Cyberguerre : La bataille Invisible sur le champ des esprits

Quand l’engagement collectif devient la première ligne de défense


Abderrazak Hamzaoui
Mercredi 11 Juin 2025

Cyberguerre : La bataille Invisible sur le champ des esprits
Les guerres de demain ne porteront ni sur les terres ni sur les barils. Elles ne se livreront plus dans les plaines, entre deux armées en uniforme, mais dans les silences des cerveaux, dans les zones grises de l’attention humaine.

Les guerres de demain se livreront dans les silences des cerveaux
 
 Elles auront lieu au plus profond de l’invisible, là où se forme l’opinion, là où se forge la croyance. Ce ne seront plus des guerres pour conquérir, mais pour convaincre — ou plutôt, pour convertir. Car l'enjeu n’est plus le pétrole ni l’or, mais l’esprit. Plus la matière mais l’interprétation de la matière.
 
Les données, disait-on, sont le nouveau pétrole. Erreur. Elles sont bien plus : elles sont la glaise des nouveaux récits. Des blocs bruts, inertes, sans couleur, sans saveur. Mais qu’un œil les lise, qu’un algorithme les arrange, qu’un narrateur en fasse une prophétie — et elles deviennent armes. Les données ne valent que par leur interprète. Et dans ce théâtre de l’invisible, celui qui contrôle le récit des données, contrôle la carte mentale du monde.

C’est là que réside la menace. Non dans la fuite des données, mais dans ce qu’on en fait après la fuite. Non dans leur exposition, mais dans leur réécriture. Chaque fuite devient une graine. Ce qui en sort dépend du sol : une vérité dans une terre fertile ; une rumeur dans un champ empoisonné. Et comme les esprits sont les nouvelles géographies à conquérir, chaque donnée devient une flèche. Chaque interprétation, une invasion.

Manipuler un esprit, c’est plus rentable que manipuler un territoire. Un territoire demande des troupes, des chars, des frontières. Un esprit n’a besoin que d’un récit. Et l’on peut, avec quelques phrases bien plantées, faire basculer une génération, renverser une éthique, installer le doute comme virus.Ce n’est pas la vérité qu’on cherche. C’est le contrôle de la grille de lecture. Car entre le fait et l’effet, il y a le filtre. Et ce filtre, c’est la prochaine ligne de front. Qui contrôle le filtre, contrôle la foi, la peur, le vote, le silence.

Alors non, les prochaines guerres ne seront ni économiques, ni territoriales. Elles seront herméneutiques. Ce sont des guerres sur le sens. Des guerres sur ce que nous devons croire. Et dans ces batailles feutrées, le soldat ne porte pas d’uniforme : il s’appelle influenceur, journaliste, analyste, programmeur, scénariste. Le nouveau général est celui qui sait raconter, avec des chiffres, des images, des émotions. Et le champ de bataille est désormais au creux de nos écrans, au fond de nos imaginaires, dans les plis secrets de nos convictions.

La cybersécurité est d’abord une affaire d’âme collective 

C’est par là qu’il faut repositionner la question, au cœur même du réel : la cybersécurité n’est pas qu’affaire de pare-feux ou d’algorithmes, elle est d’abord une affaire d’âme collective. Trop longtemps cantonnée aux lignes de code et aux audits froids, on a oublié que la première brèche ne vient pas d’un virus informatique, mais d’un vide intérieur — celui de l’appartenance effritée.

L’information n’est plus simplement donnée, elle est pouvoir latent. Elle circule plus vite qu’elle ne se comprend. Elle se copie, se falsifie, s’arme. Et avec les outils de l’intelligence artificielle, cette mutation s’accélère. Ce n’est plus seulement ce que l’on sait qui compte, mais ce que l’on fait croire que l’on sait. Les machines apprennent à raconter, à convaincre, à simuler l’autorité. Et dans ce monde où l’illusion devient vérité par viralité, la sécurité ne peut plus reposer uniquement sur la technique.

Les ingénieurs, les spécialistes, les analystes de la menace font leur travail. Ils posent les digues. Mais à quoi sert la digue, si l’on ne croit plus à ce qu’elle protège ? La première ligne de défense est invisible : c’est l’appartenance. C’est ce lien intime, presque sacré, que l’individu tisse avec son institution, avec son pays, avec son peuple. C’est ce qui fait qu’il ne trahira pas, qu’il ne fuira pas, qu’il ne détournera pas.

Un employé qui ne croit pas à l’édifice qu’il sert est un danger. Un citoyen qui ne se sent pas partie prenante du destin collectif est une faille. Car la loyauté n’est pas une obligation légale — c’est une adhésion morale. Et là se joue l’essentiel : non pas dans les protocoles, mais dans le cœur. C’est l’employé qui se sent bâtisseur d’un projet plus grand que son salaire. C’est le citoyen qui se sait maillon d’une chaîne millénaire. C’est chacun qui se voit héros discret d’un récit partagé.

Et si nous voulons renforcer nos murailles numériques, alors il faut d’abord renforcer nos mythes communs. Redonner du sens. Rallumer la fierté. Réconcilier la technologie avec la mémoire. Car l’arme la plus puissante, celle qu’aucune IA ne peut pirater, c’est l’identité habitée, le sentiment d’être utile, d’être à sa place dans une fresque qui nous dépasse.

Alors, que chacun se voie contributeur du héros collectif. Ce héros sans visage, sans statue, mais dont chaque action alimente la survie, la prospérité et l’honneur du tout. Ce héros que l’on devient quand on comprend que le simple fait de protéger une donnée, de dénoncer une faille, de faire son travail avec droiture — c’est déjà écrire un chapitre de la légende nationale.

Ce qu’on refuse d’entendre aujourd’hui deviendra demain ce qui nous surprendra avec fracas 

Mais pour qu’un héros collectif puisse naître, il faut d’abord que le terrain moral soit fertile. Et cela commence, inévitablement, par le regard que portent les responsables sur ceux qui osent parler. À tous les niveaux de pouvoir, du chef d’équipe au plus haut sommet des institutions, il faut cesser de percevoir la critique comme une flèche empoisonnée, et commencer à la voir pour ce qu’elle est réellement : un signal de loyauté. Car seuls ceux qui croient encore à l’édifice prennent le risque de parler. Ceux qui s’en détachent se contentent de se taire.

Or, tant que l’on répond aux critiques par des postures défensives, tant qu’on clôt les débats à coups de rapports bien rédigés et de silences administratifs, on ne soigne rien. On calme les symptômes, on fait taire la douleur, mais la cause, elle, continue de creuser. Et toujours, elle reviendra, plus rusée, plus virulente. Ce qu’on refuse d’entendre aujourd’hui deviendra demain ce qui nous surprendra avec fracas.

La gouvernance véritable n’est pas dans le contrôle. Elle est dans l’écoute active. Elle est dans la reconnaissance de l’intention derrière la parole, même lorsqu’elle dérange. Surtout lorsqu’elle dérange. Car le courage de parler est une forme de don. Et ignorer ce don, le mépriser, le faire taire, c’est étouffer la voix de l’amélioration.Le héros collectif, lui, ne se bâtit pas dans le confort du consensus, mais dans l’honnêteté du désaccord. Dans la vérité partagée, même lorsqu’elle est rugueuse. Et cette vérité n’est plus un luxe, elle est une nécessité vitale dans un monde où la transparence devient la normeet la manipulation devient la stratégie dominante.

À l’ère des deepfakes et des narratifs instrumentalisés, il ne reste qu’un seul rempart : l’honnêteté assumée. Celle qui dit : "Voici ce que nous savons, voici ce que nous ignorons, et voici ce que nous ferons ensemble." Car la confiance ne se réclame pas, elle se construit dans chaque geste, dans chaque mot aligné avec les faits, dans chaque prise de responsabilité publique.Et dans ce monde qui devient un théâtre permanent, le héros collectif n’est pas celui qui joue un rôle, mais celui qui reste vrai. Vrai face à lui-même, vrai face aux autres. C’est cette honnêteté partagée, cette intégrité réciproque, qui fera de chaque individu une pierre vivante dans l’édifice national. Une sentinelle contre la corruption de l’esprit. Un garde-fou contre les mirages du mensonge.

Alors, pour que l’on continue d’appartenir, il faut que ceux qui écoutent fassent place à ceux qui parlent. Que ceux qui gouvernent se rappellent que la critique n’est pas un procès, mais une main tendue dans l’ombre. Une chance de grandir avant que le réel, lui, n’exige de le faire dans la douleur.

Par Abderrazak Hamzaoui
Email : hamzaoui@hama-co.net
www.hama-co.net


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