Le plastique a la vie dure

A Genève, les pays “ambitieux rêveurs” se heurtent au diktat de ceux “pragmatiques intéressés”


Mehdi Ouassat
Vendredi 15 Août 2025

Quel impact sur le Maroc ? Et quel positionnement dans cette bataille d’intérêts économiques et géopolitiques ?

Vendredi 15 août 2025, sous le toit du Palais des Nations à Genève, la sentence est tombée : aucun accord contraignant ne verra le jour pour endiguer la marée de plastique qui submerge la planète. Après dix jours de négociations intensives, prolongées au-delà du calendrier officiel dans l’espoir d’un compromis, les 185 pays réunis sous l’égide de l’ONU repartent bredouilles.

Pour nous, Marocains, ce constat n’est pas qu’une anecdote diplomatique. C’est un signal d’alarme, car notre pays, qui lutte déjà contre l’invasion des déchets plastiques sur ses plages, dans ses oueds et jusque dans ses sols agricoles, subira directement les conséquences de cet immobilisme stérile.

Les discussions genevoises, baptisées CIN–5.2, avaient pourtant un objectif clair: rédiger un traité international juridiquement contraignant contre la pollution plastique, couvrant l’ensemble du cycle de vie du matériau, depuis la production jusqu’au recyclage.

Mais dès le départ, le fossé entre les deux camps était abyssal. D’un côté, les "ambitieux" — Union européenne, Canada, Australie, pays d’Amérique latine, d’Afrique et plusieurs Etats insulaires — voulaient réduire à la source la production de plastique, considérée comme la seule voie réaliste pour freiner la crise. De l’autre, les grandes puissances pétrolières et gazières, emmenées par les pays du Golfe et appuyées, de manière moins visible mais tout aussi décisive, par les Etats-Unis, ont tout fait pour éviter toute contrainte sur la production d’hydrocarbures ou l’interdiction de molécules chimiques jugées dangereuses.

Résultat : un texte de compromis, déposé en pleine nuit de jeudi à vendredi, contenant encore plus de cent points en suspens. Un document qui, selon plusieurs délégations, "ne pouvait pas servir de base solide" malgré quelques avancées.

Les accusations fusent. Agnès Pannier-Runacher, ministre française de la Transition écologique, ne mâche pas ses mots : "Certains pays ne sont pas venus ici pour finaliser un texte, mais pour bloquer toute tentative de parvenir à un traité viable". Greenpeace est encore plus virulente : "Une poignée d’acteurs mal intentionnés ont été autorisés à utiliser le processus pour réduire à néant cette ambition."

Ces propos résonnent étrangement pour nous, Marocains, qui observons depuis des années comment certains Etats producteurs d’énergie fossile utilisent leur poids économique et stratégique pour freiner les engagements environnementaux globaux.

Le plastique, rappelons-le, est l’enfant direct du pétrole et du gaz. Chaque sac, chaque bouteille, chaque emballage que nous ramassons sur nos côtes est le fruit d’une industrie pétrochimique mondialisée qui pèse des centaines de milliards de dollars et qui ne voit pas d’un bon œil toute restriction sur ses débouchés.

Pour le Maroc, cet échec n’est pas neutre. Malgré l’interdiction des sacs plastiques à usage unique depuis 2016 — loi pionnière en Afrique — les flux de plastique continuent de croître, portés par l’importation de produits emballés, le tourisme de masse et la faiblesse des filières de recyclage.

Les chiffres sont alarmants : selon le Programme des Nations unies pour l’environnement, près de 80% des déchets marins en Méditerranée sont en plastique. Et dans notre contexte, cela signifie que les filets des pêcheurs, les plages de Dakhla ou d’Essaouira, et les fonds marins au large de Nador sont directement menacés.

Sans traité international contraignant, les efforts nationaux risquent d’être noyés sous un océan de plastique produit ailleurs mais qui finit sur nos côtes.

Il serait naïf de voir dans cet échec une simple divergence de vues sur l’environnement. Ce qui s’est joué à Genève est avant tout une bataille d’intérêts économiques et géopolitiques.

Les pays producteurs d’hydrocarbures, dont la richesse et parfois la stabilité politique dépendent du pétrole et du gaz, voient le plastique comme un marché de substitution face au déclin attendu des carburants fossiles dans le secteur de l’énergie. Restreindre la production de plastique reviendrait pour eux à tuer l’un des relais de croissance de leur économie.

A l’inverse, les pays plus vulnérables — souvent ceux qui subissent déjà les effets du changement climatique et de la pollution — plaident pour une réduction massive de la production mondiale.

Le Maroc, qui n’est ni un grand producteur pétrolier ni un acteur majeur de la pétrochimie, a tout intérêt à soutenir un accord ambitieux, non seulement pour protéger son environnement mais aussi pour défendre ses intérêts économiques à long terme, notamment dans les secteurs du tourisme, de la pêche et de l’agriculture.

Et maintenant ? L’Ouganda a proposé la tenue d’une nouvelle session de négociation. Officiellement, tout le monde veut "continuer à avancer". Mais en coulisses, certains diplomates parlent d’un processus en panne, usé par trois ans de discussions sans résultats tangibles, de Busan à Genève.

Le chef négociateur suisse, Felix Wertli, parle d’une "pause pour réfléchir". Ce mot, dans le langage diplomatique, peut signifier un gel prolongé.

Pourtant, la crise du plastique ne prend pas de pause, elle. Chaque jour qui passe, l’équivalent d’un camion poubelle de plastique est déversé dans les océans. Et chaque mois de blocage diplomatique se traduit par des décennies de pollution supplémentaire.

Selon plusieurs spécialistes, l’échec de Genève doit inciter le Maroc à tirer des enseignements clairs. Il s’agit d’abord de consolider sa propre législation, en particulier sur la question des emballages et du recyclage, afin de poser les bases d’une politique nationale solide. Parallèlement, le Royaume gagnerait à déployer une diplomatie environnementale plus active, capable de tisser des alliances stratégiques avec d’autres pays africains et méditerranéens, pour peser davantage dans les négociations internationales. Cette dynamique devrait s’accompagner d’une accélération de la transition industrielle vers des matériaux alternatifs et des modèles économiques circulaires. Car nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre que les grandes puissances règlent leurs querelles : notre survie environnementale dépendra aussi de notre aptitude à agir de manière autonome, tout en demeurant présents à la table des discussions mondiales.

Genève restera dans l’histoire non pas comme la ville où l’humanité a décidé de sauver ses océans, mais comme celle où les calculs économiques ont étouffé l’urgence écologique. Le Maroc, petit en volume d’émissions mais grand en vulnérabilité, doit en tirer la conclusion suivante : l’avenir de nos plages, de nos mers et de notre santé ne se jouera pas seulement à l’ONU, mais aussi dans nos choix politiques, économiques et sociaux dès aujourd’hui.

Mehdi Ouassat

Le plastique a la vie dure
Le coût caché du plastique pour l’économie marocaine
 
Si les images de plages jonchées de bouteilles et de sacs frappent l’opinion publique, l’impact économique de la pollution plastique reste largement sous-estimé au Maroc.

Tourisme – Secteur vital pour notre économie (plus de 7% du PIB), le tourisme côtier est particulièrement vulnérable. Selon une étude de la Banque mondiale, une plage sale peut faire chuter la fréquentation de 20 à 40%. Pour des villes comme Agadir, Essaouira ou Tanger, cela se traduit par des pertes annuelles de plusieurs centaines de millions de dirhams.

Pêche – Le Maroc est l’un des premiers producteurs et exportateurs africains de produits de la mer. Mais les déchets plastiques dégradent les habitats marins, endommagent les filets et contaminent les prises par microplastiques. Une étude de la FAO estime que les pertes économiques liées aux déchets marins peuvent représenter jusqu’à 5% des revenus annuels de la pêche.

Agriculture – Le plastique agricole (films plastiques, tuyaux, serres) est souvent mal collecté et finit brûlé ou enfoui, libérant des polluants dans les sols. A terme, la baisse de qualité des terres pourrait affecter la productivité, en particulier dans les zones maraîchères.

Gestion des déchets – Le Maroc dépense chaque année plusieurs milliards de dirhams pour la collecte et l’enfouissement des déchets. Or, le plastique représente environ 12% du volume total, mais jusqu’à 40% du coût de traitement, en raison de sa faible densité et de la complexité du tri.

Compétitivité industrielle – Si le Maroc tarde à adopter des solutions de substitution et à développer une filière de recyclage performante, il risque d’être pénalisé à l’export, notamment vers l’UE, où les exigences en matière d’emballage durable se renforcent.


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