Durant la période allant de 1941 à 1970, le regard marocain va changer et se transformer en peinture, en photographie et en cinéma. Il n'est plus question d'être l'objet d'un regard exotique et hautain, mais il s'agit plutôt de prendre ses responsabilités pour s'aventurer derrière la caméra et explorer les méandres du récit en images.
C'est la première fois que le Maroc va s'approprier le dispositif du tournage et de la création. Après l'invention des Lumière, la consécration du cinéma comme 7ème art avec Méliès, la naissance de la narration avec Griffith…, l'histoire mémorisera l'inoubliable conquête de Mohammed Ousfour : marocaniser, même de manière artisanale et imparfaite, Tarzan, Robin des Bois, et Charlot…Et, c'est, pour le moins, un exploit qui va marquer un pays assoiffé de décolonisation politique, économique et culturelle.
Les frères Lumière ont inventé le cinématographe, Ousfour a initié le cinématographe marocain.
Et cet autodidacte et bricoleur a bouleversé l'histoire avec un long (moyen ?) métrage amateur intitulé « Le fils maudit » (1956 ou 1958 ?) ! Et coïncidence pas si fortuite, Driss Chraibi publie en 1954 son fameux « Passé simple ». Révolte contre le père, contre la société.
Dénonciation. Quête de soi. La langue française et le dispositif cinématographique vont y contribuer à merveilles. A quoi servent les langues étrangères et la lucarne si ce n'est pour dire le mal-être, pour dénoncer l'injustice sociale et pour s'insurger contre l'absurdité de notre condition humaine?
De simple transition vers le divertissement, l'image devient avec le précurseur Ousfour une transe soufie possédée par les Melouks de l'imaginaire marocain et par les couleurs d'un regard en pleine mutation.
Le 1er film marocain ne se contente pas de reprendre les poncifs classiques du mélodrame, il se lance dans la dénonciation, dans la conscientisation, dans l'éducation…
Avec une caméra 16 mm et des bouts de pellicule glanés au marché aux puces et chez des particuliers, Ousfour va domestiquer et apprivoiser la « boîte aux merveilles de celluloïd ».
Certes, il ne s'agit que de simples imitations et de remakes « naïfs » des films hollywoodiens et égyptiens, mais le regard marocain y est Regard marocain que de nombreux films actuels doivent envier à ce génie du bricolage.
Cette période, loin de poursuivre le regard magique et émerveillé de la première phase, généralise le besoin de distance vis-à-vis de la technique cinématographique, développe les rudiments de l'industrie, crée des promesses chez la jeunesse. Désormais, un Marocain est capable d'égaler un Duvivier, un Salah Abou Seif ou un Capra avec des moyens techniques et une formation encore rudimentaires.
Ce cinéma de la conquête rationnelle, et technique, bien que primitive, du cinématographe va prendre fin avec la naissance du chef-d'œuvre marocain inégalable jusqu'à aujourd'hui : « Wechma » de