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Le foot professionnel encore coincé dans le monde d'avant

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Libé
Vendredi 30 Avril 2021

Le foot professionnel encore coincé dans le monde d'avant
La crise sanitaire liée au Covid-19, qui a bouleversé le modèle économique du football professionnel, a mis en lumière la dépendance économique des clubs envers les secteurs traditionnels d'une économie globalisée, symbole du "monde d'avant". Privés d'une grande partie de leurs revenus en raison de la pandémie de coronavirus, comme les abonnements, les recettes de billetterie ou les ventes de maillots, les clubs, qui ont vu leurs chiffres d'affaires exploser en vingt ans (de 218 M EUR en 2000 à 691,8 M EUR en 2020 par exemple pour le Real Madrid), sont d'autant plus dépendants de leurs sponsors. Et plus la crise dure, plus l'incertitude concernant la capacité de ces sponsors et des investisseurs à maintenir leurs engagements s'installe. En France, les Girondins de Bordeaux, dont le propriétaire, le fonds d'investissement américain King Street, a annoncé vouloir se désengager, en sont la première victime, et peut-être pas la dernière. Pour William Miller, professeur de marketing du sport à l'université de Wisconsin-Parkside, les situations de crise telles qu'une pandémie "peuvent évidemment amener les entreprises à réévaluer leurs positions". D'autant que les clubs les plus puissants et médiatisés dépendent d'un nombre restreint d'acteurs économiques. 

Selon Bryn Anderson, analyste financier au cabinet KPMG, spécialiste de l'économie du sport, "la mondialisation accrue du football et l'attrait international grandissant ont fait évoluer le type de marques impliquées au haut niveau: l'augmentation des valeurs de sponsoring a de plus en plus limité les types de secteurs et d'entreprises qui peuvent désormais se permettre ce type d'investissement". Ainsi, "le sponsoring des maillots provenant des compagnies aériennes, des banques et des marques automobiles représente plus de la moitié du sponsoring total des cinq grands championnats de football européen", détaille-t-il. Selon des chiffres compilés par l'AFP sur les cinq principaux championnats (Angleterre, Espagne, Italie, Allemagne et France), 37% des contrats de sponsoring maillot et 13,4% des contrats de naming d'enceintes proviennent de banques ou assurances, tandis que l'automobile et le secteur aérien comptent respectivement pour 10% et 6% des sponsors maillot et pour 13,7% et 6,8% des contrats de naming de stades.

Si le secteur financier parvient à garder la tête hors de l'eau en cette année de crise, ce n'est pas le cas de l'aérien et de l'automobile. Les entreprises de ces deux secteurs qui sont particulièrement impliqués dans le monde du football vont-elles reconsidérer leurs soutiens financiers envers les clubs? Oui, affirme Bryn Anderson, qui estime que "les compagnies aériennes, les constructeurs automobiles, les détaillants, les groupes hôteliers et même les marques de tourisme vont se demander s'ils peuvent justifier à l'avenir de dépenser des sommes aussi importantes pour le sponsoring du football". Les grands gagnants de la crise (ecommerce, entreprises high-tech, services informatiques) pourraient ainsi remplacer les perdants. Tout un symbole, le constructeur automobile Chevrolet, actuel sponsor principal de Manchester United à hauteur de 70 millions d'euros par an, n'a pas prolongé son contrat avec le club anglais et sera remplacé par TeamViewer, une entreprise allemande, inconnue du grand public et spécialisée dans les logiciels de gestion d'ordinateur à distance, qui s'est engagé à verser 55 millions d'euros par saison pendant les cinq prochaines années. Bryn Anderson l'assure, "cet accord n'aurait probablement pas eu lieu sans la pandémie", qui a permis à TeamViewer de se développer considérablement.

Le naming, dernier levier pour clubs en crise

Durement touchés par la pandémie de coronavirus, les clubs européens disposent encore d'un levier, le naming, ou la vente du nom de son stade ou de sa salle à un sponsor, mais certains préfèrent ne pas l'utiliser pour ne pas mécontenter leurs supporters. "De nombreux clubs européens passent depuis longtemps à côté de millions de dollars de droits de sponsoring annuels pour le naming des stades", constate Bryn Anderson, analyste au cabinet d'audit KPMG, spécialiste de l'économie du sport. "Si l'on regarde les 98 clubs des cinq grands championnats de football européen (Allemagne, Angleterre, Espagne, France, Italie), seuls 30% d'entre eux ont actuellement des contrats de naming pour leurs stades", explique-t-il à l'AFP. Cette pratique, qui consiste à vendre à un sponsor le droit d'accoler son nom à une enceinte sportive et qui s'est développée aux Etats-Unis au début du XXe siècle, connaît un boom en Europe depuis le milieu des années 2000, en particulier dans le football. Dans les cinq grands championnats européens, seuls deux clubs (Leverkusen et Middlesbrough) possédaient des contrats de naming en 2000.

On en recense désormais 29 sur les 98 clubs engagés dans les cinq plus grands championnats européens, dont, en France, Marseille et Lyon, associés respectivement à Orange et Groupama depuis 2017. Une nette progression qui laisse toutefois l'Europe loin derrière les ligues nord-américaines, comme la NFL (football américain) où plus de 80% des enceintes portent le nom d'une entreprise. "Dans l'environnement actuel où les organisations sportives tentent de générer le plus de revenus possible, il sera difficile pour elles de ne pas au moins envisager la vente de droits de naming", note William Miller, professeur de marketing du sport à l'Université de Wisconsin-Parkside. Pour Bryn Anderson, "les problèmes de trésorerie et de liquidité pourraient pousser les clubs sportifs, même ceux qui ont été réticents jusqu'à présent, à exploiter les revenus des droits de naming des stades pour aider à compenser leurs pertes financières et financer des développements coûteux." Pourtant, de nombreux clubs restent réticents à l'idée de signer des contrats de naming. Manchester United pourrait ainsi tirer, s'il acceptait d'accoler le nom d'une entreprise à son stade mythique d'Old Trafford, près de 30,5 millions d'euros par an. "Impossible", rétorque Enguerran de Crémiers, directeur général de Kroll (Duff & Phelps), "on ne peut pas imaginer à l'heure actuelle un naming sur Old Trafford", considéré comme un temple du football anglais, même si la dette du club mancunien a explosé l'an dernier, et frôle aujourd'hui les 550 millions d'euros.

Selon cet expert, le principal obstacle au développement du naming est "le respect des identités des clubs" et des supporters. Un constat partagé par Eric Smallwood, président d'Apex Marketing Group, qui considère que certains stades demeurent "sacrés", même en temps de crise. Face à cette crise qui fragilise des modèles économiques déjà ébranlés, d'autres "grands" d'Europe en quête de revenus, comme le FC Barcelone et le Real Madrid, impliqués dans le projet vite abandonné de Super Ligue, étudient pourtant la possibilité d'un naming sur leurs enceintes en rénovation, au risque de froisser leurs "socios". En dehors du football, certains clubs sont prêts à franchir le pas pour consolider leurs finances. C'est le cas du Montpellier Handball, club le plus titré de l'Hexagone, moins médiatisé et bien plus dépendant des revenus commerciaux (abonnements, recettes de billetterie...). S'il a pu compter sur le soutien de l'Etat, le président du club Julien Deljarry souhaite, en attendant la construction de sa nouvelle "Arena" pour les JO-2024, vendre les droits de naming du Palais des Sports René Bougnol, contre l'avis de certains supporters. "Je comprends totalement le ressenti des supporters. Maintenant, s'ils veulent un club compétitif au niveau européen, il va falloir continuer à trouver des nouveaux leviers pour amener de nouvelles ressources au club", affirme Julien Deljarry. Il espère pouvoir conclure un accord avec un investisseur pour récupérer les droits de naming "dès le mois de septembre" afin de retrouver "une autonomie financière", après cette période sans précédent.


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