Les mineurs non accompagnés face à leur insoutenable misère


Hassan Bentaleb
Mardi 12 Avril 2022

Privés de tout soutien psychologique et livrés à la précarité, à la solitude, à la dépression…

Les mineurs non accompagnés face à leur insoutenable misère
Nos mineurs nos accompagnés (MNA) en France risquent trop leur santé mentale et psychique. Les conséquences de l’asile et la politique de non accueil de l’Hexagone les impactent durement, en particulier ceux qui ne sont pas pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE). En effet, un récent rapport de Sans Frontières (MSF) et du Comede (Comité pour la santé des exilé·e·s) conclut que les contextes dans lesquels ils sont nés et ont grandi, les parcours migratoires qu’ils ont empruntés mais aussi les conditions de vie auxquelles ils sont confrontés en France sont autant d’épreuves qui mettent à mal leur santé mentale. Décryptage.

Dépression, perte et deuil
Le nombre de MNA marocains en France demeure indéfini, la migration des mineurs demeure difficile à chiffrer et les statistiques publiées ne traduisent certainement pas la réalité, l’ampleur, les tendances et le nombre d’enfants réellement impliqués dans cette situation. Ces mineurs sont, en effet, très mobiles, empruntent souvent des voies officieuses et évitent le contact avec les autorités au cours de leur périple migratoire. Un rapport officiel français datant de 2019 a indiqué que 16.760 personnes ont été déclarées comme mineures non accompagnées entre le 1er janvier et le 31 décembre 2019 contre 8.054 en 2016. Parmi elles, il y a eu des jeunes Marocains de plus en plus nombreux depuis 2017 et attirant particulièrement l'attention des associations et des pouvoirs publics. En cause : de nombreux cas de délinquance, d'agressions et d'addiction aux drogues ont été relevés. Ces mineurs marocains comme tant d’autres endurent, selon le dernier rapport des MSF et du Comede, des souffrances psychologiques et mentales. Intitulé « La santé mentale des mineurs non accompagnés - Effets des ruptures, de la violence et de l’exclusion», ledit rapport a indiqué que sur les 395 jeunes suivis par MSF et le Comede, 12% sont atteints de dépression – parmi eux, 62% souffrent de dépression aiguë et 38% de dépression chronique. Le trouble dépressif se traduit par une humeur triste mais aussi par un ralentissement psychomoteur et psychique, une perte d’appétit, des insomnies, des plaintes somatiques, une irritabilité ou une anxiété et des idées suicidaires. Ce syndrome met en danger les jeunes car le contexte dans lequel ils évoluent est très exigeant. Ils doivent mobiliser beaucoup de ressources psychiques et d’énergie pour évoluer et survivre dans une société nouvelle dont ils ne maîtrisent pas les codes et la langue, très différente de l’environnement dans lequel ils ont grandi. La dépression chez les MNA peut être, explique le rapport, liée tant aux événements vécus dans le pays d’origine ou sur la route migratoire qu’aux conditions de vie précaires et instables en France. En effet, la plupart des dépressions diagnostiquées par les psychologues de MSF et du Comede sont liées à un deuil pathologique induit par le décès d’un parent dans le pays d’origine ou d’un accompagnant sur la route de l’exil. Les jeunes sont alors séparés des personnes qui les soutenaient et vivent cette perte sur un versant abandonnique. Toutefois, la dépression chez les MNA peut également être liée à la longueur et à l’incertitude des procédures administratives. Il arrive parfois que des mains levées (des fins de prise en charge) soient prononcées alors que les jeunes bénéficiaient d’une mesure d’assistance éducative. Ces revirements déstabilisent fortement les jeunes qui doivent s’engager une nouvelle fois dans un combat administratif pour réintégrer la protection de l’enfance. De nombreux jeunes ont vécu la perte d’un proche ou la perte de leur soutien. 55% des jeunes de la cohorte déclarent avoir perdu un parent ou un proche dans leur pays d’origine. 55% des jeunes ont connu une désorganisation de la famille et 44% des conflits intrafamiliaux. Ceci est souvent la conséquence du décès d’un parent de l’enfant.

Trouble psychique
Mais, il n’y a pas que la dépression et la perte qui affectent ces MNA, le rapport révèle également que 50% des jeunes suivis souffrent par conséquent d’une détresse massive et réactionnelle à un facteur de stress. La précarité dans laquelle ils sont maintenus par la politique du non accueil en France semble être le facteur de stress sévère qui nourrit leur trouble. Dépourvus de protection, de statut administratif et de représentation légale, les jeunes se savent isolés et vulnérables. En réaction, certains développent un trouble psychique. « Il est possible de lier l’apparition de ce trouble à la précarité des conditions de vie en France puisqu’il a été observé que les symptômes cessent lorsque les jeunes sont pris en charge dans un environnement sécurisant et adapté à leurs besoins, dans le cadre de la protection de l’enfance. Toutefois, et comme pour les autres diagnostics prévalant chez les MNA pris en charge par MSF et le Comede et détaillés ci-dessus, il n’est pas possible d’établir un lien de causalité invariable. Tous les MNA ne développent pas ce type de trouble, même si tous connaissent des conditions de (sur)vie similaires», précise le rapport.

Conditions de vie précaire
En outre, le rapport des MSF et du Comede démontre que 45% des jeunes suivis déclarent connaître des difficultés pour accéder à de la nourriture – seuls 6% connaissaient ces difficultés dans le pays d’origine. Les MNA non reconnus mineurs et non pris en charge par l’ASE ne bénéficient d’aucun dispositif d’aide financière. Ils sont totalement dépendants des activités de charité (distributions alimentaires, dons de vêtements et de matériel de camping, permanences juridiques, associatives…). Chez les MNA, la maîtrise du français est très hétérogène, ajoute le rapport. Or du degré de maîtrise de la langue dépend le degré de compréhension de l’environnement. Les jeunes qui maîtrisent le français se sentent plus en sécurité car ils se repèrent plus facilement dans l’espace. L’accès aux cours de français contribue à atténuer l’anxiété induite par le nouvel environnement. Les jeunes suivis font preuve d’une forte volonté d’accéder à la scolarité. Une grande majorité d’entre eux idéalisent le système éducatif français et rêvent de se former. Ils partagent régulièrement leur inquiétude quant aux conséquences de l’absence de formation sur leur insertion dans la société française. Nombre d’entre eux ne parviennent pas à être inclus dans un cursus scolaire et ne bénéficient d’aucune formation le temps de la procédure en reconnaissance de minorité. Les MNA souffrent également de la solitude. L’absence des proches crée un sentiment de solitude abyssal chez les MNA. Cet isolement intervient à un moment où les jeunes sont encore censés bénéficier de l’étayage parental. Par ailleurs, ces jeunes possèdent une grande capacité à créer des liens. Malheureusement, elle est souvent mise à mal par la discontinuité des parcours de vie en France. Ces ruptures font écho à des ruptures antérieures à l’exil et risquent d’aggraver la souffrance psychique des jeunes. Les MNA en recours sont dans leur grande majorité des sans domicile fixe (SDF). Les services de soins, notamment les centres médico-psychologiques (CMP) et les centres médico-psychologiques pour enfants et adolescents (CMPEA), devraient prendre en charge les MNA, même SDF, mais certains services invoquent la sectorisation pour ne pas le faire. Il est certain que la précarité sociale et administrative ainsi que l’isolement dans lesquels se trouvent les MNA rendent la prise en charge difficile pour les soignants, qui se sentent démunis pour répondre à leurs multiples problématiques. En effet, ces jeunes sont seuls, sans parents, sans référent éducatif, sans hébergement, sans ressources, sans scolarité. Toutes ces spécificités envahissent le champ du soin. Les soignants peuvent avoir le sentiment d’être mis en position de témoins impuissants de cette grande exclusion. De plus, certains soignants peuvent considérer que, dans la mesure où la souffrance psychique est causée par des problèmes sociaux, le traitement de cette souffrance n’est pas du ressort du soin. Pourtant, même si les troubles psychiques sont réactionnels à une souffrance d’origine sociale, il est nécessaire que les soignants puissent les prendre en charge.

Absence de protection sociale
La difficulté d’accéder à une protection sociale constitue un autre obstacle à l’accès aux structures de santé et aux traitements. En tant que mineurs, les MNA devraient avoir accès à l’assurance maladie avec la complémentaire santé solidaire (C2S). Pour autant, en pratique, les MNA en recours sont considérés comme des majeurs en situation irrégulière et n’ont accès qu’à l’aide médicale d’Etat (AME). Cette prestation sociale est attribuée sous condition de résidence. Pour les publics sans domicile, il est alors nécessaire d’obtenir au préalable une domiciliation administrative auprès d’un organisme domiciliataire ou d’un centre communal d’action sociale (CCAS). Cependant, les places de domiciliation manquent, notamment en Île-de-France. Ce manque est accentué par le refus de la part de certains organismes domiciliataires d’inscrire les mineurs. Ces démarches sont difficiles pour un public parfois non francophone et qui ne maîtrise pas le système administratif français. Pour répondre à ces difficultés, les assistantes sociales présentes dans les structures de santé sont chargées d’ouvrir les droits à l’AME et, le cas échéant, à la domiciliation. Cependant, elles ne disposent pas toujours des moyens suffisants pour le faire. Le manque de temps, la méconnaissance des particularités du public MNA (absence de représentation légale) et des lieux de domiciliation ouverts aux mineurs rendent difficile l’ouverture de ces droits. Lorsqu’une domiciliation administrative a néanmoins pu être obtenue, ce sont les délais et les conditions de traitement des demandes d’AME par les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) qui constituent un nouvel obstacle. Il n’est pas rare que s’écoulent plusieurs mois entre l’envoi d’une demande et l’ouverture effective des droits. Ces longs mois d’attente s’expliquent par des dysfonctionnements dans la prise en charge des dossiers AME. En effet, il arrive que les CPAM réclament des pièces justificatives complémentaires pourtant non prévues par la loi. Il est difficile de trouver des lieux de soins qui acceptent de soigner des patients dépourvus d’assurance maladie. La question du financement de ces activités est un sujet très important qui n’est pas traitée de manière uniforme. Chaque lieu de soin en décide en fonction de ses capacités mais aussi de ses orientations.

Profils divers et atypiques

 Qui sont réellement ces mineurs ? Loin de l’image donnée par les médias étrangers les décrivant comme des personnes livrées à elles-mêmes ou prises en charge par des filières clandestines, ne parlant souvent pas un mot de langue étrangère, accros à la «colle» et qui multiplient les larcins et les agressions de plus en plus violentes, Olivier Peyroux, sociologue, explique dans un entretien sur les MNA en France dont des Marocains, qu’il ne s’agit ni d’orphelins ni d'enfants de la rue, mais plutôt d’enfants qui ont des attaches familiales, dont certains savent lire et écrire. «Il n’y a pas vraiment de profil type, certains ont immigré pour trouver du travail, d’autres après avoir été marginalisés à cause du remariage d’un de leurs parents, certains ont imité des amis… La principale évolution, c’est que, depuis deux ans, on voit arriver des mineurs venus d’Algérie ou de Tunisie alors qu’auparavant, ils étaient tous originaires du Maroc», précise Olivier Peyroux dans un entretien avec le journal français 20 minutes. Le sociologue a affirmé, par ailleurs, que la plupart des MNA s’enfuient des foyers dans lesquels ils sont placés et refusent toute aide. Et de préciser que certains jeunes s’en sortent. «Ceux qui sont dans la rue aujourd’hui ne sont pas ceux d’il y a quatre ans. Certains sont repartis comme ils sont venus sans qu’on sache ce qu’ils font ni où ils sont aujourd’hui, mais d’autres se sont réinsérés », a-t-il indiqué. De son côté, la sociologue Angélina Etiemble a démontré dans un rapport daté de 2002 et intitulé : «Cartographie des mineurs isolés étrangers en France», que le profil type de MNA n’existe pas. En effet, on trouve parmi ces mineurs «les exilés» qui viennent de toutes les régions ravagées par la guerre et les conflits ethniques ; «les mandatés» dont le départ est incité, aidé, voire organisé par leur famille (parents ou proches), afin de travailler, d’envoyer de l’argent, de poursuivre des études ou d’apprendre un métier, l’objectif secondaire peut être parfois de faire venir plus tard le reste de la famille ; «les exploités» par des trafiquants de toutes sortes, parfois victimes de la traite des êtres humains ; «les fugueurs» qui ont quitté leur lieu de vie (parents, famille élargie, orphelinat) à cause des conflits ou de la maltraitance ; «les errants» déjà en situation d’errance dans leur pays d’origine pour certains depuis longtemps (plusieurs mois ou plusieurs années) qui vivaient de la mendicité, de petits emplois de fortune, de délinquance, parfois de prostitution, et qui décident de venir en Europe dans l’espoir d’une vie meilleure ; «les rejoignants» qui rejoignent un membre plus ou moins proche de leur famille installée en Europe. Dans le cas d’un ascendant direct, le but peut être un regroupement familial déguisé ; mais il peut aussi s’agir d’un accueil beaucoup plus aléatoire qui, au gré des conditions d’accueil et/ou du hasard des rencontres, isole le mineur ou le met en danger.
Source : Libération


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