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La CJUE servirait-elle de moyen de pression sur le Maroc ?

Rabat et Bruxelles s’orientent vers le renouvellement de l’accord de pêche liant les deux parties


T. Mourad
Mercredi 21 Février 2018

A quelques jours de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), les ministres de l’Agriculture et de la Pêche des 28 Etats membres de l’UE   réunis en Conseil, lundi à Bruxelles, ont donné, à l’unanimité, mandat à la Commission européenne pour négocier un nouvel accord de pêche avec le Maroc, a indiqué l’agence MAP.
La question qui s’impose est la suivante : si la CJUE décide le 27 du mois courant d’invalider l’accord de pêche actuel, les institutions européennes seront-elles contraintes de se plier à cette décision ? Une question d’autant plus pertinente que l’avocat général de la CJUE, Melchior Wathelet, avait plaidé contre cet accord et demandé son abrogation au prétexte qu’il ne respectait pas « le droit du peuple du Sahara à l’autodétermination ».
Pour Abdessadek Bounaghi, professeur de droit international à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Settat (Université Hassan I), « le problème est plus politique que juridique. Le principe de la légitimité de l’exploitation des ressources du Sahara marocain au motif que cet espace serait litigieux est, en effet, brandi en guise d’argument politique destiné à faire pression sur le Maroc » lors des négociations entre les deux parties. Il a souligné que tout cela s’inscrit dans le cadre des manœuvres des Algériens et de leurs acolytes du Polisario.
Notre interlocuteur estime, par ailleurs, que «le Maroc se trouve dans une position confortable et qu’il n’acceptera pas qu’on lui lie les mains» en évoquant la soi-disant exploitation des ressources naturelles du Sahara marocain ou la question des droits de l’Homme et Dieu sait, ce qu’on  évoquera  demain». «Ce sont des épées de Damoclès», a-t-il souligné. Et d’ajouter : «Cela prouve la duplicité de l’UE».
Un son de cloche qu’a confirmé  récemment le bâtonnier Pierre Legros qui a estimé que les conclusions de l’avocat général de la CJUE révèlent «une profonde ignorance du droit international et de la position de l'UE sur ses relations avec le Maroc». 
Il s’agit d’une «opinion entièrement motivée par des considérations politiques et qui constitue une tentative de politisation du processus judiciaire», avait-il tranché, dans une déclaration au site «europorter.co» relayée par l’agence MAP. 
Il a également souligné que la Cour devra «se limiter à sa compétence purement juridique. Elle n’est pas là pour régler des problèmes politiques mais veiller à l’application des normes du droit européen».
Emmanuel Tawi, professeur de droit à l’Université Panthéon-Assas Paris-II, a, lui aussi affirmé que la Cour n’a pas à «s’immiscer dans les relations extérieures de l’Union européenne».
Dans une chronique publiée au «Journal spécial des sociétés» dans sa dernière livraison, le professeur Tawil avait, pour sa part, contesté la compétence même de la Cour de justice de l’UE à statuer dans des affaires concernant les traités internationaux. Et de s’interroger «s’il est vraiment opportun que la Cour de justice de l’UE s’engage dans une démarche qui la conduirait à exercer de facto un rôle politique dans les relations extérieures de l’Union européenne». 
L’Observatoire d’études géopolitiques (OEG) avait abondé dans le même sens estimant, dans une analyse que nous avons publiée dernièrement, que «par ses conclusions, l’avocat général fait prévaloir les traités de l’UE et les principes constitutionnels qui en découlent sur le traité international qui, pour l’autre partie, le Maroc, avait été régulièrement conclu», précisant qu’il «remet également en cause les conditions mêmes de la stabilité des relations internationales : désormais l’existence de tout traité conclu avec l’Union est susceptible d’être remise en cause». 
Pour l’OEG, cautionner les conclusions de l’avocat général serait pour la Cour un précédent qui ouvre la voie à «toutes les manœuvres politiques, spontanées ou manipulées, en offrant à toute organisation politique, le droit de contester la validité d’un accord international».
Il convient également de préciser que la Commission mixte Maroc-Union européenne des professionnels de la pêche a mis récemment en garde contre l’impact socioéconomique que toute décision «défavorable» que la CJUE pourrait prendre le 27 février induira sur les deux parties. 
Cette Commission a souligné que l’actuel accord de pêche respectait le droit international et les droits de l’Homme et que les deux parties en tirent profit. Pour ces raisons, elle a exhorté la CJUE à tenir compte de ces éléments à l’heure de prendre sa décision.
Dans un rapport établi  par la Direction des Affaires maritimes relevant de l’exécutif européen et soumis en décembre dernier au Conseil de l’UE et au Parlement européen, l’UE avait estimé que l’accord de pêche actuel qui s’achèvera le 14 juillet 2018,  s’est révélé «efficace dans l’atteinte de son objectif de durabilité de l’exploitation», se félicitant de la coopération scientifique entre les deux parties, matérialisée par les réunions annuelles conjointes, et qui a permis d’échanger les données disponibles et d’aboutir à des diagnostics partagés. Le rapport a recommandé le renouvellement de l’accord de pêche.
Selon ce rapport, cet accord a également atteint son objectif de soutien au développement durable du secteur. Cet objectif s’est concrétisé grâce notamment à la contribution de l’appui sectoriel à la mise en œuvre de projets de la stratégie Halieutis et à l’embarquement de 200 marins marocains à bord des navires de pêche européens (près de 1.000 contrats d’embarquement conclus).
Mieux encore, le document note également que la mise en œuvre de l’appui sectoriel dudit accord se fait à un rythme très satisfaisant, rappelant que les régions de Dakhla-Oued Eddahab et Laâyoune-Boujdour-Sakia El Hamra concentrent 66% de l’enveloppe totale de cet appui sectoriel, soit environ 37 millions d’euros.
 


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