Tétouan face à l’urgence Le temps des promesses est révolu


Mohamed Assouali
Vendredi 22 Août 2025

Tétouan face à l’urgence Le temps des promesses est révolu
Un discours clair, une attente forte 
 
Le 29 juillet 2025, Sa Majesté le Roi Mohammed VI a fixé un cap décisif : lancer une nouvelle génération de programmes de développement intégrés. Le principe est limpide : chaque territoire doit partir de son identité, de ses richesses et de ses besoins réels, dans l’esprit de la régionalisation avancée et de la justice territoriale.

Le ministre de l’Intérieur a relayé cette vision en demandant aux walis et gouverneurs d’engager des concertations immédiates avec les acteurs locaux. Mais à Tétouan, une question se pose avec acuité : le gouvernement, les élus et les autorités provinciales sauront-ils transformer ces orientations ambitieuses en actions tangibles ?
 
Des atouts exceptionnels, une réalité fragile

Tétouan est une ville privilégiée par la géographie et l’histoire. Située aux portes de l’Europe, entourée de montagnes verdoyantes et dotée d’un littoral méditerranéen exceptionnel, elle possède un patrimoine culturel d’une rare richesse. La médina andalouse, classée patrimoine mondial de l’UNESCO, est l’un de ses joyaux.

Mais la réalité sociale est loin de refléter ces atouts. Le chômage reste élevé, en particulier chez les jeunes diplômés. Le taux régional de 9,7% dépasse largement celui de Tanger (6,5%) ou de Casablanca (8,9%), et traduit un déséquilibre territorial profond. L’éducation souffre : classes surchargées, abandon scolaire, infrastructures insuffisantes. Le secteur de la santé, lui, est sous pression : certaines zones comptent à peine un médecin pour 2.000 habitants, alors que la moyenne nationale est de 1,8 médecin pour 1.000 habitants et que l’OMS recommande 4,5. Cette fragilité sociale mine la confiance et accentue l’exode des jeunes.
 
Des projets qui traînent, une confiance perdue

Depuis des années, les habitants de Tétouan entendent parler de projets structurants. Mais beaucoup restent inachevés ou à l’état de promesse. L’autoroute Tanger–Tétouan est toujours absente. La liaison ferroviaire par Tamouda Bay n’existe que dans les études. La route express Tétouan–Chefchaouen est bloquée depuis plus de quinze ans.

A cela s’ajoutent le grand stade, le palais des congrès, la réhabilitation de la médina, ou encore l’aménagement des berges de l’oued Martil. Autant de chantiers qui auraient dû transformer la région, et qui incarnent aujourd’hui la lenteur, le manque de suivi et la perte de confiance des citoyens envers les institutions. Ici, l’échec n’est pas technique mais politique : absence de gouvernance claire, manque de coordination et promesses électorales non tenues.
 
Ce qu’il faut pour réussir 

La réussite n’est pas une question de hasard. Elle repose sur des choix clairs et des décisions courageuses.

D’abord, le financement : Tétouan a besoin d’un plan d’investissement exceptionnel. Cela passe par des budgets renforcés pour les collectivités, un fonds spécifique dédié à la province et une fiscalité incitative, comme ce fut le cas pour Tanger et Agadir. Un « pacte fiscal territorial » pour Tétouan garantirait la justice financière et encouragerait l’investissement privé.

Ensuite, une planification cohérente : mettre fin aux projets dispersés, assurer un rééquilibrage entre Tétouan et Tanger, et orienter le foncier vers des projets productifs. Trop de terres ont été englouties par une urbanisation sans valeur ajoutée.

Enfin, la société civile doit être pleinement associée. La Charte nationale de la déconcentration administrative (2018) rappelle que les décisions doivent être rapprochées du citoyen. A Tétouan, cela signifie impliquer les associations, les entrepreneurs et les acteurs culturels pour transformer le potentiel en dynamique concrète.
 
Un territoire à plusieurs vocations

Tétouan n’est pas une ville monofonctionnelle. C’est une mosaïque d’activités et de vocations. La culture et le patrimoine en sont un pilier. Le tourisme, avec ses plages et ses montagnes, doit devenir une locomotive durable. Le commerce et l’industrie doivent être modernisés par des zones industrielles compétitives, orientées vers les standards des villes intelligentes.

Le sport et les loisirs ne doivent pas être oubliés : de nouveaux complexes sportifs, une piste de cross-country et une industrie de loisirs forte pourraient faire de Tétouan une destination complète, pour ses habitants comme pour ses visiteurs. L’argent public doit se concentrer sur les projets créateurs d’emplois et de valeur, tandis que le privé peut assumer le financement d’événements et de festivals.
 
L’INDH à réorienter

L’Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH) est un outil précieux, mais ses résultats restent modestes à Tétouan. Il faut désormais la rediriger vers le monde rural. Briser l’isolement, créer des activités économiques locales, soutenir l’auto-emploi et favoriser des projets générateurs de revenus. Dans ce schéma, le secteur privé doit contribuer davantage au financement culturel, pour laisser les ressources publiques se concentrer sur les projets structurants et sociaux.
 
De la promesse à l’action 

Les orientations Royales ne manquent pas de clarté. Ce qui manque, c’est l’exécution. Les institutions locales doivent assumer leur rôle et rendre des comptes. Tétouan possède tout pour réussir : un emplacement stratégique, un patrimoine exceptionnel, une ouverture sur l’Europe. Mais sans volonté politique sincère, sans cohérence et sans financements, le décollage restera un mirage.

La Constitution (article 31) garantit à chaque citoyen le droit à l’emploi, à la santé et au développement durable. Ce droit n’est pas une faveur : c’est une obligation de l’Etat et de ses institutions. Les citoyens, eux, sont lassés. Ils ne veulent plus de promesses. Ils veulent des résultats : des emplois, de meilleurs services publics, une qualité de vie digne.
 
Le champ de développement intégré : la clé de l’avenir

Pour avancer, il faut sortir de la logique administrative et penser en termes de territoire intégré. Le littoral méditerranéen, de Oued Laou à Fnideq, forme un espace cohérent. Il peut devenir un pôle touristique et économique puissant, attractif au niveau national et international.

Le tourisme peut être la locomotive du développement, mais à condition d’accompagner ce choix par des infrastructures solides, des espaces culturels et environnementaux, et une vraie stratégie d’investissement. Le financement doit provenir de l’Etat, du privé et de partenariats internationaux, misant sur la proximité de l’Europe.

Dans ce cadre, le rôle des walis et gouverneurs est central. Le Maroc a choisi de les nommer comme «développeurs territoriaux». Leur mission n’est plus seulement de maintenir l’ordre, mais de piloter le développement. Ce changement est une avancée. Mais il doit s’appuyer sur des mécanismes d’évaluation rigoureux, sur une reddition des comptes et sur une relation complémentaire avec les conseils élus.

L’exemple de Porto, au Portugal, est éclairant : une ville secondaire a transformé son patrimoine et son littoral en moteur de croissance grâce à une gouvernance territoriale claire. Pourquoi Tétouan n’y parviendrait-elle pas ?

Par Mohamed Assouali
Secrétaire provincial de l’USFP à Tétouan


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