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Le système D bat son plein : La débrouillardise autour de l’Aïd


Hassan Bentaleb
Mardi 1 Décembre 2009

Le système D bat son plein : La débrouillardise autour de l’Aïd
L’Aïd El Kébir constitue une fête religieuse et un événement social. C’est aussi une occasion de gagner de l’argent. Beaucoup de métiers s’improvisent pendant les journées qui précèdent la fête, ou le jour même de l’Aïd.  Hamid et Moustafa font partie de ces gens qui profitent de l’aubaine. Pour eux, l’Aïd est une opportunité qu’il faut saisir.  
Ce matin, Hamid a l’air occupé. Son portable ne cesse de sonner. Il est la personne la plus sollicitée dans le quartier. Hamid est boucher et en cette période de l’année, ce métier est très  sollicité.
Aujourd’hui, Hamid s’est réveillé à 7 h. Une longue journée l’attend. Il a une liste bien garnie de clients chez qui il doit se rendre. « En général, ce sont quelques membres de la famille, des proches, des amis et certains clients privilégiés », affirme-t-il.
Souvent, cette liste est établie avant la fête, mais elle est généralement finalisée la vielle de l’Aïd, avec des rectificatifs de dernière minute. Hamid doit s’assurer que toutes ses connaissances sont sur sa liste, car personne ne doit être oublié ou négligé. Une mission impossible, car selon Hamid : « Il y a beaucoup de demandes et c’est difficile de les satisfaire. Le plus dur, c’est qui doit passer le premier». Hamid fait payer cela au prix fort  et certains proches ne lui adressent plus la parole depuis quelques années.   
 Avec son jean taché du sang et ses bottes sales, Hamid commence sa tournée chez sa mère, avant d’enchaîner ses visites aux autres membres de la famille et les proches. Les clients arrivent en dernier.  Dans chaque maison, il passe en moyenne une demi-heure pour chaque mouton égorgé, parfois plus : « Je me souviens qu’un jour, j’ai passé trois heures chez une seule famille. En effet, elle avait cinq moutons et un boeuf ». Le portable sonne de nouveau, Hamid doit faire vite. Pour répondre à toutes les sollicitations, il a fait appel à un apprenti–boucher, un ami qu’il a connu dans le métier et doté d’une certaine expérience.
Aujourd’hui, il fait beau et frais. Un temps idéal pour Hamid pour mener à bien sa mission.
Il est 11h00, les deux hommes ont égorgé la moitié des moutons figurant de la liste. Toutefois beaucoup de gens attendent leur tour avec impatience.
Hamid est connu pour son professionnalisme et son sérieux. Durant toutes ces années, il se fait une bonne réputation. Il a réussi à gagner la confiance et l’estime d’un grand nombre des clients. Rare sont ceux qui osent critiquer sa manière de faire. Pour certains, il est devenu le boucher préféré. Il se souvient de l’époque où il était encore un apprenti avec ses critiques et des remarques: « Parfois tu tombes sur des clients indélicats qui n’hésitent pas à te gâcher la vie avec leurs remarques sur ta façon de travailler, comment tu dois procéder… mais le pire ce sont les femmes. Elles sont très exigeantes et difficiles à satisfaire», ajoutant qu’il y a aussi une catégorie de gens qui observent la prière, si tu sais égorger le mouton selon la Charia… il y a aussi ceux qui prétendent tout savoir en boucherie, mais en réalité ils ne savent que dalle. Mais ces gens sont une minorité, en général devant des gens sympas et accueillants ». Hamid pense que cette exigence est due à la méfiance, car certains amateurs saisissent l’occasion de l’Aïd et s’improvisent en bouchers. Beaucoup d’entre eux ont causé  des préjudices aux  clients qui se sont trouvés dans des situations délicates.
Hamid vient d’achever sa mission. Il a droit à un billet de 200 DH. Il est flatté. Cette journée est une bénédiction. En effet, les rémunérations varient selon les clients et leurs portefeuilles. Les plus généreux peuvent donner jusqu’à 200 DH. Les radins donnent 50 DH et ils ne sont jamais contents. Mais généralement des clients payent 100 DH. Avec les proches, n’importe quel dirhams est le bienvenu. On ne négocie pas et on accepte tout volontiers. « Il n’y a  pas un tarif précis. Pour la famille et les amis on ne discute même pas. Pour les autres, on laisse le choix au client, selon sa bourse et sa générosité, mais de toutes les façons, en fin de journée, il  se trouve avec un bon pactole  ».     
Il est 13h30, Hamid a l’air épuisé. Depuis ce matin, il a fait passer 20 clients. Certains ont deux ou trois moutons. Il est fatigué et n’en peut plus. La boucherie est une vraie épreuve physique. On fournit  beaucoup d’efforts corporels. Hamid veut rentrer chez lui, mais son portable sonne toujours. Ce sont les clients de dernière minute. Il jette un regard sur son portable. Il hésite. « Dans la vie, il n’y a pas que l’argent qui compte. Moi aussi j’ai une femme et des enfants qui m’attendent pour célébrer la fête ensemble. Je crois qu’il est temps que je rentre chez moi » a-t-il conclu.
Ce matin de l’Aïd, ce quartier populaire de Casablanca a l’air d’un champ de combat. De loin, il se dessine des restes de la fumée, des traces de sang et des tonnes d’ordures. Dans ce champ de ruine, Moustafa, les yeux aveuglés par la fumée,  exhorte ses frères à se presser. « On a beaucoup de têtes à faire brûler et on manque de bois, il faut faire vite » dit-il, l’air sérieux.   Moustafa est un lycéen de 18 ans, il est le  genre bosseur. Comme chaque année, il improvise avec ses frères une sorte d’entreprise familiale spécialisée dans la crame des têtes et des pattes de mouton.
Pour Moustafa et ses deux frères, tout se prépare la veille de l’Aïd. Ils font de la publicité pour leurs entreprises et ramassent les bois chez les voisins ou dans les environs du quartier. Ils encouragent les gens à profiter de leurs services et avec des prix intéressants. Ils savent que la concurrence est rude et doivent avoir le maximum de clients. « Ce métier ne demande pas des compétences ou un savoir-faire, beaucoup de jeunes de quartier s’adonnent à  ce boulot le jour de l’Aïd. Parfois dans le même quartier, on peut trouver deux ou trois groupes qui font la même chose » constate Moustafa.
 Le jour de l’Aïd, Moustafa et ses amis sont  prêts. Ils ont de la volonté et beaucoup de bois, de quoi brûler une ville. Ils espèrent gagner beaucoup d’argent. Moustafa fait le tour des maisons, leur demande d’envoyer les têtes et les pattes de leurs montons. Le feu brûle doucement, mais les clients ne se précipitent pas. « C’est normal, il faut attendre jusqu’à 10h ou 10h30 car la plupart des gens n’ont pas encore égorgé leurs moutons » affirme l’un des frères de Moustafa. Le temps passe vite et les clients se font rares. Moustafa et ses frères commencent à se faire des soucis.
Il est midi, le vent de l’espoir souffle de nouveau. Ils ont réussi à avoir quelques têtes et pattes. Le rythme s’accentue. Chacun a une tâche spécifique. L’un coupe les cornes avec une hache, l’autre enlève la laine avec un ciseau. Moustafa met du feu et de l’ambiance. Il joue le rôle de chef, il ordonne, incite, contrôle et encaisse l’argent. Pour chaque tête et patte brûlée, il perçoit 10 DH. Les voisins, par solidarité, n’essayent pas de négocier le prix. Moustafa et ses frères sont des orphelins et vivent avec leur grand-mère dans le besoin.
Moustafa  a les yeux rouges à cause de la fumée. Il a du mal à respirer. Il a l’air étouffé : « Tu vois, ce sont les risques du métier. On ne sort pas indemne. Chaque année, on risque nos corps pour une poignée de dirhams ». Pourtant, il est content, ainsi que ses frères. Ils ont réussi à encaisser quelque dirhams, de quoi se payer de nouveaux habits et faire une sortie au centre-ville avec leurs copines.
 


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