Hôpitaux en détresse, citoyens en colère

Le verdict CEOWORLD, un miroir impitoyable pour le système de santé marocain


Mehdi Ouassat
Vendredi 26 Septembre 2025

Le Maroc relégué à une humiliante 74ème place mondiale

Hôpitaux en détresse, citoyens en colère
Le dernier classement 2025 des systèmes de santé, publié par le prestigieux magazine CEOWORLD, dresse un constat sans appel. Le Maroc, malgré ses ambitions affichées de réforme et de modernisation, se retrouve relégué à la 74ᵉ place mondiale sur 110 pays, avec un score famélique de 34,78 points. Une position qui en dit long sur l’état réel de nos hôpitaux, à l’heure où la rue marocaine s’embrase face à une crise sanitaire devenue insupportable.

A l’échelle régionale, la comparaison est encore plus douloureuse. Israël, avec ses infrastructures ultramodernes et sa recherche biomédicale de pointe, s’impose comme premier pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, en occupant le 10ᵉ rang mondial. Les Emirats arabes unis, soutenus par des investissements massifs, se classent 17ᵉ, suivis de l’Arabie saoudite, 37ᵉ. Même le Liban, secoué par une crise économique sans précédent, devance le Maroc. Le Koweït, en queue de peloton régional, figure 73ᵉ, soit juste devant notre pays. Cette hiérarchie régionale, qui place le Maroc presque au dernier rang, révèle une réalité brute: nous ne sommes pas simplement en retard, nous sommes dépassés.
Dans le concert international, ce sont les modèles asiatiques qui écrasent la concurrence.

Taïwan, première mondiale avec 78,72 points, illustre ce que signifie bâtir un système de santé moderne : accès universel, coûts maîtrisés, technologies numériques intégrées et intelligence artificielle au service des patients. La Corée du Sud et l’Australie complètent le trio de tête, portées par une vision claire, une gouvernance efficace et une volonté politique indiscutable. L’Europe, elle, confirme sa solidité avec la Suède, l’Irlande, les Pays-Bas, l’Allemagne et la Norvège dans le top 10. Même les Etats-Unis, pourtant champions des dépenses de santé par habitant, n’atteignent que la 15ᵉ place, victimes d’inégalités criantes et d’un modèle aussi coûteux qu’inefficace.

Face à ces réussites, le Maroc peine à masquer ses failles. Nos hôpitaux publics, déjà saturés, manquent cruellement de ressources humaines, de lits, de médicaments accessibles et d’infrastructures de base. Les urgences débordent, les files d’attente s’allongent, et les médecins, épuisés, désertent ou envisagent l’exil. Le rapport de CEOWORLD ne fait que confirmer ce que les citoyens dénoncent chaque jour devant les établissements de santé : la faillite d’un système censé protéger les plus vulnérables.

Les chiffres corroborent ce malaise. Sur le plan des ressources humaines, le Maroc dispose d’un volume de médecins qui reste insuffisant et inégalement réparti. Les données récentes recensent environ 29.000 médecins, soit environ 0,79 médecin pour 1.000 habitants (7,9 pour 10.000), un ratio qui place le Royaume en dessous des standards auxquels aspirent la plupart des pays émergents et loin des recommandations internationales en matière d’accès primaire et d’équité territoriale. Cette carence se double d’une concentration excessive des professionnels le long de l’axe Casablanca–Rabat, laissant de vastes territoires dépourvus d’accès régulier à la médecine spécialisée. Le constat s’impose : sans stratégie de redistribution et d’attractivité pour les zones rurales, la fracture territoriale s’aggravera davantage.

Cette crise sanitaire s’accompagne désormais d’une crise sociale. De Meknès à Essaouira, en passant par Agadir, Béni Mellal ou Tiznit, les sit-in se multiplient devant les hôpitaux. Les slogans des manifestants traduisent une colère profonde : «La santé est un droit, pas un luxe». Mais au lieu d’écouter ce cri de détresse, les autorités ont choisi la répression. Le ministère de l’Intérieur interdit les rassemblements, disperse les foules, interpelle militants et simples citoyens. Cette fermeté autoritaire, loin de calmer la rue, alimente une indignation croissante et met en lumière le fossé entre la souffrance des Marocains et l’inertie de ceux qui les gouvernent.

Or, la leçon de ce classement de CEOWORLD est limpide : la santé n’est plus seulement une affaire locale, elle conditionne la compétitivité économique, la stabilité sociale et la capacité géopolitique des nations. Investir dans la santé, c’est investir dans la résilience économique et la souveraineté politique. Le Maroc, en se maintenant au bas de l’échelle, sacrifie non seulement la santé de ses citoyens, mais aussi son avenir.

Le contraste est saisissant. Tandis que Taïwan déploie des cartes intelligentes d’assurance et que la Corée du Sud intègre l’IA pour anticiper les besoins sanitaires, nos hôpitaux peinent à fournir des médicaments de base ou à maintenir un minimum de dignité dans l’accueil des patients. La modernisation tant promise reste prisonnière des discours politiques et des plans stratégiques jamais concrétisés.

Le Maroc aime à se présenter comme un pays en transition, en route vers l’émergence. Mais comment parler de développement quand l’un des piliers fondamentaux de la société, la santé, s’effondre sous nos yeux? Comment espérer bâtir une économie compétitive quand la population est fragilisée par un système de soins défaillant? Comment convaincre de jeunes médecins et chercheurs de rester servir leur pays quand les conditions de travail les poussent inexorablement vers l’étranger?

Le rapport de CEOWORLD ne fait pas qu’exposer un classement : il renvoie le Maroc à ses contradictions et à ses responsabilités. Il rappelle que la santé n’est pas une faveur octroyée par l’Etat, mais un droit fondamental. Il souligne que l’inaction ne peut plus durer, car chaque jour perdu coûte des vies, accentue les inégalités et nourrit la défiance envers les institutions.

A l’heure où les mobilisations pacifiques sont étouffées par la répression, l’indignation citoyenne se transforme en une revendication politique majeure. La question de la santé publique devient ainsi un baromètre de la démocratie au Maroc : écoutera-t-on la voix des citoyens et des soignants, ou continuera-t-on à gouverner par la peur et le silence?

Le Maroc est aujourd’hui à la croisée des chemins. Soit il s’inspire des modèles qui réussissent, investit massivement dans ses hôpitaux, valorise son personnel médical et modernise son système de soins. Soit il persiste dans la logique du déni, au risque de voir la colère sociale se transformer en crise politique durable. Le classement 2025, loin d’être une simple statistique, sonne comme un avertissement. La santé des Marocains est en jeu. Et avec elle, l’avenir du pays.

Mehdi Ouassat


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