Du déjà-vu ! Le ministre de la Justice tenté par la rationalisation de la détention provisoire


Hassan Bentaleb
Mardi 16 Novembre 2021

Quel crédit accorder à l’ assertion avancée par Abdellatif Ouahbi ?

Du déjà-vu ! Le ministre de la Justice tenté par la rationalisation de la détention provisoire
Le dossier de détention provisoire est de nouveau au cœur du débat public. En effet, le nouveau gouvernement Akhannouch compte s’attaquer à ce dossier qui traîne depuis des années. Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice, a indiqué que l’Exécutif envisage de rationaliser la détention provisoire, considérée comme premier facteur de surpopulation dans les prisons marocaines.

Du déjà vu
Intervenant lundi lors de la séance plénière hebdomadaire consacrée aux questions orales à la Chambre des représentants, le ministre a révélé que 44,56% des personnes incarcérées sont en détention provisoire et que son département n’a pas le pouvoir d’intervenir puisqu’il ne peut s’ingérer dans le travail du ministère public. Pour lui, sa marge de manœuvre se limite à la mise en place d’un cadre législatif adéquat.
A ce propos, il a annoncé que le projet de loi de procédure pénale, qui devrait voir le jour bientôt, stipulait le recours à la détention provisoire seulement en cas d’épuisement de toutes les autres alternatives, soulignant à cet égard, la possibilité de recourir à l'interdiction de quitter le territoire ou au bracelet électronique.
En outre, il a ajouté que ledit projet prévoit de lier le recours à la détention provisoire à des conditions se rapportant à des cas particuliers nécessitant ce recours comme l'aveu définitif et ferme de l’inculpé, la gravité de l'acte commis pouvant constituer une menace contre l'ordre public ou la gravité des moyens utilisés, tout en soulignant la nécessité de justifier la décision de détention provisoire.
Le ministre a indiqué également que ledit projet prévoit la réduction de la période de détention provisoire de 12 mois à 8 mois, et la possibilité de contester la légalité de la décision de détention provisoire dans un délai d’un jour de détention devant un jury composé de trois juges.

Un problème assez complexe et délicat
Autant dire de prime abord que c’est du déjà vu. L’annonce faite par le ministre prendra-t-elle vraiment effet ? De par les précédentes expériences, on appréhende qu’il en soit autrement. « Le dossier de détention provisoire est un problème assez complexe et délicat qu’il serait difficile à résoudre d’un trait de plume », nous a indiqué Me Allal El Basraoui, bâtonnier du Barreau de Khouribga. Et de poursuivre : «En effet, ce sujet est étroitement lié à l’essence même du travail du ministère public qui demeure une instance indépendante dont le président est désigné par le Roi. Cette instance a le droit, dans le cadre de sa mission, de classer les plaintes déposées ou de poursuivre les personnes concernées. Et ce droit de poursuite n’est assujetti à aucun contrôle».
Notre interlocuteur nous a ajouté, par ailleurs, que le recours excessif à la détention provisoire impacte gravement la situation dans les établissements pénitentiaires. Un état des lieux qui a été déploré par l'administration pénitentiaire en juillet dernier a souligné que la détention préventive, qui est une mesure «exceptionnelle» devenue presque une «règle», est l'une des causes principales de la surpopulation carcérale. Une critique que partage une coalition de défense des droits humains, qui regroupe 20 principales organisations militantes, qui estime que "la politique de détention provisoire au Maroc est appliquée sans équilibre, sagesse ou prévoyance". «Nous avons aujourd’hui 90.000 détenus dans nos prisons. Le même chiffre qu’on trouve en France dont la population totale avoisine 70 millions habitants», a-t-il noté. Et de poursuivre : «Cette situation entrave la mission des prisons dont la rééducation et la réinsertion des détenus». A rappeler qu’à fin 2019, plus d'un tiers des détenus (39%), soit 33.689 personnes, étaient en détention provisoire dans les prisons marocaines, selon un rapport annuel du ministère public.
Me Allal El Basraoui estime que la complexité de ce dossier trouve une partie de son explication dans le refus d’une partie du ministère public à faire des concessions sur ce sujet. Pour cette partie, la détention provisoire constitue un élément important d’autorité et de l’aura du ministère public. «Certains procureurs soutiennent qu’ils doivent préserver la détention provisoire comme moyen de dissuasion», a-t-il précisé.

Des dispositions trop répressives
De son côté, Hassan Daki, Procureur général du Roi près la Cour de Cassation, président du ministère public, a affirmé, en mai dernier à Tétouan, lors d'une journée d'étude sur la "détention provisoire au Maroc", que l'augmentation du taux de détention préventive est principalement due au fait que la plupart des textes juridiques comportent des dispositions répressives qui comprennent des peines privatives de liberté, en plus de l'absence d'alternatives à la détention préventive au niveau législatif, et de l'accroissement du nombre de personnes soupçonnées d'avoir commis des délits et présentées devant le parquet général (20% entre 2017 et 2020).
M. Daki a, à cet égard, assuré que le ministère public est conscient de la nécessité de rationaliser la détention préventive en tant que priorité centrale dans la mise en œuvre de la politique pénale, ce qui est contenu dans les différentes circulaires destinées aux responsables judiciaires pour l'activation du caractère d’exception de la détention préventive, notant que ces efforts ont permis concrètement de réduire de 42% à moins de 39% le taux de détention préventive entre 2017 et 2019, tandis que le nombre de poursuites en état de détention qui se terminent par une mise en liberté est passé d'environ 4.000 verdicts en 2018 à 1.867 en 2020.
Après avoir fait observer que seuls les efforts du ministère public ne peuvent réussir la réduction du taux de détention préventive, compte tenu des multiples facteurs liés au nombre de détenus, le Procureur général du Roi près la Cour de Cassation a rappelé que la législation nationale adopte une définition large de la détention préventive qui s'étend à toutes les étapes du procès jusqu'à ce que le jugement définitif soit rendu, contrairement à la définition onusienne, qui limite la définition d'une personne mise en détention provisoire au détenu qui n'a pas fait l'objet d'une décision de justice, même celle rendue en première instance.
Dans ce cadre, il a affirmé que le rythme de règlement des dossiers des détenus est également un facteur clé pour déterminer le taux de détention préventive, ce qui a été observé de manière tangible pendant la mise en œuvre de l'état d'urgence sanitaire (45% en 2020), avant l'adoption du choix stratégique du procès à distance, qui a permis la libération de plus de 12.000 personnes. Le président du ministère public a conclu que sur la population carcérale totale, qui s'élevait à 84.990 personnes en 2020, seules 15.359 personnes n'ont pas fait l'objet d'une décision de première instance sur l'exécution d'une peine privative de liberté, soit 18%, qui est le taux réel de détention préventive, selon la définition adoptée par les Nations Unies et dans les lois comparées. 


Lu 440 fois

Nouveau commentaire :

Votre avis nous intéresse. Cependant, Libé refusera de diffuser toute forme de message haineux, diffamatoire, calomnieux ou attentatoire à l'honneur et à la vie privée.
Seront immédiatement exclus de notre site, tous propos racistes ou xénophobes, menaces, injures ou autres incitations à la violence.
En toutes circonstances, nous vous recommandons respect et courtoisie. Merci.

Dossiers du weekend | Actualité | Spécial élections | Les cancres de la campagne | Libé + Eté | Spécial Eté | Rétrospective 2010 | Monde | Société | Régions | Horizons | Economie | Culture | Sport | Ecume du jour | Entretien | Archives | Vidéo | Expresso | En toute Libé | USFP | People | Editorial | Post Scriptum | Billet | Rebonds | Vu d'ici | Scalpel | Chronique littéraire | Chronique | Portrait | Au jour le jour | Edito | Sur le vif | RETROSPECTIVE 2020 | RETROSPECTIVE ECO 2020 | RETROSPECTIVE USFP 2020 | RETROSPECTIVE SPORT 2020 | RETROSPECTIVE CULTURE 2020 | RETROSPECTIVE SOCIETE 2020 | RETROSPECTIVE MONDE 2020 | Videos USFP | Economie_Zoom | TVLibe


Flux RSS