Le livre : Théocratie populiste Ou séparation des pouvoirs au Maroc ?


Mardi 1 Juillet 2014

Le livre : Théocratie populiste Ou séparation des pouvoirs au Maroc ?
Comment une monarchie traditionnelle qui n’avait d’autre support idéologique que le fiqh et l’ashcarisme put manoeuvrer et s’en sortir au milieu des idéologies les plus mobilisatrices : nationalisme, socialisme, communisme, etc.? Voyant son leadership indirectement contesté (demande constante du gouvernement homogène de la part de l’Istiqlal), Mohammed V joua très habilement sur les lignes de fracture qui traversaient ce parti qui, non conscient de sa fragilité, voulait gouverner seul. Entre 1956 et 1958, un Conseil national représentatif fut établi, la liberté syndicale, celles de la presse, de réunion et d’association étaient reconnues. L’Istiqlal finit par obtenir un gouvernement homogène (mai 1958) mais la monarchie n’avait rien à craindre de ce tête-à-tête : non seulement une révolte majeure se préparait au Rif (octobre 1958)  et l’Istiqlal devait ternir son image en avalisant la répression excessive du pouvoir, mais une scission s’opérait dans les rangs du parti qui perdait la plupart de ses cadres progressistes (M. Ben Barka, A. Bouabid, A. Ibrahim, A. Youssefi, Fqih M. Basri, etc.).
L’opération Écouvillon (1958) qui démantela l’Armée de libération nationale-Sud fut aussi un coup très dur pour l’Istiqlal, surtout son aile gauche. Le Palais collectionnait les succès.
Le gouvernement homogène représentait une bourgeoisie nationaliste où l’élite fassie était surreprésentée et qui désirait promouvoir un régime démocratique : l’Istiqlal voulait continuer à être en permanence cette courroie de transmission qu’il fut entre le Monarque et le peuple. Mohammed V ne l’entendait pas ainsi. A terme, cela aurait réduit son pouvoir; une co-souveraineté fatale au Monarque s’en serait suivie. Il fallut moins d’une année pour voir se former le plus étrange des gouvernements: la gauche socialiste composant avec le Makhzen.
Quant à l’UNFP, elle voyait bien comment l’Istiqlal fut congédié mais ne pouvait pas imaginer qu’elle était encore plus détestable à la monarchie que le parti de Allal Al-Fassi. Ce que l’UNFP prenait pour une aubaine était autre chose: à qui le tour d’être frustré parmi les désobéissants; mais le parti était sûr d’avoir un meilleur sort. Il voulait que la monarchie maintînt indéfiniment le rôle militant inauguré par Mohammed Ben Youssef et qu’elle continuât à servir exclusivement les intérêts des classes populaires et moyennes: mais cette attitude datait du temps du Protectorat : la classe des grands propriétaires terriens était contre l’indépendance et la bourgeoisie essentiellement faite d’étrangers; or la monarchie avait redéployé ses alliances au lendemain de l’indépendance.
L’ambiguïté de la coopération du Palais avec les modernisateurs s’efface lorsqu’on évoque l’attitude générale qui prévalait au Maroc : avec l’indépendance, la persistance du sous-développement ne pouvait être admise et la monarchie voulait montrer qu’elle était sensible à cet objectif. Si les alibis du fatalisme étaient ôtés aux Marocains et qu’ils dussent assumer effectivement la responsabilité de leur situation économique et sociale, sans recours aux faux-fuyants religieux ou idéologiques (la conspiration de l’Occident contre les Arabes et l’islam), ils auraient le même sentiment d’urgence que Ben Barka et le même volontarisme pour faire progresser le Maroc. Ben Barka ne voulait pas entendre parler d’une phase libérale nécessaire : le prolétariat et la petite bourgeoisie pouvaient, croyait-il, mettre entre parenthèses bourgeoisie et féodalité dans un contexte géopolitique défavorable. Or le Maroc était l’un des pays les moins capables de réaliser cette accélération puisque son élite socialiste, très peu nombreuse, manquait singulièrement de pragmatisme politique et était inconsidérément téméraire. Aucune alliance même tactique avec la bourgeoisie n’était envisagée.
Ce qui rendait Ben Barka si sûr de lui et de la victoire finale de ses idées, c’était sa profonde conviction qu’une politique fondée sur la tradition ne ferait que ramener le Maroc au stade précolonial :l’absurdité de cette option lui semblait tellement évidente qu’il en écartait avec impatience l’examen. Voyant que partout dans le monde la tradition était décriée, Ben Barka croyait qu’il était impossible qu’au Maroc elle revînt au-devant de la scène. Il ignorait que l’accélération à laquelle il procédait avec la scission était la chose la plus dangereuse pour l’État - si elle réussissait – et était loin d’imaginer que tout serait mis en œuvre pour abattre cette formation.
Sous le gouvernement de A. Ibrahim, « le taux de scolarisation progresse de 40 à 45%, il y a des campagnes d’alphabétisation, de formation professionnelle, 30 000 hectares de terre sont récupérés (…) [auprès de] quelque 6 000 colons français, au grand dam de la presse parisienne et quelques milliers sont distribués malgré l’opposition du palais. Une opération labour sur 300 000 ha augmente la productivité agricole, les prix des produits de première nécessité sont bloqués, les salaires ouvriers augmentés de 5%, une législation sociale, sans équivalent en Afrique, mise en place, la sécurité sociale créée comme la Banque du Maroc, les pressions inflationnistes combattues ». 


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