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Le déclic climatique du Printemps arabe

Quand la météo attise les tensions


Hassan Bentaleb
Vendredi 15 Mars 2013

Le déclic climatique du Printemps arabe
Les hypothèses expliquant le déclenchement des  révoltes arabes en 2011 se poursuivent mais ne se rassemblent pas. Entre ceux qui pensent que le Printemps arabe est dû principalement  au manque de libertés et de démocratie, et ceux qui estiment que ces contestations populaires ont pour origines  le chômage, la misère et l’envolée du coût de la vie. Anne-Marie Slaughter,  chercheuse américaine à l’Université de Princeton, avance une théorie assez inédite.  Elle pense que le réchauffement climatique a été un «facteur de stress» non négligeable pour alimenter les révolutions.
Dans un ouvrage paru au début du mois, «The Arab Spring and Climate Change», Anne-Marie Slaughter explique le «facteur de stress» comme un «changement soudain dans l’environnement qui, en interagissant avec un profil psychologique complexe, peut conduire une personne normalement calme à devenir violente. ». Pour elle, si le stress ne peut pas être considéré comme la seule constante dans l’analyse d’un crime, il devient inévitablement un facteur parmi d’autres variables qui peuvent expliquer une catastrophe.
Pourtant, la chercheuse  américaine ne prétend pas expliquer que le changement climatique a été la cause de la récente vague de violences des révolutions arabes, mais l’interaction de ces changements de température, de la hausse du prix de la nourriture (particulièrement du blé) et de la situation politique, est un facteur de stress caché qui a contribué à alimenter les révolutions et, aujourd’hui, ce même facteur, selon Anne-Marie Slaughter, rendra également très difficile la consolidation des révolutions en démocraties stables. En d’autres termes, le climat est loin d’être le seul responsable, il figure parmi les agents déclencheurs.
Des conclusions qui rejoignent celles du géographe Troy Sternberg, de l’Université d’Oxford qui a démontré comment, en 2010-2011, alors que les pays arabes se soulevaient, la Chine assistait à un des hivers les plus secs du siècle, au moment où des vagues de chaleur record s’abattaient sur de grands producteurs de blé (Ukraine, Russie, Canada et Australie) laissant de très mauvaises récoltes sur leurs passages et contribuant à une hausse historique des prix pour les pays importateurs de blé, dont la plupart se trouvent dans le monde arabe.
Troy Sternberg a expliqué, par ailleurs, que seule une petite fraction, de 6% à 18%, de la production annuelle de blé mondiale a été commercialisée à l’extérieur des frontières, de sorte que la baisse de l’offre mondiale contribue à une forte hausse du prix du blé, impactant gravement des pays comme l’Egypte, le plus grand importateur de blé dans le monde. Un pays où « Le pain fournit un tiers de l’apport calorique des Egyptiens et où 38% du revenu est consacré à l’alimentation », a précisé Thomas Friedman pour The New York Times.
«Considérez ceci», écrit Thomas Friedman. «Les neuf plus grands importateurs de blé sont au Moyen-Orient, sept d’entre eux ont été victimes de protestations civiles mortelles en 2011».
«Tout est lié» reprend encore Thomas Friedman. «La sécheresse chinoise et les feux de brousse russes ont conduit à une pénurie de blé qui a elle-même suscité un prix plus élevé du pain qui a alimenté les manifestations de la place Tahrir», explique-t-il.
Peut-on prendre cette théorie au sérieux ?  En effet, «révolutions et climat» est un thème qui a fait couler beaucoup d’encre et donné lieu à bien des fantasmes. Pourtant, l’exemple de la Révolution française est édifiant.  Car si aucun historien sérieux n’ose affirmer que les mauvaises conditions météorologiques de l’année 1788-89 sont responsables du déclenchement de la Révolution française et que celle-ci a bien d’autres origines  économiques, politiques, culturelles, sociales, etc., il n’en reste pas moins que le contexte climatique ayant précédé 1789 (printemps-été chaud suivi d’intempéries, puis grand hiver) ont créé un terreau favorable à l’éclosion de la Révolution sans toutefois mettre le feu aux poudres.
Selon Emmanuel Le Roy Ladurie, historien français, l’an II et le début de l’an III (1794) de la Révolution ont été une année «chaude» non seulement au niveau politique, mais aussi au point de vue météorologique. Comme le printemps 1788, le printemps 1794 a été marqué par l’échaudage des blés. L’été suivant fut, comme six ans auparavant, un été pourri. Conséquence : les récoltes furent mauvaises. Le grand hiver 1794-95 n’arrangera rien à l’affaire, il l’aggravera même plutôt, comme c'était arrivé, une fois de plus, en 1788-89. Pourtant, l’historien précise que ces grands hivers ne peuvent être tenus pour responsables des désordres frumentaires et substantiels, comme l’ont pensé certains historiens. Selon lui, le mal était fait dès les étés 1788 et 1794.


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