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Les adouls demandent que le témoignage collectif soit revu : Le “Lafif” crée la polémique


Hassan Bentaleb
Samedi 26 Décembre 2009

Faut-il garder ou pas le «Lafif»  (témoignage collectif de 12 personnes) ? Le débat ne date pas d’aujourd’hui. Les exégètes et les juristes ont, de tout temps, manifesté leurs suspicions et méfiance à son égard. Et s’ils ont permis cette pratique, ils l’ont affublée de certaines conditions, entre autres, l’honnêteté et la crédibilité des témoins.
Aujourd’hui encore, la question fait polémique et les avis sont partagés entre ceux qui demandent son abrogation et ceux qui en demandent la conservation. Pour ses détracteurs, le témoignage collectif n’a pas d’origine dans la Charia islamique et les raisons historiques et sociales qui en sous-tendaient l’existence ne sont plus d’actualité.
Quant aux défenseurs de ce procédé, ils disent qu’il garde encore sa force et son utilité. Ils demandent sa préservation, mais à certaines conditions.
Le témoignage collectif, rappelle-t-on, est un procédé de déposition ancestral, qui remonte   au 8ème  siècle de l’Hégire et dont on ne retrouve l’existence que dans le rite malékite. Le nombre de 12 personnes n’a pas d’origine historique ou théologique communément admise. Seule la tradition en a perpétué l’existence,  même si certains le renvoient à la prière du vendredi qui exige la présence de 12 personnes pour être effectuée.  Ce procédé est  appliqué dans les affaires des immeubles immatriculés, le statut  personnel (cautionnement, garde des enfants, absence de mari,…), le préjudice, etc.
Le «Lafif» n’est pas pris en compte par le Code  des obligations et  contrats. L’article  404 de  ce Code plus que centenaire a dénombré seulement cinq moyens de preuve: l’aveu de l’adversaire, la preuve littérale, la déposition des témoins, le serment et la preuve explicite.
Seul un arrêté viziriel précise les conditions que les adouls doivent respecter dans la réception et la rédaction du témoignage collectif.
Conformément à ce vieil arrêté, la déposition doit être faite sans serment devant deux adouls et  suite à une demande du juge.
Pour la retranscrire, les adouls ont besoin de temps, car ils doivent poser plusieurs questions à chaque témoin et vérifier leurs versions des faits. Chaque témoin doit donner son nom et prénom, son lieu de résidence, etc. La modernité a adjoint à cela le fait de montrer la Carte d’identité nationale aux adouls afin qu’ils transcrivent les données y contenues sur leurs registres. Chaque entretien dure entre 5 à 10  minutes, parfois moins, parfois plus. Pour se faciliter la tâche, les adouls fixent souvent rendez-vous à l’intéressé ou se déplacent chez lui. Les adouls n’acceptent pas le témoignage collectif à l’improviste, car celui-ci rend leur tâche de transcription plus difficile. Le «Lafif» doit être déposé collectivement et en même temps par l’ensemble des témoins pour qu’il soit valide. A la fin de chaque déposition, les témoins apposent leurs signatures sur un livre spécial appelé Cahier de sauvegarde.
Pour, Watiq Abdrazzak, adoul au tribunal de première instance à Casablanca, le «Lafif» doit être maintenu, mais à condition que le nombre des témoins soit revu. Il estime que ce témoignage a donné ses preuves dans plusieurs cas, surtout liés à l’héritage. 
Me Abdrazzak donne l’exemple des enfants illégitimes enregistrés sur les livrets de l’état civil comme des enfants naturels et qui réclament, lors du décès de leur père adoptif, leurs parts de l’héritage comme s’ils faisaient partie de ses descendants légitimes. Dans ce cas, seul le témoignage collectif permet de clarifier la situation et de confirmer ou infirmer ce genre d’assertions et, du coup, le «Lafif» permet de rétablir des gens dans leurs droits et les protège contre des abus.
Mohamed Laroui, un autre adoul de Casablanca, partage ce point de vue et insiste sur la nécessité de maintenir cette pratique, mais pas dans l’absolu. Il estime que ce procédé doit être conservé dans certaines situations comme celles de la confirmation de la parenté, par exemple, et doit être banni dans d’autres comme celles concernant l’héritage, la pension alimentaire…
Me Laroui affirme à ce propos que la déposition de 12 personnes reste un outil efficace contre toute falsification et irrégularité, à condition que les témoins soient scrupuleux et que l’adoul soit très attentif et exigeant à leur égard.
De son côté, Abdrahim Moujtahid, également adoul à la capitale économique, souligne l’utilité de ce procédé et cite à ce propos un hadith du Prophète.  Il défend l’idée qu’il est difficile de corrompre douze personnes. « C’est vrai qu’il est difficile de rassembler douze témoins, mais au moins on peut avoir la conscience tranquille quand on reçoit leur témoignage»
Les adouls Mohamed Laroui et Watiq Abdrazzak sollicitent que le législateur revoie ce procédé mais uniquement au niveau du nombre de personnes demandées au témoignage. Ils pensent que six personnes peuvent rapporter la même version que douze. D’ailleurs, le témoignage de six personnes est déjà appliqué dans des affaires de préjudice.
Pour ces adouls, s’il y a difficulté, c’est au niveau de l’intéressé qui doit faire un grand effort pour réunir 12 témoins et les convaincre de témoigner en même temps. Ils soulignent aussi l’énormité de la tâche.
Me Abdrazak se souvient encore de ce jour où il a eu à accueillir 34 personnes en même temps. « L’autre jour, j’ai eu à traiter le cas d’un homme décédé qui a laissé derrière lui trois  épouses et 19 enfants. Imaginez que vous devez écouter tous ce beau monde, plus le témoignage de douze personnes. Ça m’a demandé deux jours de travail ».
Face à ces demandes de maintien du «Lafif», d’autre voix s’élèvent pour en réclamer l’annulation. C’est le cas notamment de M’bark Chidmi, un adoul casablancais, qui croit que le témoignage collectif suscite des problèmes et encourage parfois des abus.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                      Il pense aux différents cas des faux témoignages et de falsification.
Le débat est donc ouvert et la balle est désormais dans le camp du législateur.


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