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Insulter l'Afrique n'est plus aussi grave en France !

Le Club des avocats au Maroc décide de porter plainte contre les propos tenus sur LCI par le Pr. Jean-Paul Mira de l’hôpital Cochin


Par Jamal Chibli (MAP)
Lundi 6 Avril 2020

Insulter l'Afrique n'est plus aussi grave en France !
Trois jours après les insultes adressées à tous les Africains sur l'une de ses chaînes de télévision, la France, à quelques exceptions près, ne semble pas s'en émouvoir pour autant, ne serait-ce que par courtoisie à ses citoyens d'origine africaine.
Tant et si bien que les deux éminents chercheurs, qui ont tenu cet échange surréaliste en direct, se sont fendus de justifications incongrues pour se détourner de leurs responsabilités, alors que leurs propos invraisemblables sont clairs comme l'eau de roche.
Leur déni de la réalité est plus choquant que leur réflexion. Les excuses d'après coup ne changent rien à la donne. Le mal a été fait, en toute conscience mais en mauvaise connaissance des causes.
Dans leur délire discursif, les deux prestigieux experts en médecine ont proposé, sans sourciller, de faire des Africains une sorte de cobayes d'un vaccin expérimental contre le nouveau coronavirus. A aucun moment de leur dialogue, ils ne semblaient ignorer qu'ils étaient en train de parler d'êtres humains et non pas de rats de laboratoire.
S’ils sont tellement soucieux de la vie de gens vivant à mille lieues, ils auraient dû, d'abord, avoir une pensée pour leurs proches voisins, qui se meurent tous les jours dans l'indifférence totale et à qui on refuse masques et respirateurs.
Il y a quelque temps, les politiques, les philosophes et le commun des mortels en France se sont déchirés, durant des semaines, autour du terme "féminicide" ou encore sur l'utilisation de "pain au chocolat ou chcolatine".
Quand il est question d’une offense à l'encontre de plus d’un milliard d’êtres humains, c'est silence radio, comme si les Africains étaient une race de sous-hommes, dont les états d'âme ou les sentiments ne méritent aucune considération.
Depuis la diffusion de cette séquence troublante, aucune réaction officielle de quelque nature que ce soit n'a été communiquée. Apparemment, on confond bien liberté d'expression et liberté de diffamer.
Hormis les réactions révoltées de quelques personnalités connues pour leurs positions de principe sur les questions de racisme, il paraît que le mépris des Africains ne dérange pas outre mesure dans l'Hexagone.
Jusque-là, les chaînes françaises, qui s'emballent pour tout et pour rien, semblent dire «Circulez, il n'y a rien à voir». Les médias écrits brodent autour d'une dépêche d'agence insipide. Les fameux experts, dont la salive gicle sur les plateaux de télévision en discutant de coronavirus, font l'autruche.
Chez les citoyens des pays diffamés, il était tout à fait attendu que cet incident suscite une levée de boucliers et une vaste campagne de révulsion. L'émoi est à la mesure de l’affront. L'incrédulité des débuts a vite cédé le pas devant une immense colère, qui risque de ne pas retomber de sitôt.
Célébrités ou citoyens lambda, tout le monde partage le même sentiment de dégoût et d'incompréhension face à la banalisation et la libération de la parole raciste dans un pays pour lequel leurs ancêtres ont versé leur sang.
Faisant preuve de promptitude, le Club des avocats du Maroc a pris les devants et décidé de porter plainte pour «diffamation raciale» auprès du procureur de la République française contre le professeur Jean-Paul Mira, chef du service de réanimation à l'hôpital Cochin de Paris, dont l'idée d'expérimenter le vaccin sur les Africains a été soutenue par son interlocuteur Camille Locht, directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm).
Advienne que pourra, le présent incident doit interpeller tous les Africains sur l'impératif de revoir en profondeur leurs rapports au reste du monde et à repenser sérieusement leur avenir commun.
Pour qu'un jour, le professeur Mira, dont le pays évacue ses malades vers l'Allemagne et manque terriblement de masques, fasse tourner sa langue mille fois avant d'évoquer un contient qui a recouvré sa liberté au prix de grands sacrifices.
L'Afrique n'a plus droit à l'erreur et doit se pencher, comme les autres et dès à présent, sur la préparation de l'après pandémie, qui ne doit se construire qu'à travers plus d'intégration et la mise en œuvre effective du principe de la "préférence continentale".

Les Panafricaines montent au créneau

Le réseau des femmes journalistes d’Afrique, les Panafricaines, condamne "avec la plus grande fermeté" les propos insultants, à caractère raciste, tenus mercredi sur la chaîne de télévision d’information en continu LCI par le professeur Jean-Paul Mira, chef du service réanimation de l’hôpital Cochin.
Dans un communiqué, les Panafricaines rappellent que Jean-Paul Mira, qui interrogeait en duplex le professeur Camille Locht, directeur de recherche à l’Inserm au sujet du Covid-19 "traitement : pistes du vaccin BCG" a proposé de "faire cette étude en Afrique, où il n’y a pas de masque, pas de traitement, pas de réanimation, un peu comme c’est fait d’ailleurs pour certaines études dans le Sida où chez les prostituées on essaye des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées et qu'elles ne se protègent pas”.
Notant l'approbation du professeur Locht, le réseau s'indigne du fait qu’il est "tout simplement proposé et approuvé par l’interlocuteur, d’utiliser l’Afrique comme un laboratoire et donc les Africains comme des cobayes sur lesquels une expérience serait réalisée".  Les Panafricaines se sont ainsi élevées contre la "méconnaissance totale" dont a fait preuve Jean Paul Mira des réalités africaines, son "approche condescendante éhontée" envers l'Afrique et  son usage de "clichés pour présenter la caricature d’un continent où les populations ne se protégeraient pas, où il n'y aurait rien: pas de masques, pas de traitement, pas de réanimation".
Les Panafricaines invitent le professeur Mira à “interroger ses collègues des hôpitaux de France qui ne manqueront pas de lui rappeler que ce qu'il dit pour parler du continent africain est d'abord valable pour le pays dans lequel il exerce sa profession”.
Elles tiennent à rappeler ainsi qu'en France, "il n’y a que 7000 lits en réanimation alors que l’Allemagne en dispose de 27000", précisant que le personnel hospitalier parisien manque cruellement de masques et qu'aucun pays dans le monde ne dispose pour le moment de traitement approprié pour combattre cette pandémie inédite.
"L'Afrique et ses populations n’ont pas de leçon à recevoir d’individus de la sorte", martèlent-telles encore, affirmant que quelles que soient leurs difficultés, les "Africains les abordent dans la dignité et puisent leur force dans leurs convictions".
Quant à nos faiblesses, toutes nos faiblesses, soulignent les Panafricaines, "elles sont le fruit de politiques perpétuées par des pays occidentaux qui continuent de doper leur taux de croissance sur les richesses de l’Afrique".
En commençant sa question par "si je peux être provocateur", Jean-Paul Mira est parfaitement conscient de la portée scandaleuse et donc répréhensible de ses propos, observe le communiqué, signalant qu’”aucune excuse ne peut lui être trouvée, tout comme au professeur Locht qui entame sa réponse en donnant raison à son interlocuteur”.
Les Panafricaines disent noter "avec satisfaction" la réaction du directoire des Hôpitaux de Paris dont le directeur, Martin Hirsch, se dit "choqué" par ces propos. Elles notent, par ailleurs, qu'elles sauraient "considérer cependant, les excuses et les regrets qui sont exprimés par Jean-Paul Mira".
Le réseau exprime, toutefois, son "étonnement" devant le communiqué de l’Inserm, qui qualifie la vidéo médiatisée notamment dans les réseaux sociaux de “tronquée”, "alors qu’elle n’a fait l’objet d’aucun montage et d’aucune altération d’aucune sorte".
Les Panafricaines demandent à la chaîne LCI "d'assumer ses responsabilités en tant que diffuseur", et appellent le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, garant de la lutte contre les discriminations, à prendre les "mesures nécessaires pour rappeler LCI fermement à l’ordre", conclut le communiqué.
Basé à Casablanca, le réseau des femmes journalistes d’Afrique regroupe des centaines de journalistes à travers les 54 pays du continent, et des journalistes africaines exerçant dans d’autres médias à travers le monde. Le réseau a pour mission de contribuer à un éveil citoyen sur la responsabilité des médias et leur rôle dans la construction des opinions publiques.
 

Vive polémique en France

L’Association SOS Racisme a réagi aux propos tenus sur la chaîne LCI en dénonçant "à l'endroit des corps noirs un mépris" et jugeant la comparaison avec le Sida et les prostituées "problématique" et "malvenue". "Non, les Africains ne sont pas des cobayes!", s'est-elle indignée dans un communiqué.
La séquence vidéo a suscité également la colère de nombreux internautes en France et en Afrique, notamment le Club des avocats au Maroc qui a décidé de porter plainte pour diffamation raciale auprès du Procureur de la République française, suite à ces propos qu’il a jugés d'"abjects, haineux et racistes".
Toutefois, l’Inserm a relevé qu’il s'agit d'une "vidéo tronquée", tirée d’une interview sur LCI d’un de ses chercheurs à propos de l’utilisation potentielle du vaccin BCG contre le COVID19 qui fait l’objet "d’interprétations erronées sur les réseaux sociaux".
L’institut affirme sur Twitter que des essais cliniques visant à tester l’efficacité du vaccin BCG contre le Covid-19 sont en cours ou sur le point d’être lancés dans les pays européens (Pays-Bas, Allemagne, France, Espagne …) et en Australie.
"S’il y a bien actuellement une réflexion autour d’un déploiement en Afrique, il se ferait en parallèle de ces derniers. L’Afrique ne doit pas être oubliée ni exclue des recherches car la pandémie est globale", note l'institut.
"Je veux présenter toutes mes excuses à celles et à ceux qui ont été heurtés, choqués, qui se sont sentis insultés par des propos que j'ai maladroitement prononcés sur LCI cette semaine, leur présenter mes excuses les plus sincères", a indiqué dans un communiqué des hôpitaux de Paris Jean-Paul Mira.


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