loi ni un règlement, ni un organigramme froid ni une procédure bien huilée. Ce souffle, c’est un récit. Un mythe. Une incarnation. Lorsqu’une institution devient chair dans l’imaginaire collectif, lorsqu’elle cesse d’être un bâtiment pour devenir une cause, une légende, une mémoire, alors elle commence à respirer. Et c’est dans ce souffle partagé que les individus se lèvent, non plus pour eux-mêmes, mais pour une finalité qui les dépasse.
Lorsqu’un mythe habite une institution, elle devient vivante. Elle n’est plus seulement là pour gérer, contrôler, maintenir l’ordre. Elle devient le prolongement d’une histoire à accomplir. Un récit sacré. Une mission à poursuivre. Le mythe transfigure le quotidien : le geste devient rituel, le service devient offrande, le travail devient engagement. Il donne un sens supérieur aux actes les plus simples, car il relie chaque action à une finalité qui dépasse le présent et les intérêts personnels. Le mythe appelle chacun à se dépasser. Il transforme le «moi» en «nous», et le «devoir» en «foi». Il rend possible cette alchimie secrète où l’individu se fond dans le collectif, non par contrainte, mais par désir d’accomplir quelque chose de plus grand.
Voilà pourquoi il faut des mythes. Non pour fuir la réalité, mais pour lui donner sens. Quand une institution raconte quelque chose de plus grand, elle devient cet espace rare où l’homme peut s’oublier pour mieux se retrouver.
• Lorsque le mythe de l’institution s’efface
Il arrive un moment, dans la vie des nations comme dans celle des individus, où le succès d’un projet, d’une institution, d’un rêve collectif, ne repose plus sur des règlements, mais sur ce que l’on croit. Et ce que l’on croit profondément, ce ne sont pas des consignes ni des objectifs chiffrés, ce sont des récits. Des mythes incarnés. Des histoires que l’on porte en soi comme on porte un serment, une appartenance. Ce sont eux qui tiennent les structures, qui redressent les volontés et qui font de l’exercice du pouvoir un acte de service plutôt qu’un abus d’autorité.
Lorsqu’un dirigeant met le succès de son organisation au-dessus de son propre intérêt, ce n’est pas parce qu’on lui a imposé une règle. C’est parce qu’un récit plus grand l’habite. Parce qu’il croit, au fond de lui, que ce qu’il sert est plus important que ce qu’il possède. Il se met au service d’un mythe : celui d’une organisation qui traverse le temps, qui transforme les vies, qui laisse une trace. Et ce mythe le guide, l’élève, l’éloigne de la tentation de l’ego.
C’est ce même souffle qui fait qu’un professeur devient le passage, le lien, le pont entre l’enfant et l’avenir. Ce n’est pas sa réputation qu’il cultive, mais la lumière de l’école, cette maison du savoir qui ne lui appartient pas mais qu’il honore par sa posture. Car il est animé par un mythe ancien : celui d’une école qui émancipe, qui protège, qui élève. Et c’est ce mythe qui place l’élève au centre, et non l’enseignant.
Lorsqu’un ministre se rappelle qu’il est d’abord serviteur, c’est qu’il a entendu, quelque part, le souffle du mythe fondateur de l’État : celui qui dit que gouverner, ce n’est pas jouir du pouvoir mais porter le poids du destin commun. Il agit alors non pour son image, mais pour la cohérence de la nation. Non pour durer, mais pour transmettre. Et ce mythe, même discret, même fragile, suffit parfois à sauver un pays du naufrage.
La justice, elle aussi, repose sur un récit sacré. Celui d’une balance tenue par une main impartiale, au-dessus des passions, au-dessus des pressions. Quand le juge oublie ses préférences, ses intérêts, ses liens, c’est qu’il se souvient qu’il est au service d’un idéal plus ancien que lui : celui de la justice comme horizon de paix, comme refuge des faibles. Il juge au nom d’un mythe, pas en vertu d’un ordre du jour.
Et sur les terres locales, dans les conseils communaux ou régionaux, là où les intérêts particuliers grondent comme des tambours, il faut un récit plus grand pour faire taire les appétits. Ce récit, c’est celui d’un territoire comme bien commun, d’une population comme raison d’être. Quand ce mythe s’ancre, les élus cessent de se battre pour leurs parts : ils bâtissent ensemble un avenir qui les dépasse.
Même la famille, cellule intime, repose sur un mythe profond. Celui d’un foyer où l’amour protège, où les enfants grandissent en sécurité, où chacun donne plus qu’il ne reçoit. Quand ce mythe s’efface, le couple devient arène, les enfants deviennent dommages collatéraux. Mais quand il vit, même dans le silence, même dans les tensions, il rappelle que la famille ne se possède pas, elle se construit, jour après jour, dans l’effort d’un amour plus grand que soi.
• Comment faire ancrer les mythes dans les esprits
Mais alors, comment faire pour que ces mythes s’ancrent dans les esprits ? Il faut les raconter. Encore et encore. Les incarner. Non par des slogans, mais par des gestes. Il faut que chaque institution retrouve sa voix, sa légende, son souffle. Que chaque dirigeant, chaque enseignant, chaque élu, chaque parent se sente dépositaire d’un récit à transmettre. Il faut bâtir des mémoires et réveiller les consciences. Le mythe n’est pas un mensonge : c’est une vérité qui traverse les générations, et qui donne à chaque acte ordinaire un goût d’éternité.
On inscrit les mythes dans les cœurs, dans les chairs, dans l’imaginaire. Pas par la force mais par la résonance. Pour qu’une institution s’impose durablement dans la mémoire collective, elle doit cesser d’être un bâtiment froid ou une entité abstraite. Elle doit devenir un récit, un visage, une promesse. Une chose que l’on raconte, que l’on transmet, que l’on sent. Une chose à laquelle on croit.
Chaque institution porte en elle une genèse, un moment où des femmes et des hommes ont décidé de créer un espace pour protéger, transmettre, réparer ou construire. Une naissance, un acte de foi, un besoin vital, une réponse à une douleur ou un rêve collectif. C’est dans cette histoire fondatrice que naît l’adhésion.
Une institution ancrée est une institution incarnée. Elle est faite de celles et ceux qu’elle touche, sauve, éduque, soigne ou fait grandir. Il faut raconter leurs histoires et inspirer par l’exemple. Le dirigeant qui sert au lieu de dominer, le juge qui écoute avant de trancher, l’élu qui partage au lieu de prendre — ce sont eux qui écrivent les nouveaux récits. Le mythe se réinvente dans l’action juste. Chaque geste intègre ou courageux devient une pierre dans l’édifice symbolique de l’institution. Et chaque trahison de la mission en ébranle les fondations. C’est aussi ouvrir des espaces d’appropriation. Permettre aux citoyens, aux usagers, aux enfants, aux anciens de s’exprimer, de raconter leur propre lien avec l’institution, de dire leurs attentes, leurs douleurs, leurs espoirs. C’est ainsi que naît un "nous" autour d’elle, une communauté vivante, et non une clientèle passive. Et enfin, il faut ritualiser la mémoire. Célébrer les réussites. Se souvenir des épreuves traversées. Honorer ceux qui ont donné pour elle. Une institution sans mémoire est une coquille vide. Une institution qui se souvient est une maison habitée. L’esprit des peuples s’attache à ce qui est raconté, honoré, symbolisé. Car ce que l’on retient, ce n’est pas ce que l’on impose. C’est ce qui nous touche. Ce qui nous parle. Ce que l’on estime appartenir à notre propre histoire. Et lorsque l’institution devient cette chose familière, cette promesse fidèle, ce récit vivant que chacun peut transmettre, alors, elle est ancrée dans les âmes.
Les institutions ne vivent pleinement que lorsqu’elles incarnent une finalité plus grande que leurs mécanismes internes. Cette finalité ne peut être transmise que par des mythes incarnés : récits fondateurs, figures symboliques, visions partagées. Ce sont ces mythes qui mettent en mouvement les individus, qui leur donnent envie d’agir, de croire, de servir. Le défi contemporain est de redonner souffle à ces récits pour reconstruire des institutions vivantes, inspirantes, capables de fédérer les volontés autour d’un projet commun.
Par Abderrazak Hamzaoui
Email : hamzaoui@hama-co.net
www.hama-co.net