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La mendicité professionnelle, un business jamais en crise : Des “enfants accessoires” loués entre 80 et 320 DH par jour


Rida addam
Mardi 8 Février 2011

La mendicité professionnelle, un business jamais en crise : Des “enfants accessoires” loués entre 80 et 320 DH par jour
A pareille heure de la journée, Malika et Latifa attirent les passants. Les deux quadragénaires abordent une discussion houleuse en usant d’un vocabulaire ordurier  devenu habituel chez les usagers du passage Glaoui au boulevard Mohammed V à Casablanca. Seuls quelques passants avertis comprennent ce qui passe. Les curieux ne peuvent s’empêcher d’intervenir pour les séparer. Mais les deux femmes ne tardent à se prendre par les cheveux. Munies d’une lame de rasoir, Latifa menace Malika de lui taillader le visage si elle ne lui verse pas son dû. De quoi s’agit-il exactement ? Personne ne peut trancher, sauf les marchands à la sauvette qui occupent en masse les lieux.
D’après l’un d’eux, «c’est toujours comme ça avec les fournisseurs de Malika qu’elle refuse de payer. A chaque fois, elle trouve un prétexte pour renégocier le prix.» Obsédée par l’idée que Malika veut l’arnaquer, Latifa refuse de la laisser partir en dépit des efforts des passants. Menacée de l’arrivée de la police par quelques-uns, cette femme robuste ne montre aucune inquiétude. La prison ne lui fait pas peur. «En plus, les policiers me connaissent très bien. Je ne suis pas une femme à problèmes. C’est elle l’arnaqueuse qui ne veut pas me payer 3 jours de loyer. Elle le fait avec tout le monde», poursuit-elle. De quel loyer parle-t-elle ? «Elle lui a loué un enfant qu’elle a payé préalablement à sa mère pour trois jours. Elle est venue récupérer le loyer mais elle refuse de lui verser son argent», explique un marchand ambulant.
Quelques minutes suffisent pour que Malika cède devant les menaces de Latifa. Elle jette par terre une somme d’argent. Latifa se précipite pour les ramasser. Elle n’en prend que son dû et rend à sa cliente la monnaie. Elle ne tarde pas à quitter les lieux vers le passage Sumica où les autres mendiantes la rejoignent. La réunion du chef du district ne durera que quelques minutes, juste le temps de récupérer le loyer, avant de leur donner rendez-vous au Boulevard Mustapha Maâni le soir même à 21 heures.
Délaissée, Malika rassemble ses forces pour reprendre le travail. Coléreuse, elle se met à battre l’enfant assis à côté d’elle. Elle ne le fait pas pour se venger de Latifa, mais pour attirer l’attention des passants. Une manœuvre très usitée par les mendiants qui utilisent des « enfants accessoires » comme appât pour s’attirer la pitié des passants.
L’astuce est très rentable car les gens n’aiment pas voir un enfant pleurer. C’est pourquoi, les âmes charitables sont toujours prêtes à verser parfois des billets de 20 à 100 DH pour que la femme renonce à son acte inhumain. Un chantage devenu fréquent chez certains mendiants professionnels qui usent de tous les moyens pour avoir la pitié des gens. Malika loue cet enfant depuis plus d’un mois. Elle refuse de le changer car il est à ses yeux porte-bonheur. Une conviction qui lui coûte de plus en plus cher. Avertis par des indics installés sur place, Latifa, principal fournisseur d’enfants aux mendiants de ce quartier de la ville, réclame à sa cliente un loyer trop élevé. Chaque jour, Malika doit lui verser 250 DH pour pouvoir garder l’enfant. «Un prix fort pour un enfant mal nourri qui n’inspire que peu la pitié des gens.
Avec un enfant plus joli et surtout bien entretenu, j’aurais gagné plus. Mais ce garçon me porte bonheur.», précise Malika. Et d’ajouter : «Latifa est une prostituée. Elle n’a de pitié pour personne. Je lui ai juste demandé de baisser un peu le loyer de l’enfant, car je suis obligée de le nourrir chaque jour. Et voilà le résultat. Elle a failli me balafrer le visage. Heureusement que je vends aussi des cigarettes pour augmenter ma recette quotidienne». Combien gagne-t-elle par jour ? Impossible de lui tirer les vers du nez. «Louange à Dieu tout puissant. Il me reste de quoi vivre le reste de la journée et payer le loyer de la chambre que j’occupe avec une autre mendiante», ricane-t-elle. Selon le propriétaire de la crémerie en face, «Malika est la moins chanceuse de tous les mendiants de la zone. Elle vient chaque jour échanger des pièces contre des billets. Sa recette dépasse les 600 DH jour. Il y a un vieux mendiant qui exploite un enfant handicapé pour gagner parfois plus de 1000 DH par jour». Une recette importante d’un métier jamais frappé par la crise que plusieurs spéculateurs se partagent. La mère de l’enfant n’a droit qu’à une petite part entre  80 et 320 DH dans les jours ordinaires.
«Un loyer quoi double pendant l’été et les occasions religieuses vu la tendance des gens à faire de la charité. La pénurie des enfants fait augmenter parfois leur prix, notamment en hiver. Les enfants les plus sollicités sont les handicapés, les plus beaux et les bébés», précise un associatif.
«Les moins de 12 ans sont utilisés dans d’autres formes de mendicité : la vente de chewing-gum et de kleenex dans les cafés et les ronds-points. Certains les utilisent dans d’autres deals, tel le nettoyage des vitres de voitures. Le cas le plus spectaculaire est celui de ce colosse qui effraie les femmes au feu rouge de l’axe entre la rue de Sebta et le Boulevard Zerktouni pour leur soustraire de force quelques dirhams.
Pour sa sale besogne, il utilise un enfant en bas âge, qu’il n’hésite pas à malmener, pendant tous le mois du Ramadan et à la veille des fêtes, histoire de soustraire plus d’argent aux automobilistes.
Les femmes accompagnées d’enfants font montre de tristesse et ne cessent de se lamenter. Celles qui refusent de verser beaucoup d’argent aux spéculateurs et aux chefs de districts qui leur louent l’enfant et le coin de la rue à occuper, préfèrent utiliser des poupées qu’elles dissimulent bien dans des tissus. Celles-ci louent la place à 30 DH par jour. Mais elles sont contraintes de la laisser si toutefois le gérant du district, dit chef de district, reçoit une offre plus alléchante de la part d’une «cliente» (mendiante) intéressée par le pack : la place et l’enfant. Là, le chef de district n’hésite pas à remplacer la femme à poupée par une autre à enfant.
Les deux catégories de mendiantes présentent aux passants des photos et des livrets de familles. Souvent ces photos sont les mêmes. Elles les récupèrent chez un laboratoire du quartier qui les vend à 10 DH l’unité. Un accessoire de plus pour montrer un cadre familial déstabilisé par une crise financière toujours due à un licenciement abusif du père de famille, de sa mort accidentelle ou suite à un divorce. Les scénarios sont identiques, seuls les personnages changent.
Les astuces des mendiants munis d’enfants ne manquent pas. A chacun sa technique. Mais l’outil est le même. Des enfants sont à leur disponibilité dans trois coins de la ville : derrière la gare routière Ouled Ziane, dans un coin du boulevard Mustapha Mâani où Latifa avait rendez-vous avec ses clientes et enfin derrière le Complexe sportif Mohammed V à Casablanca.
Le soir même, une dizaine de femmes étaient là à attendre l’arrivée de leur progéniture. Les fournisseurs professionnels s’y mêlent, les spéculateurs aussi. Le moment est propice pour tous. Les mères récupèrent leurs enfants après les avoir examinés minutieusement sous les regards des chefs de districts et de l’arrondissement. Ces derniers leur fixent un rendez-vous pour le lendemain dans un autre coin du boulevard de peur de tomber dans les filets de la police. 


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