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En effet, les autorités de ce pays ont annoncé en mars dernier que cette catégorie passera de 6,5 à 5% de la population totale au cours des trois prochaines années. Une disposition gelant les recrutements des travailleurs temporaires étrangers est déjà entrée en vigueur limitant leur employabilité à 10% dans les entreprises du pays. Cette mesure risque de toucher des milliers d'Africains dont des Marocains.
Préférence nationale
En effet, sur les 109.800 travailleurs temporaires exerçant au Canada depuis le mois de juin de l’année en cours, 9.555 sont originaires d’Afrique, selon le décompte effectué par BBC Afrique sur la base de données des autorités, dont la dernière mise à jour publique date de juin 2024. Ils sont embauchés dans la restauration, l’assistance à domicile, le tourisme ou encore l’informatique. Il s’agit de soudeurs, mécaniciens et autres employés pour combler des besoins en main-d’œuvre en dehors des grandes villes et qui risquent de ne pas pouvoir renouveler leur permis de travail.
Le Maroc se classe comme le deuxième pays africain pourvoyeur de main-d’œuvre temporaire au Canada avec 1.730 ressortissants, derrière la Tunisie (2105 travailleurs temporaires) et devant le Cameroun, 3ème avec 1.210 ressortissants, l’Algérie, 4ème avec 1.115 et Madagascar avec 415 ressortissants exerçant comme ouvriers temporaires, selon des sources gouvernementales canadiennes.
D’après le nouveau dispositif, les employeurs canadiens n’auront le droit de recruter qu’un maximum de 10% de travailleurs temporaires étrangers, dans leurs effectifs. Si une entreprise dispose déjà de 60% de travailleurs étrangers à bas salaire, elle ne pourra pas les renouveler tous. A rappeler que le Programme des travailleurs étrangers temporaires est conçu comme une mesure d’exception, lorsqu’aucun Canadien ou résident permanent qualifié n’est en mesure de pourvoir un poste vacant.
Pour le gouvernement canadien, la révision de ce Programme a pour objectif de mettre fin aux fraudes et aux recours abusifs tout en indiquant qu’à l’heure actuelle, un plus grand nombre de Canadiens qualifiés peuvent occuper les postes vacants. A ce propos, le gouvernement du Canada indique qu’il a amélioré « la qualité, la rapidité d’exécution et la portée des inspections des employeurs, ce qui a entraîné une augmentation de 36% des amendes imposées en 2023-2024 aux employeurs non conformes qui utilisent le Programme des travailleurs étrangers temporaires ». D’autres mesures supplémentaires pour lutter contre la fraude liée à l’évaluation de l’impact sur le marché du travail sont également annoncées.
Les autorités de ce pays se disent préoccupées également par les difficultés d’accès au logement et aux services publics pour ces étrangers à petit salaire recrutés par des entreprises sur une base temporaire.
Tour de vis
Concernant les étudiants étrangers, le gouvernement canadien a « fixé un plafond de demandes de permis d’études pour les étrangers pour stabiliser la nouvelle croissance et veiller à ce que les collectivités canadiennes aient la capacité de les accueillir ». Il a également « mis en place un système de vérification des lettres d’acceptation pour prémunir les étudiants contre la fraude » et « augmenté les exigences financières que les demandeurs doivent satisfaire pour être approuvés pour un permis d’études afin que les étudiants soient mieux préparés à la vie au Canada ». En effet, et dès le 1er janvier dernier, un étudiant seul devra prouver qu’il dispose de la somme de 20 635 $ CAN. Une somme qui sera revue à la hausse s’il est accompagné d’une personne conjointe, ou encore d’enfants à charge et qui sera aussi revalorisée chaque année, en fonction du seuil de revenu.
Il y a aussi « des réformes du permis de travail post-diplôme qui ont supprimé l’admissibilité des diplômés des programmes collégiaux dispensés dans le cadre d’un accord public-privé».
Les autorités canadiennes ont proposé de « nouvelles dispositions réglementaires qui obligeraient les étudiants étrangers à demander un nouveau permis d’études pour changer d’école. Elles obligeraient également les établissements d’enseignement à rendre des comptes concernant la vérification de la conformité des étudiants et des lettres d’acceptation».
Le règlement proposé modifierait également le nombre d’heures de travail par semaine que les étudiants étrangers peuvent travailler hors campus pour les aider à se concentrer principalement sur leurs études, tout en ayant la possibilité de travailler.
Inquiétude
L'analyse des explications fournies par le gouvernement ne semble pas convaincre les employeurs, notamment la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), qui a exprimé son inquiétude. Représentant 97.000 membres, la FCEI, principal porte-parole des petites et moyennes entreprises (PME) au Canada, a qualifié la mesure gouvernementale de "préoccupante". Selon elle, cette décision risque d'ajouter une pression supplémentaire sur les entreprises, déjà confrontées à une pénurie de main-d'œuvre.
Les PME, qui représentent 63,8% des emplois au Canada, dépendent fortement de l'accès à une main-d'œuvre disponible, y compris les travailleurs étrangers temporaires, pour combler leurs besoins. En 2020, 117.000 travailleurs étrangers ont déclaré avoir généré des revenus via des emplois temporaires. Or, les données de juin 2024 montrent une baisse, avec seulement 109.000 travailleurs étrangers temporaires employés, selon des rapports consultés par la BBC.
La FCEI souligne que cette baisse aggrave la situation pour des secteurs essentiels comme l'agriculture, les services d'aide familiale, les métiers spécialisés et les zones rurales. La pénurie de main-d'œuvre dans ces secteurs, déjà critique pour l'économie canadienne, ne fera qu'empirer avec la vague imminente de départs à la retraite.
Le dernier rapport de l'Institut du Québec confirme que l'immigration aide à réduire la pression sur le marché de l'emploi, particulièrement à un moment où de nombreux baby-boomers quittent la vie active. Au Québec, pour chaque 100 personnes âgées de 60 à 69 ans qui prennent leur retraite, seulement 86 jeunes âgés de 20 à 29 ans intègrent le marché du travail, illustrant le défi croissant pour compenser cette perte de main-d'œuvre.
Dépendance
De nombreux pays, à travers le monde, s’appuient de manière significative sur la migration temporaire de main-d'œuvre pour combler les pénuries dans certains secteurs vitaux de leur économie. Le Canada, les Etats du Golfe (comme l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Qatar), ainsi que plusieurs nations européennes, comptent sur cette main-d'œuvre pour maintenir la croissance dans des secteurs tels que l’agriculture, la construction, l’hôtellerie, les services à la personne, et même certaines branches techniques ou manufacturières. Cette dépendance à la main-d'œuvre étrangère s’inscrit dans un contexte où celle nationale est souvent insuffisante pour répondre aux besoins croissants du marché de l’emploi, notamment dans les zones rurales ou dans des secteurs considérés comme peu attractifs pour les travailleurs locaux. Tel est le cas du secteur agricole, dans des pays comme l’Espagne, le Canada ou l'Italie où les récoltes saisonnières sont largement effectuées par des migrants temporaires, en provenance notamment d’Afrique du Nord ou d’Amérique latine. Tel est le cas également du secteur de la construction dans les pays du Golfe, réputés pour leur forte dépendance à la main-d'œuvre étrangère dans ce secteur. En effet, des milliers de travailleurs venus d’Asie du Sud (Inde, Pakistan, Bangladesh, Népal) travaillent sur des projets d’infrastructures colossaux.
Les services à la personne et soins à domicile figurent également parmi les secteurs demandeurs de la main-d’œuvre étrangère comme en Italie, la France ou le Royaume-Uni qui emploient des migrants pour fournir des soins aux personnes âgées ou dépendantes, un secteur en forte croissance compte tenu du vieillissement démographique.
Exploitation
Toutefois, et malgré leur rôle fondamental dans l'économie, les travailleurs migrants temporaires sont souvent confrontés à des conditions de travail difficiles. Ils font face à de nombreux défis, notamment des salaires bas et l’exploitation. En effet, les travailleurs temporaires sont souvent moins payés que leurs homologues locaux et sont plus vulnérables à l'exploitation, en raison de leur statut juridique précaire. Pis, et contrairement aux citoyens locaux, ces travailleurs ont un accès restreint aux services de santé, à la protection sociale, et aux dispositifs de soutien, ce qui les maintient dans une situation de fragilité accrue.
A noter également que la majorité des pays n'offrent pas de voie claire pour la transition des travailleurs temporaires vers un statut de résident permanent. Par exemple, au Canada, bien que certains programmes existent pour permettre cette transition, la majorité des migrants temporaires ne sont pas éligibles, se maintenant ainsi dans une situation d’incertitude.
A rappeler que, toujours dans le cas du Canada, l'envoyé spécial des Nations unies, Tomoya Obokata, a affirmé dans son rapport final que le Programme des travailleurs étrangers temporaires du Canada crée un environnement favorable à des formes contemporaines d’esclavage. Il met en lumière un « déséquilibre de pouvoir significatif » qui découle du fait que les travailleurs temporaires sont contraints de rester liés à un seul employeur en vertu de leur permis de travail fermé.
Déjà en septembre 2023, dans sa déclaration de fin de mission, le rapporteur spécial des Nations unies sur les formes contemporaines d’esclavage avait exprimé sa «profonde inquiétude» face aux récits d’exploitation et d’abus subis par ces travailleurs. Ses observations sont désormais détaillées dans un rapport final, présenté par le Conseil des droits de l'Homme lors de l'Assemblée générale de l'ONU. Datant du 22 juillet dernier, le document a été rendu public récemment.
Dans ce rapport, M. Obokata souligne que la «précarité structurelle» des travailleurs étrangers temporaires pourrait être considérablement réduite si ces derniers avaient systématiquement la possibilité d'accéder au statut de résident permanent. Il recommande ainsi l'élimination des permis de travail fermés et préconise que tous les travailleurs migrants puissent, dès leur arrivée, bénéficier d'une procédure claire leur permettant d'obtenir la résidence permanente.
Le rapport met en lumière des critiques récurrentes concernant les permis de travail fermés. Ceux-ci créent une situation dans laquelle, « si les travailleurs sont licenciés, ils risquent d'être renvoyés dans leur pays d'origine », souligne-t-on. Cela fait que les employeurs « ont peu d'incitations» à garantir des conditions de travail décentes, car les travailleurs n'ont «pratiquement aucune alternative», observe M. Obokata.
Avenir
Qu’en est-il donc de l'avenir de la migration de la main-d'œuvre ? Plusieurs experts soutiennent que la migration de la main-d'œuvre, qu'elle soit peu ou hautement qualifiée, est un phénomène qui continuera de façonner les économies mondiales dans les décennies à venir. Cependant, les pays doivent relever de nombreux défis pour gérer ces flux migratoires de manière équilibrée, à savoir la réforme de leurs politiques migratoires pour assurer une meilleure protection des travailleurs migrants et leur offrir des voies d’intégration sociale et économique plus inclusives. Une collaboration accrue entre les pays d'origine et de destination est également nécessaire pour atténuer les effets négatifs de la migration (comme la fuite des cerveaux) tout en maximisant ses bénéfices économiques et sociaux.
Hassan Bentaleb