Trump doit nommer un commissaire aux statistiques indépendant


Michael R. Strain
Dimanche 10 Août 2025

Trump doit nommer un commissaire aux statistiques indépendant
Après avoir limogé la directrice du Bureau des statistiques du travail (BLS) vendredi dernier, le président américain Donald Trump a annoncé qu’il nommerait cette semaine le prochain dirigeant de l’agence. Il est impératif que le nouveau commissaire nommé par Trump soit perçu par les entreprises et les investisseurs comme non partisan et indépendant de la Maison-Blanche. La confiance dans l’intégrité des chiffres publics constituant en effet l’un des piliers de la prospérité, la nomination d’un directeur du BLS neutre s’inscrit directement dans l’intérêt politique de Trump.
 
Le licenciement de la commissaire du BLS, Erika McEntarfer, est intervenu immédiatement après la publication de son rapport sur l’emploi pour le mois de juillet, qui a révélé que l’économie américaine avait créé seulement 73.000 nouveaux emplois. Comme chaque mois, le rapport du BLS incluait également les chiffres révisés des deux périodes mensuelles précédentes. Ces révisions significatives indiquaient la création de seulement 19.000 nouveaux emplois nets en mai, et de 14.000 en juin.

Ces chiffres ont provoqué la fureur de Donald Trump, qui a affirmé sur les réseaux sociaux que McEntarfer avait «truqué» les statistiques de l’emploi, les manipulant « à des fins politiques ». Pour être clair d’emblée, il n’existe pas l’ombre d’une preuve à l’appui de ces affirmations, dont tout porte à croire qu’elles sont absurdes.

A supposer même qu’une intention malveillante soit avérée, il serait extrêmement difficile de falsifier les chiffres. Comme l’a expliqué à Politico le prédécesseur de McEntarfer, William Beach, qui avait été nommé par Trump, plusieurs centaines d’analystes travaillent à la détermination des chiffres, lesquels sont finalisés par près de 40 professionnels ayant servi sous des présidences démocrates comme républicaines. « Le commissaire ne connaît pas ces chiffres avant le mercredi précédent leur publication du vendredi », a précisé Beach.

«Le commissaire n’exerce aucun contrôle ni aucune influence sur les chiffres, et n’a aucun moyen de les connaître avant leur finalisation complète». En affirmant de façon mensongère que les chiffres de l’emploi sont biaisés, Trump met à mal la crédibilité des informations sur lesquelles se fondent les dirigeants politiques, les entreprises, les ménages et les investisseurs, avec des conséquences économiques majeures.

Sans connaissance satisfaisante des faits économiques sur le terrain, les investisseurs seraient susceptibles de percevoir des niveaux de risque plus élevés que dans la réalité, les entreprises de reporter la mise en œuvre de nouveaux projets, et la Réserve fédérale américaine de commettre de graves erreurs dans la fixation des taux d’intérêt.

La décision de Trump de limoger McEntarfer pour nommer un nouveau commissaire du BLS renvoie à des précédents historiques difficiles à ignorer. L’URSS et la Chine ont souvent falsifié les chiffres de l’économie afin de soutenir leurs politiques (Joseph Staline ayant par exemple fait exécuter un responsable du recensement qui avait communiqué un chiffre de population inférieur à celui annoncé par le dirigeant soviétique).

On ne le répétera jamais assez, les données publiées par le BLS concernant le marché du travail – et plus généralement les données économiques publiques américaines – constituent le point de repère par excellence. Il n’existe tout simplement aucun substitut à ces chiffres. Bien que les données du secteur privé complètent de manière non négligeable les statistiques publiques, elles se révèlent souvent beaucoup moins représentatives et plus contestables que les chiffres de l’Etat.

De même, les révisions des statistiques officielles – qui ont provoqué le licenciement de McEntarfer – sont fréquentes et ne justifient pas que l’on s’en offusque. Les agences publiques doivent en effet trouver un équilibre entre la nécessité de disposer de chiffres de qualité et l’impératif consistant à publier ces données dans les délais.

Les chiffres de l’emploi correspondent à une estimation du nombre total de travailleurs salariés au cours de la semaine incluant le 12e jour du mois. Les entreprises sont interrogées, et certaines communiquent leur réponse tardivement, ou rémunèrent leurs salariés à la fin du mois. Le défi pour le BLS consiste à fournir aux dirigeants politiques des informations cruciales aussi rapidement que possible, tout en sachant que plus l’agence patientera, plus les chiffres seront de qualité.

A titre d’exemple, le BLS aurait pu attendre le mois d’août pour publier les données du mois de mai, mais cela aurait compliqué la tâche consistant pour la Réserve fédérale à fixer les taux d’intérêt pour l’été, et pour les entreprises la prise de décisions importantes en fonction de l’état du marché du travail. C’est pourquoi le BLS a préféré communiquer en juin une estimation pour le mois de mai, puis une autre fondée sur des données plus complètes au mois de juillet, avant de publier ses chiffres définitifs en août.

Outre ces complexités liées aux délais de réponse, le BLS doit relever dans notre exemple le défi consistant à estimer les baisses d’emploi au sein d’entreprises ayant quitté le marché en mai, et le nombre de nouveaux emplois dans des entreprises créées ce même mois de mai. Il lui faut également tenir compte des fluctuations saisonnières de l’emploi. Autrement dit, nous parlons bien de révisions, pas de corrections.

Par ailleurs, bien que les révisions de la semaine dernière aient été importantes, le nombre total d’emplois pour le mois de mai ayant été revu à la baisse de 125.000, et celui de juin de 133.000, ces chiffres ne me semblent ni inquiétants, ni excessifs. D’après mes calculs, ces 30 dernières années, les révisions à la baisse ont été à dix reprises supérieures à 100.000 emplois, et les révisions à la hausse supérieures à 100.000 emplois à 26 reprises.

Trump ferait bien d’y réfléchir à deux fois avant de tenter d’installer à la tête du BLS un directeur docile. Le président américain doit garder à l’esprit que lorsque l’Argentine a manipulé ses données relatives à l’inflation – et que les marchés ont cessé de faire confiance aux statistiques publiques – les taux d’intérêt ont augmenté, et la crise de la dette du pays s’est aggravée.

Si toutefois Trump décide de nommer un commissaire à ses ordres, nous devrons continuer de croire en l’intégrité des données – qui, encore une fois, sont très difficiles à falsifier – jusqu’à ce que les fonctionnaires du BLS nous donnent des raisons de ne plus nous y fier.
A la tête du BLS, McEntarfer prenait des décisions libres de toute influence politique. Il est essentiel que le prochain directeur de l’agence soit tout aussi indépendant, sans quoi les dirigeants politiques, les chefs d’entreprise, les ménages et les investisseurs risquent de commencer à percevoir les chiffres publics comme erronés, ce qui pourrait entraîner des effets dommageables en cascade dans l’économie américaine. Il est dans l’intérêt politique direct de Trump d’éviter cela. Sachant malheureusement sa tendance à se tirer une balle dans le pied, je ne suis pas rassuré.

Par Michael R. Strain
Directeur des études de politique économique à l'American Enterprise Institute


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