Il y aurait une complicité manifeste entre les associations de sauvetage et les passeurs, prétend un rapport italien

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Ledit rapport pointe du doigt trois ONG, à savoir Save the children avec son bateau Vos Hestia, Médecins sans frontières, via le Vos Prudence, et Jugend Rettet, par le biais de son bateau Iuventa. Elles sont accusées d’avoir «contourné le système de secours mis en place par les autorités italiennes» en collaborant avec des passeurs. Ces accusations se basent sur des preuves informatiques et téléphoniques saisies par la police italienne en 2017 lors d’une perquisition du Vos Hestia. «Les enquêteurs y ont par exemple découvert une vidéo où des trafiquants d’êtres humains viennent directement informer en mer des membres de Save the children qu’un bateau de 500 clandestins est en route, depuis les côtes libyennes. Plus tard, des migrants montent en effet à bord sous la houlette d’un homme qui disparaîtra ensuite au moment d’accoster dans un port italien», rapporte le site du magazine Valeurs actuelles. Et d’ajouter : «Pour le bien de cette enquête, un policier a même infiltré une équipe de sauvetage. Un groupe WhatsApp de 69 personnes a aussi largement contribué à la procédure, tout comme de nombreuses écoutes téléphoniques». 21 personnes sont ciblées par l’enquête. Il s’agit de membres d’équipage et de responsables d’ONG, de nationalité italienne, française, allemande, espagnole, belge ou britannique qui risquent de quatre mois à 20 ans de prison.
Pour Hassan Ammari, membre d’Alarm Phone, assistance téléphonique pour les personnes en situation de détresse en mer Méditerranée, ce rapport des autorités italiennes n’a rien de nouveau. C’est devenu monnaie courante d’accuser les ONG de complicité dans le trafic d’êtres humains alors qu’il s’agit d’actions menées en toute légalité et selon les dispositions du droit international maritime. «Il s’agit, en réalité, d’une forme de pression sur ces ONG qui s’ajoute à celles déployées pour entraver le travail de ces ONG. En effet, les bateaux de ces dernières sont souvent interdits de quitter les ports ou subissent des pressions voire des menaces de stopper leur activité. Certaines ont vu leur autorisation suspendue ou non prolongée. Les ONG doivent également négocier pendant plus de 10 heures afin de trouver un port sûr. Idem en cas d’épuisement des stocks de provisions, les ONG endurent toutes les peines du monde pour s’approvisionner alors qu’elles ont besoin d’approvisionnements qui durent des journées voire des mois», nous a-t-il expliqué. Et de poursuivre : «Et tout cela, parce que ces ONG refusent de faire retourner les migrants irréguliers vers la Libye et la Tunisie considérées comme pays non sûrs puisque les migrants risquent d’être arrêtés dans des centres de détention illégaux et de subir de mauvais traitements (violence physique, insultes, privation d’alimentation…)».
Des accusations qui ont été confirmées par un récent document du Conseil de l’Europe qui a relevé les retards enregistrés au niveau du débarquement des bateaux de sauvetage qui doivent attendre des journées voire des semaines alors que cette attente présente de graves risques pour les droits, la santé et le bien-être des survivants et des équipages des navires qui les ont sauvés. Le Conseil de l’Europe a noté, à ce propos, que plusieurs associations se plaignent du refus de coopération des autorités chargées des opérations de recherche et de sauvetage et du fait d’être ignorées ou mises à l’écart dans des opérations de sauvetage même quand elles sont les mieux placées pour effectuer ce travail. «Il semble y avoir une réticence persistante à utiliser les capacités fournies par les ONG pour garantir la meilleure protection des vies en mer, ce qui peut également être lié à la tendance mentionnée ci-dessus à donner aux autorités libyennes plus de latitude pour effectuer des interceptions», a conclu le document.
Hassan Ammari nous a précisé, en outre, que les ONG mènent leur mission de sauvetage indifféremment de l’origine des appels. En fait, ces appels proviennent de diverses sources (bateaux commerciaux, touristiques, de pêche, de transport d’hydrocarbures, des gardes-côtes ou de simples individus) et pas question pour ces ONG de faire la distinction entre les sources d’appel. « L’essentiel pour elles est de sauver des vies. Ceci d’autant plus que le droit international leur permet d’assumer cette charge et elles ne sont pas les seules puisque chaque bateau a l’obligation de sauver des vies en péril », nous a-t-il expliqué. En effet, les dispositions de la convention de Bruxelles du 23 septembre 1910 ont fixé les principes du droit international en matière d’assistance en mer avant d’être complétées par la convention de Londres sur l’assistance, du 28 avril 1989. Dans son article 10, il est édicté que tout capitaine est tenu, sans mettre en danger son propre navire, «de prêter assistance à toute personne en danger de disparaître en mer». L’article 11 stipule également que l’Etat qui édicte des règles relatives aux opérations d’assistance dans les zones où il en a la responsabilité, doit veiller à assurer une «exécution efficace et réussie» de ces opérations «pour sauver des vies ou des biens en danger […]». La convention SAR (Search and Rescue), signée à Hambourg en 1979, institue des zones «SAR» placées sous le contrôle de centres de coordination et de recherches en mer (Maritime Rescue Coordination Center – MCCR). A la lumière de cette convention, chaque Etat côtier a l’obligation de prévoir et de mettre en œuvre dans sa ou ses zones SAR les opérations de secours aux personnes en détresse et doit assumer la responsabilité première de leur trouver un port sûr de débarquement sur son littoral ou celui d’un Etat voisin avec son accord. Des zones SAR ont bel et bien été définies en Méditerranée par les Etats côtiers. Sauf que s’agissant par exemple de la Libye, elle n’a pas créé de MCCR. A noter que la convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982 a souligné dans son article 98, l’obligation de prêter assistance «à quiconque trouvé en péril en mer».
«Ce rapport italien n’est donc qu’une tentative de déplacer ailleurs le problème de gestion de la question des migrants et une manière de délocaliser la crise faute de solutions radicales. L’Italie essaie comme d’autres pays membres de l’UE de fuir ses responsabilités morales et politiques», a conclu Hassan Ammari.
Hassan Bentaleb