Liberté, égalité et promotion de la connaissance sont garantes de la prospérité de demain


Par Youssef Mahassin *
Jeudi 11 Octobre 2018

Depuis très longtemps, nos sociétés archaïques, féodales et pré-féodales, fondaient leur économie sur la pêche, l’agriculture et sur un commerce primitif, une situation qualifiée par les économistes de “quasi-stationnaire”. Il fallait attendre l’avènement du 19ème siècle pour briser à jamais le pouvoir des propriétaire terriens en cédant la place au capitalisme industriel, qui, lui, partagera petit à petit le territoire avec un nouvel entrant, qui est “l’entrepreneur”. C’est cet innovateur, briseur de la routine qui est à l’origine de la création de la richesse (J.Schumpeter, capitalisme socialisme et démocratie). Dès lors, la croissance économique, le phénomène très récent, annoncera une rupture avec le passé, les taux de croissance entraînent une multiplication de la richesse, propulsent l’échange des marchandises venant de tous les coins du monde et influencent l’ensemble de nos habitudes économiques. La société de consommation, qu’on a pris l’habitude de mépriser, n’est-elle pas dans une certaine mesure le reflet de l’opulence qui caractérise nos sociétés contemporaines ? (ère de l’opulence, J.K Galbraith).
Aujourd’hui, nous franchissons l’ère de la “société post-industrielle”. La technologie et la démocratisation de l’information se sont conjuguées à des individus ingénieux pour annoncer le commencement de la nouvelle structure sociale, dans laquelle les idées l’emportent vivement sur le béton. Suite à quoi, ce fut une première au cours de notre histoire où un groupe de partisans de l’innovation, se servant de leurs capacités naturelles et de leur curiosité, figurent aujourd’hui dans le Top 20 des personnages les plus riches de la planète : Mark Zuckerberg, Bill Gates, Jack Ma et Jeff Bezos et d’autres incarnent cette grande transition sociétale vers l’économie de la connaissance.
A l’encontre, nombreux sont les pays qui semblent écartés ou modestement connectés à cette dynamique. Au lieu de prendre le virage de la promotion de la connaissance et de la libération de l’individu et de son ingéniosité, ils préfèrent encore débattre de sujets désuètes et complètement désalignés du contexte dans lequel nous vivons. En conséquence, leur économie demeure peu développée.
En outre, le progrès observé dans les économies avancées ne peut être dissocié d’un long processus d’individualisation de la vie en société où les relations de pouvoir ne passent plus par des relations directes entre personnes mais via des institutions : culture, politique, monnaie, etc. (P.Bordieu).
A partir de cette analyse, il en ressort que le retard observé dans lesdits pays peut être dû aux défaillances de leurs institutions, peu propices au développement et où au moins deux différents systèmes et modes de pensée coexistent et, par conséquent, marchent à des vitesses totalement contradictoires. L’une tire vers l’avant et l’autre demeure otage des traditions et d’une vision holistique, paralysante de la créativité et interdisant toute floraison de l’individu. Cet article ambitionne de décortiquer certains de ces éléments non économiques qui nuisent à notre émergence économique et empêchent l’apparition de Google, Samsung, Baidu, Ali Baba, etc dans nos sociétés.

Le besoin pressant
d’émergence de l’individu


Dans un monde marqué par la fin des grands récits (J.F Lyotard) et à l’aube des grandes mutations technologiques, notamment, avec les bienfaits que procure la transition numérique (villes intelligentes, Internet of things), le concept de “l’individualisme révolutionnaire” du poète français Allain Jouffroy se concrétise davantage, ainsi, l’économie sous cette nouvelle ère serait la science de l’individu par excellence. Face à la montée des nouvelles plateformes de “partage” comme Airbnb, BlaBlacar, Uber, etc, les grandes boîtes traditionnelles, celles du management vertical hiérarchique, céderont inévitablement face à la nouvelle tendance. Le résultat serait la disparition des activités traditionnelles archaïques et dépassées au profit de l’ubérisation naissante (le phénomène de la destruction créatrice schumpétérienne). Face à ce changement imminent, l’enjeu serait alors de préparer au mieux les conditions d’épanouissement des talents individuels, la liberté en est une condition de premier ordre.
C’est dans ce sens qu’Amartya Sen, le prix Nobel d’économie 1999, considérait le développement comme le processus par lequel les libertés réelles des personnes s’accroissent. De notre côté, on peut interpréter le sous développement comme étant le triomphe des carences délimitant la prolifération de ces libertés. Et par conséquent entravant l’émergence de l’individu.
- Les carences d’ordre politique : au cours de la seconde moitié du 20ème siècle, nombreux sont les pays ayant rejoint le club des démocraties établies (3ème vague de démocratie, S.Huntington). Et mis à part quelques rares exceptions, les exemples soulignant le lien causal entre le système démocratique et la voie vers le développement sont éloquents : l’Inde, le Brésil, la Corée du Sud et dans une moindre mesure la Turquie. Ces pays ont tiré profit des piliers universels de la démocratie que sont l’Etat de droit, le pluralisme et la séparation des pouvoirs pour donner lieu à une société civile dynamique et porteuse de la valeur ajoutée. Dans le même ordre d’idées, la consolidation démocratique renforce les institutions garantes de la protection des biens publics et privés et, par conséquent, avive le sentiment d’appartenance et d’attachement à la communauté, une communauté qui se déclare entièrement en faveur de l’individu.
Pour leur part, les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord traînent en queue du classement de Polity IV sur la démocratie, à l’exception du Liban et de la Tunisie, dont la capitale “Tunis” figure parmi les 10 villes les plus attractives pour lancer une startup. Tous les autres pays ont échoué à l’examen de la transition démocratique (dans un scoring oscillant entre -10 et 10).
- Les carences du système de croyances : Hayek dit qu’un économiste qui n’est qu’économiste est un danger pour la société. Cette affirmation est juste ! N’est-il pas vrai que nos actes économiques d’achat, de vente, d’investissement ou de thésaurisation sont tous des manifestations de notre Background culturel, intellectuel et émotionnel ? C’est pratiquement ce Background, auquel se sont intéressés les auteurs de l’économie des conventions (version française de l’institutionnalisme américain), qui supervise notre prédisposition au développement.
En effet, bien qu’il y ait quelques différences notables d’une communauté à l’autre, les modèles sous développés se démarquent par la marginalisation de l’individu, sa subordination et peut être même sa disparition
devant la puissance du groupe, des habitudes, des croyances et de l’Etat. Dès lors, la liberté individuelle, garante de la prospérité, devient assiégée de tous côtés et l’ensemble de ces circonstances donne lieu à un citoyen passif sous estimant lui-même ses talents et entièrement liés à une interprétation passéiste du destin.    
Ce n’est donc pas un hasard que la majorité des sociétés à forte tradition conservatrice, hostile à la liberté d’expression, de culte et de création sont en même temps les pays où se développe le moins l’entrepreneuriat : dans un contexte où les opportunités du e-commerce et du secteur de la Tech sont extrêmement abondantes, la représentativité et l’ampleur des startups arabes à l’échelle mondiale demeurent très timides. L’application émiratie Fetchr, considérée comme étant la meilleure startup arabe selon Forbes Middle East, affiche près de 100.000 téléchargements (un score respectable en tenant compte des difficultés de financement dans le monde arabe) mais en la comparant avec Airbnb ou Uber qui frôlent aisément des dizaines et des centaines de millions d’utilisateurs à travers le monde, l’écart s’avère nettement important.

L’école, une voie qui
nous oriente vers l’avenir


Pour des millions d’adolescents à travers le monde, l’école n’est plus un lieu super excitant, elle l’était en 1905. En Corée du Sud, pays connu pour avoir réalisé les meilleurs résultats aux concours internationaux de lecture, de mathématiques et de sciences, 1 étudiant sur 5 dit avoir songé au suicide, qui, depuis 2011, est la principale cause de décès chez les jeunes. La raison : le manque de sommeil à cause de la surcharge des études.
Bien que ce modèle mérite l’admiration pour ce qu’il représente en matière de sérieux et de hardworking (il y a 70 ans, sept Coréens sur dix ne savaient ni lire ni écrire alors qu’aujourd’hui 90% des écoliers parviennent à intégrer l’université, un record mondial expliquant en grande partie les prouesses de Samsung LG et Hyundai), mais, il faudrait tout de même s’en distancier et réfléchir sur l’efficacité et le degré de faisabilité de ce modèle dans les pays situés au Sud de la Méditerranée et en particulier le Maroc.
Malcom Gladwell dans son best seller “The story of success” évoque la règle d’or : “Pour réussir, il vous faut 10 mille heures de travail intense”, mais en revanche, insiste sur la présence de certains facteurs de réussite généralement écartés de nos calculs habituels, comme le lieu et les dates de naissance, la culture, la langue, la classe sociale...Par exemple, il remarque que la majorité absolue des stars du hockey au Canada sont nés au début des mois de janvier et février, l’explication rationnelle est que leur dixième anniversaire coïncide avec le début du recrutement de la nouvelle équipe scolaire. Ils bénéficient d’une année d’entraînement en avance sur leurs collègues. Un jeune Chinois de 7 ans est plus fort en mathématiques qu’un Américain du même âge, rien de magique! Les chiffres chinois sont plus rationnels et faciles à mémoriser chez l’enfant que les chiffres anglais.

Oublions le copier-coller

En effet, ce genre de raisonnement est intéressant afin que le décideur soit souple lors du lancement d’initiatives de réforme des programmes de l’éducation nationale.
La compréhension du caractère de l’enfant et de son entourage est extrêmement influente sur le succès de la réforme. Le mode de vie des peuples de la Méditerranée et plus particulièrement de l’Afrique du Nord n’est pas très favorable à la discipline excessive et au stress, les heures de travail intenses peuvent en réalité avoir des effets pervers.
Heureusement qu’il n’y a pas qu’une seule et unique façon de faire les choses : les élèves finlandais rivalisent avec leurs homologues coréens. Pourtant, dans le système éducatif finlandais est tout le contraire de celui coréen. Les enfants passent moins d’heures en salles d’études, ils commencent l’école à 7ans, et jusqu’à l’âge de 11 ans, il n’y a pas d’évaluation et les notes chiffrées n’apparaissent que plus tard, le 0 n’existe pas.
Ce modèle, qui va de pair avec la finalité du progrès humain (quête du bonheur), peut en effet s’adapter à la réalité marocaine en promouvant davantage chez les élèves l’esprit d’initiative, le travail de groupe, l’entraide et les activités parascolaires (théâtre, sport, bénévolat...) tout en délimitant les nombres d’heures en salles et en gardant le nécessaire des manuels scolaires. L’embellissement de l’école qui, devenant parallèlement un lieu de divertissement et d’apprentissage, facilitera d’emblée l’inculcation du goût de la lecture chez les enfants ainsi que les valeurs de créativité, du respect et d’indulgence dont on a urgemment besoin plus que tout autre moment de notre histoire.
Par ailleurs, ces mesures n’excluent en aucun cas le rôle déterminant de l’encadrement et de la sélectivité des enseignants notamment au primaire, le choix pragmatique des langues employées pour l’apprentissage, le talent du professeur, et enfin le génie du décideur national dans l’élaboration d’une formule adaptable au contexte marocain et en phase avec les enjeux de l’économie de la connaissance.

L’égalité, un combat
de tous les jours


Aujourd’hui, l’égalité des genres figure au cœur de la question du développement. les derniers classements en la matière attribuent les premières places aux pays nordiques. A l’échelle continentale, le Rwanda a occupé la 4ème place dans le classement du Forum économique mondial de 2018.
Au Maroc, le fossé est encore important entre la théorie et la pratique. la Constitution de 2011 stipule l’égalité, mais celle-ci ne se manifeste pas clairement dès qu’il s’agit d’aborder la mise en œuvre d’actions et de mesures de tous les jours. Ainsi et à l’encontre des fausses idées largement véhiculées par le grand public, la femme ne participe que faiblement à l’activité économique (25% contre 72% des hommes). En termes économiques, il s’agit d’un manque à gagner et d’une ressource inexploitée sachant que le développement économique de tout pays est tributaire de l’utilisation rationnelle de son capital humain. Ces femmes, travailleuses ou pas, sont les plus frappées par l’analphabétisme, l’inégalité de patrimoine et la discrimination au lieu du travail. La présence des femmes dans les postes de responsabilité est encore faible. Elle ne dépasse pas 22% dans le secteur des télécoms où on enregistre la meilleure prestation, un chiffre qui est au-dessous de la moyenne africaine, selon le cabinet Mckinsey.
Conséquemment, le Maroc est classé en matière de parité 136ème à l’échelle mondiale et 6ème au niveau arabe. Un classement presque en corrélation avec celui du développement humain (123è).
L’Etat et la société auront tout à gagner en améliorant les taux d'emploi des femmes. La preuve en est le Rwanda qui arrive à doubler son PIB tous les dix ans grâce à une croissance soutenue de 7%.
En gros, la question de l’égalité n’est pas un sujet qui devrait être monopolisé par un ministère, ou un dossier rangé minutieusement sur les étagères d’un quelconque établissement. Ce n’est non plus pas un débat strictement féministe. C’est un combat de tous les jours et qui doit concerner tous les aspects de la vie sociale, à l’école, à la maison et au lieu du travail. Bref, c'est la volonté d’une société qui tient à son progrès et à sa pérennité.  
Pour conclure, il faut dire que la révolution numérique, ce phénomène inéluctable qui puise sa puissance de sa spontanéité et de son évolution imprévisible, ne fait que commencer. Le monde de demain deviendra “ une plate-forme d’intelligence collective”. Ainsi, l’enjeu sera de préparer les citoyens, hommes et femmes, à y adhérer non pas uniquement comme de simples utilisateurs mais aussi et surtout comme des concepteurs de l’intelligence de demain. Pour atteindre cet objectif, l’Etat devra promouvoir davantage la liberté, l’égalité et la diffusion de la connaissance.

 * Etudiant chercheur en économie


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