Les relations franco-algériennes vont-elles s’apaiser après la libération de Boualem Sansal ?


Youssef Lahlali
Jeudi 20 Novembre 2025

Les relations franco-algériennes vont-elles s’apaiser après la libération de Boualem Sansal ?
La libération de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal apparaît comme un geste d’apaisement dans une période où les relations entre Paris et Alger traversent l’une de leurs crises les plus profondes depuis des décennies.

Si cette décision constitue une avancée humanitaire indéniable, elle ne garantit pas pour autant une normalisation durable des rapports bilatéraux, tant les différends structurels demeurent nombreux.

La crise diplomatique s’était aggravée fin juin 2024, lorsque le président Emmanuel Macron avait officiellement exprimé le soutien de la France à l’initiative marocaine d’autonomie.

Cette position a été perçue par Alger comme une atteinte directe à ses intérêts stratégiques. En réaction, les autorités algériennes avaient rappelé leur ambassadeur à Paris, actant un gel quasi total des canaux de communication. Cette rupture est venue s’ajouter à un climat déjà lourd, nourri par une succession de tensions politiques, mémorielles et sécuritaires.

La sortie de crise a nécessité des médiations extérieures. Dans un premier temps, l’Italie a tenté de jouer les intermédiaires, sans succès. C’est finalement l’Allemagne, via une intervention personnelle de son président Frank-Walter Steinmeier, qui a réussi à ouvrir un canal d’apaisement avec Alger.

La demande allemande de grâce humanitaire en faveur de Boualem Sansal a été acceptée, permettant son transfert en Allemagne pour y recevoir des soins. L’écrivain avait été arrêté à son arrivée en Algérie et condamné à cinq ans de prison pour « atteinte à l’unité nationale », après avoir déclaré dans la presse française que la France avait annexé à l’Algérie des territoires auparavant marocains, comme Oran ou Mascara.

Cette libération, saluée par Paris, est perçue comme un premier signe d’ouverture, mais elle s’inscrit dans un contexte diplomatique plus large. La récente adoption par le Conseil de sécurité de l’ONU de l’initiative marocaine d’autonomie par une large majorité et sans opposition de l’Algérie – pourtant membre non permanent du Conseil – constitue un tournant important. Elle offre à Alger l’opportunité de redéfinir sa posture régionale, après plusieurs années d’isolement diplomatique consécutives aux initiatives marocaines menées sous l’impulsion de SM le Roi Mohammed VI  appelant à un dépassement des tensions et à une coopération renforcée au Maghreb.

Sur le plan européen, l’Algérie a également intérêt à renouer un dialogue constructif avec Paris et Berlin, alors que la révision de l’accord d’association avec l’Union européenne s’annonce déterminante pour son avenir économique. Entré en vigueur en 2005, cet accord prévoit une élimination progressive des droits de douane et demeure la clé de l’intégration commerciale de l’Algérie dans l’espace européen.

Dans ce contexte, plusieurs observateurs évoquent un possible réchauffement des relations dans les semaines à venir. Une rencontre entre les présidents Macron et Tebboune, en marge du sommet du G20 à Johannesburg en novembre, est évoquée mais non confirmée.

Emmanuel Macron s’est dit disposé à engager un dialogue global sur tous les dossiers d’intérêt commun. De son côté, le ministre français de l’Intérieur, Laurent Nunez – né à Oran – prévoit une visite prochaine en Algérie, marquant un tournant plus conciliant après les tensions persistantes dans le domaine migratoire.

Cependant, de nombreux contentieux demeurent lourds : la coopération sécuritaire dans un Sahel déstabilisé, les expulsions quasi gelées de ressortissants algériens en situation irrégulière, ou encore l’affaire du fonctionnaire consulaire accusé d’avoir participé à l’enlèvement de l’opposant Amir Boukhors, qui continue d’empoisonner les relations bilatérales. L’Algérie réclame toujours son extradition.

La question mémorielle, centrale et hautement politique, reste un obstacle majeur. Malgré les promesses répétées de Macron d’avancer sur le « dossier de la mémoire », Alger utilise ce thème comme un levier politique interne, bloquant tout progrès réel.

À cela s’ajoute un contexte politique français instable : les prochaines élections législatives et présidentielle consacreront  inévitablement une place importante au débat sur l’Algérie, exposant tout rapprochement à des fluctuations électorales.

Ainsi, si la libération de Boualem Sansal marque une étape positive, elle ne constitue qu’un geste symbolique dans une relation marquée par des crises successives. Le chemin vers un véritable apaisement nécessitera une volonté politique soutenue, un dialogue structuré et un traitement en profondeur des dossiers sensibles qui, depuis des décennies, nourrissent l’incompréhension et la méfiance entre les deux rives de la Méditerranée.

Paris  Youssef Lahlali


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