Le Maroc, acteur central dans les dynamiques migratoires entre l’Afrique et l’Europe : Paradoxes, opportunités et défis


Hassan Bentaleb
Dimanche 10 Août 2025

Le Maroc, acteur central dans les dynamiques migratoires entre l’Afrique et l’Europe : Paradoxes, opportunités et défis
« Le Maroc se positionne aujourd’hui comme un acteur central dans les dynamiques migratoires entre l’Afrique et l’Europe », c’est ce qui ressort du rapport : « Vue d'ensemble de l'asile et de la migration en 2024 », publié récemment par European Migration Network
 
 Les nouvelles tendances : demandeurs d’asile et acquisition de nationalité
 
Selon ce document, le Maroc demeure en 2024, l’un des principaux pays d’origine des primo-demandeurs d’asile dans l’Union européenne et en Norvège, avec 22.645 demandes, juste derrière l’Egypte. Bien que les ressortissants marocains déposent de nombreuses demandes d’asile, ils sont aussi parmi les plus nombreux à acquérir la citoyenneté européenne sur la période 2021-2023 : le Maroc occupe la première place en 2021 et 2022, puis la seconde en 2023 derrière la Syrie. Cela confirme une tendance de longue durée à la mobilité et à l’intégration, sous diverses formes, des Marocains en Europe.

Parallèlement, le Maroc se situe au cœur des politiques de retour : 31.590 Marocains ont fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire européen en 2024, signifiant que les flux migratoires sont non seulement multidirectionnels (mobilité légale et illégale, acquisition de nationalité, retours forcés ou volontaires), mais aussi soumis à des politiques migratoires européennes de plus en plus sélectives.
 
Migration, développement et coopération
 
Sur un autre registre, ledit document indique que les récentes initiatives des pays européens en matière de migration,  démontrent que le Maroc n’est plus perçu uniquement comme pays d’origine, mais aussi comme partenaire du développement et de la gestion migratoire comme en témoignent les projets de mobilité des compétences avec certains pays comme c’est le cas avec la Belgique, à travers des projets tels que le Skills Mobility Partnership, qui accompagne la formation de personnels qualifiés dans la santé au Maroc, renforçant les compétences locales tout en facilitant la mobilité professionnelle vers l’Europe. Il y a également des ateliers dédiés à la promotion des remises de fonds  (projet O-remit) qui encouragent la diaspora marocaine à mobiliser ses transferts financiers dans une logique de développement économique au Maroc, reconnaissant ainsi le rôle crucial de la migration dans le développement local.
 
 Retour, réadmission et contrôle des flux
 
Le rapport d’European Migration Network révèle également le rôle du Maroc dans le contrôle des flux irréguliers et sa coopération en matière de retour . A ce propos, plusieurs partenariats bilatéraux ont été établis comme c’est le cas avec l’Allemagne qui a mis en place des mécanismes spécifiques de retour et réadmission avec le Maroc, alors que la Bulgarie intensifie la collaboration avec les autorités consulaires marocaines. « On observe ainsi un renforcement des échanges d’informations et de procédures administratives pour faciliter les retours », précisent les rédacteurs dudit rapport.

A noter qu’en 2024, poursuivent-ils, l’Irlande a ajouté le Maroc à sa liste des « pays sûrs ». Un classement qui réduit la probabilité d’obtenir l’asile pour les Marocains, renforçant l’idée d’un « tri » migratoire et une politique de contrôle plus restrictive.
 
Nouveaux axes de coopération
 
Au niveau toujours de  la coopération en matière de lutte contre le trafic des êtres humains, des programmes conjoints visent à renforcer la coopération policière et judiciaire pour prévenir le trafic d’êtres humains, autre dimension clé des relations euro-marocaines. Idem pour la migration circulaire. Le Maroc est devenu un modèle dans les initiatives de migration circulaire, permettant à des travailleurs de développer leurs compétences en Europe avant de revenir investir au Maroc, générant ainsi un « gagnant-gagnant » entre besoins européens en main-d’œuvre et développement du capital humain local.

Le Maroc s’implique aussi dans de nombreux projets internationaux visant à améliorer la gestion migratoire et le respect des droits des migrants ainsi qu’à renforcer ses capacités institutionnelles.

Opportunités stratégiques et défis complexes
 
Pour Mohamed Chaoui, chercheur en sciences politiques, « l’analyse des données récentes et des orientations politiques européennes révèle la position, à la fois, stratégique et profondément ambivalente du Maroc dans le paysage de la gouvernance migratoire et en dit long sur les paradoxes et les tensions inhérentes à cette position dans les dynamiques migratoires euro-africaines ».

« Le Maroc est aujourd’hui de plus en plus reconnu et valorisé par l’Union européenne comme un partenaire clé dans la gestion des migrations. Cette valorisation prend la forme de dispositifs de coopération visant à contrôler les flux migratoires, mais aussi à promouvoir des projets de développement, notamment par la formation de compétences et la mobilisation des remises de fonds issues de la diaspora. Ces initiatives soulignent l’importance accordée à la migration comme levier potentiel de développement économique et social », indique Mohamed Chaoui.  Et de nuancer : « Cependant, cette lecture économique tend à réduire la question migratoire à un simple vecteur de croissance, sans toujours prendre pleinement en compte la complexité des trajectoires individuelles et les droits fondamentaux des migrants ».

En outre, notre interlocuteur souligne que « le Maroc fait l’objet de politiques européennes de contrôle et de pression, traduisant une volonté claire de renforcer la sécurisation des frontières et de gérer de manière plus rigoureuse les retours des migrants en situation irrégulière ».

« Cette approche répressive, matérialisée notamment par le classement du Maroc comme “pays sûr d’origine” par certains Etats membres, pose problème. En effet, elle risque d’entraver l’accès au droit d’asile et de favoriser des situations d’exclusion et de précarité, tout en accroissant la vulnérabilité des personnes concernées. Paradoxalement, ce renforcement des mécanismes de contrôle place le Maroc dans une position délicate : il doit faire preuve de diligence dans l’application de ces politiques, tout en préservant sa stabilité interne et son image internationale », alerte-t-il.
Et de poursuivre : « Cette ambivalence est amplifiée par les attentes multiformes placées sur le Maroc devant jongler entre ses propres objectifs de développement, la nécessité d’assurer la protection des droits des migrants sur son territoire, et les exigences de ses partenaires européens. La dimension diplomatique, multipolaire et souvent asymétrique, impose au Royaume de naviguer au sein d’un cadre complexe, où les intérêts géopolitiques et économiques ne coïncident pas toujours avec les impératifs humanitaires ».

Par ailleurs, le Maroc, ajoute Mohamed Chaoui, devra s’adapter en permanence aux évolutions rapides des politiques européennes, qui tendent à durcir leur cadre réglementaire tout en mettant en avant des partenariats plus stratégiques et conditionnels.

« Loin d’être un simple maillon passif, le Maroc s’affirme désormais comme un acteur incontournable de la gouvernance migratoire euro-africaine. Néanmoins, cette position, bien que porteuse d’opportunités, est traversée de contradictions profondes, qui exigent une réflexion critique et une volonté politique forte pour articuler souveraineté nationale, développement, protection des droits humains et partenariats internationaux justes et équilibrés », a-t-il conclu.

Hassan Bentaleb


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