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Awrach et ses 250.000 emplois, ça laisse rêveur !

Pas en comparaison avec une réalité et des chiffres têtus


Hassan Bentaleb
Jeudi 13 Janvier 2022

Awrach et ses 250.000 emplois, ça laisse rêveur !
M’diq-Fnideq, El Hajeb, Errachidia, Azilal, Nouaceur, Al Haouz, Figuig, Oued Eddahab, Sidi Kacem et Taroudant seront les premières provinces à accueillir le programme «Awrach», selon un décret signé mercredi dernier par le chef du gouvernement.

La généralisation de ce dispositif sera faite graduellement. Pour l’Exécutif, il s’agit d’une première étape dans la mise en œuvre dudit programme dont l’objectif est de créer 250.000 postes d’emploi temporaires en deux ans, en particulier pour les personnes qui ont perdu leur travail à cause de la pandémie  et pour les jeunes qui ont des difficultés à accéder au marché d’emploi.

Pourtant, si l’intention du gouvernement est louable et sa volonté pour absorber le chômage est réelle, il n’en demeure pas moins que le nombre des postes d’emploi envisagé et la nature de ces postes laissent sceptiques même  les personnes les plus optimistes.

En effet, la réalité des chiffres du chômage au Maroc est têtue et les attentes en matière d’emploi sont énormes. Selon un récent policy paper établi par Oxfam intitulé : «Le marché du travail au Maroc : défis structurels et pistes de réforme pour réduire les inégalités», destiné à dresser un bilan précis et synthétique des problématiques de ce secteur, le Maroc est considéré comme l’un des pays de la région MENA les  plus  touchés  par  le  phénomène  des  NEET (Not in education, employment or training),  qui  concerne  les  jeunes  de  15  à  24  ans  non  scolarisés, ne  disposant  pas d’un emploi et ne suivant pas une formation.

En 2018, 28% des 15-24 ans étaient considérés comme NEET, soit environ 1,7 million  de  personnes,  en  recul  relatif  par  rapport  à  2000  (32%).  Les  femmes  sont  bien   plus   touchées   que   les   hommes,   puisque 44,1% des femmes de 15-24 ans sont   considérées   comme   NEET,   contre   13,3%  des  hommes.  En  d’autres  termes,  sur   l’ensemble   des   jeunes   considérés   comme  NEET,  les  trois  quarts  sont  des  femmes  et  près  de  45%  sont  des  jeunes  femmes   en  milieu   rural.  

A souligner que le  taux  de  chômage  des  15-24  ans  s’est envolé,  augmentant  de  près  de  6  points  en un an et s’élevant au T1 2021 à 32,5%.

Une situation  qui tend  à  persister  dans  le  temps, précise le document d’Oxfam, et risque de  renforcer l’immobilité sociale ainsi que le chômage  de  long  terme.  Sans parler des risques de marginalisation progressive  des  individus  de  la  société,  ce  qui  peut  nourrir  le  désir  d’émigration  ou  une  volonté  de  révolte  sociale.

En outre, les ambitions du programme « Awrach » semblent très minimes par rapport à une situation de chômage aggravée par la pandémie de Covid-19. En fait et selon ledit policy paper, les  indicateurs  du  marché  du  travail  se  sont  particulièrement  dégradés  lors  de  l’année  2020. 

Au  premier  semestre  de  l’année   2020,   l’économie   marocaine   a   détruit  790.000  emplois,  tandis  que  sur  un  an,  entre  le  T1  2020  et  le  T1  2021,  ce  sont  200.000  postes  qui  ont  été  perdus.  Le  nombre  d’actifs  a  reculé  de  600.000  personnes   au   premier   semestre   2020,   tout en restant stable entre le T1 2020 et le T1 2021.

A noter que le nombre annuel de personnes en âge de travailler qui devrait  intégrer  le  marché  du  travail  (hors  personnes  scolarisées)  est  de  280.000 et que le nombre de personnes  au  chômage  a  augmenté  de  242.000 entre le T1 2020 et le T1 2021 et de  190.000  au  premier  semestre  2020. 

Le  taux  de  chômage  a  augmenté  de  2  points,  passant  de  10,5%  de  la  population  active  au  T1  2020  à  12,5%  au  T1  2021 (et 12,7% au T3 2020). L’agriculture  (-258.000)  et  les  services     (-260.000)  ont  été  les  secteurs  les  plus  touchés  par  les  destructions  d’emplois  au premier semestre 2020 par rapport au premier semestre 2019.

Concernant la nature des postes créés, personne ne sait comment le programme « Awrach » compte insérer dans le marché d’emploi les 231.000 personnes qui ont perdu leur emploi en 2020 dans le secteur de l’agriculture et les 48.000 dans celui de l’industrie  alors que ledit programme doté d’un budget de 2,25 milliards de DH est censé assurer des emplois dans la réalisation de sentiers, la restauration des monuments et équipements publics, l'aménagement d'espaces verts, l'alphabétisation et l'enseignement primaire, la prise en charge des personnes âgées, les activités sportives et culturelles et la numérisation des archives.

Pour Oxfam, les  indicateurs  du  marché  du  travail  marocain  demeurent  aujourd’hui  alarmants,  tant  sur  le  plan  quantitatif  que  qualitatif.  En  raison  de  l’essoufflement  du  modèle  de  croissance,  le  nombre  d’emplois  créés  est  insuffisant  et  l’inactivité  augmente.  « La  raréfaction  des  emplois  tend  à  favoriser  le  groupe  en  position  dominante  dans  la  société,  à  savoir  les  hommes  d’âge  mûr.  A  contrario,  les  femmes  et  les  jeunes  sont  largement  exclus  du  marché  du  travail.  Etant  donné  la  structure  productive  du  pays,  l’offre de travail apparaît en décalage avec la formation des nouveaux entrants sur le marché du travail. Les diplômés subissent ainsi un chômage massif. Enfin, la prégnance de l’informalité est telle qu’occuper un emploi n’est pas une condition suffisante pour échapper  à  la  précarité », souligne policy paper.  Et de conclure : « Les    conséquences    d’une    mauvaise    intégration  sur  le  marché  du  travail  pour  les  jeunes   ayant   tout   juste   terminé   leurs   études   se   ressentent   à   long   terme.   Ils  sont  en  effet  plus  touchés  par  des  périodes   de   chômage   et   leur   salaire,   même des années après, est amputé. La cohorte  de  jeunes  arrivant  sur  le  marché  du  travail  a  subi  de  plein  fouet  la  crise  de Covid-19.  Au-delà  des  effets  psychosociaux liés à l’enfermement, la privation de liens  sociaux  ou  de  loisirs,  ils  traîneront  cette  intégration  ratée  sur  le  marché  du  travail pendant de longues années. Quant aux femmes, leur situation dans l’emploi, déjà  particulièrement  dégradée,  pourrait être affectée à plus long terme. Etant donné   les   difficultés   rencontrées   pré-crise  à  trouver  un  emploi,  la  chute  massive  du  taux  d’activité  féminin  pendant  la   crise   pourrait   éloigner   durablement une  partie  d’entre  elles  du  marché  du  travail ».

Hassan Bentaleb


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