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Qu’en est-il en réalité de la vraie position des migrants réguliers à propos de cette question ? Sont-ils pour l’apprentissage et l’acquisition d’une deuxième langue étrangère ou préfèrent-ils se limiter à leur langue d’origine ? L’apprentissage de la langue arabe ou de la darija favorise-t-il l’inclusion sociale et économique de ces migrants ? Y a-t-il des politiques publiques favorisant l’intégration par la langue ? Pour répondre à ces questions et tant d’autres, Libé a décidé, à l’occasion de la Journée mondiale du migrant, de donner la parole aux intéressés, aux leaders des communautés des migrants, aux activistes de la société civile et aux formateurs.
La langue n’est pas une barrière
Alhassane est un migrant ivoirien, âgé de 45 ans et travaillant dans le secteur des médias. Il vit au Maroc depuis une vingtaine d’années. Marié et père de deux enfants, il se sent bien intégré dans la société marocaine et entretient de bonnes relations avec son entourage. Pourtant, Alhassane ne parle pas un mot en darija ou en arabe et il n’arrive pas non plus à en saisir le sens lors d’une discussion, en regardant la télévision ou en écoutant la radio. Le cas d’Alhassane n’est pas une exception. Selon lui, la quasi-totalité des migrants notamment les Subsahariens ne parlent pas la darija et seuls ceux qui vivent dans des régions reculées ou dans des petites villes la maîtrisassent peu ou prou. «Idem pour une grande partie des étudiants notamment ceux qui poursuivent leurs études dans les grandes écoles où les cours sont dispensés en français», nous a-t-il indiqué.
Ebeha Beyeth Gueck est également un migrant qui vit au Maroc depuis une dizaine d’années. Lui aussi parle et comprend peu la darija, mais cela ne lui pose aucun problème puisqu’il est bien intégré socialement et professionnellement et préside même l’Association Banque de solidarité. «La langue arabe et la darija n’ont jamais constitué un handicap pour beaucoup de migrants notamment pour ceux qui résident dans les grandes villes où la majorité de la population marocaine parle ou au moins comprend le français», nous a-t-il affirmé. Un constat que confirme Franck Iyanga, secrétaire général de l'Organisation démocratique des travailleurs immigrés (ODT-Immigrés) qui estime que les migrants arrivent tant bien que mal à communiquer avec leur entourage et que la langue n’a jamais constitué un obstacle même pour l’accès au marché du travail.
Cours des langues, un échec cuisant
Ce manque d’intérêt pour la langue arabe et la darija est palpable via les différentes expériences d’apprentissage de langues effectuées dans le cadre du partenariat avec le ministère chargé des MRE et des Affaires de la migration ou d’autres agences internationales.
En effet, et malgré le fait que la question de l’intégration linguistique des migrants n’a jamais constitué un véritable enjeu des politiques publiques nationales, on a développé un programme spécial pour l’enseignement des langues et de la culture marocaines au profit des immigrés et réfugiés. Il avait pour objet de faciliter et garantir leur intégration dans la société marocaine et sur le plan professionnel en appuyant financièrement les associations en vue de réaliser des projets d’enseignement au profit d’un public adulte des immigrés et réfugiés, en leur fournissant des outils de communication qui les aideront dans leur environnement quotidien.
Pour l’année scolaire 2014/2015, sept associations ont bénéficié de l’appui financier du ministère de tutelle et elles ont accompagné 830 personnes réparties dans les villes suivantes : Fès, Casablanca, Rabat, Tanger et Martil. Pour l’année scolaire 2015/2016, le nombre des bénéficiaires a chuté à 688 personnes.
Abderrahmane Sadiq, activiste dans le domaine de la migration, se souvient de l’expérience menée à Tétouan par l’Association «Mains solidaires» avec le soutien du ministère des MRE et des Affaires de la migration autour de la langue arabe et de la culture marocaine destinée aux migrants. «L’expérience n’a pas duré longtemps puisqu’après cinq séances, nous avons dû arrêter notre activité vu le faible nombre de personnes intéressées qui n’a pas dépassé en moyenne 15 individus», nous a-t-il expliqué avant d’ajouter : «En règle générale, nous avons observé qu’il y avait peu d’intérêt concernant cette question de la part des migrants irréguliers comme ceux en séjour régulier. Si les premiers préfèrent apprendre l’espagnol, les seconds ne font pas d’effort pour apprendre».
La première génération de migrants a considéré la langue arabe comme une langue qui n’a que peu de valeur
Même son de cloche de la part du secrétaire général de l'ODT- Immigrés qui nous a informés que son syndicat a lancé en 2017 des cours de soutien gratuits pour les travailleurs immigrés (3 séances de 2 heures par semaine), mais l’expérience a tourné court vu le nombre très limité des personnes intéressées.
De son côté, Fatima Zahra Benadi, chargée de la formation à la Fondation Orient-Occident (FOO), nous a révélé que si l’apprentissage de la langue arabe fonctionne bien au niveau des enfants, ce n’est pas le cas au niveau des mineurs et des adultes. «Nous dispensons des cours de langue à quatre niveaux : Il y a d’abord les enfants à la crèche, âgés entre 3, 5 et 6 ans à qui on inculque les bases de la langue arabe.
Ensuite, les enfants qui ont déjà intégré l’école et à qui on donne des cours de soutien en langue arabe. Il y a également les mineurs non accompagnés qui bénéficient d’un programme spécial d’intégration (les bases de la darija) et enfin, il y a un programme pour les personnes adultes destiné à leur faciliter l’accès au marché du travail via l’apprentissage de la langue. Ces personnes bénéficient de deux séances d’une à ,deux heures par semaine soit 12 à 14 heures par mois », nous a-t-elle expliqué. Et de préciser : «Si la présence des enfants est régulière, ce n’est pas le cas pour les autres catégories qui font face à certaines contraintes (recherche du travail, manque de moyen pour emprunter les transports en commun…)».
Chercher les causes ailleurs
Pour ces migrants, ce désintérêt pour l’apprentissage de la langue arabe ou la darija trouve son explication dans plusieurs facteurs. Pour Alhassane, le véritable problème réside dans le manque de structures adéquates et de temps. Selon lui, les ONG spécialisées dans l’apprentissage de la langue ainsi que les centres privés de langues se trouvent souvent dans le centre-ville, ce qui constitue un handicap pour les migrants qui habitent souvent dans les quartiers périphériques. «Ces migrants doivent donc se déplacer du bout de la ville, payer des frais de transport et trouver du temps pour se déplacer. Ceci d’autant plus qu’ils doivent payer, dans le cas des centres privés, des cours allant jusqu’à 700 DH alors que des cours en anglais ne dépassent pas les 300 DH», nous a-t-il expliqué. Et de poursuivre : «Il y a également le fait que le communautarisme est fortement présent et les migrants préfèrent rester en groupe et fréquentent peu les membres de la société d’accueil. Il faut ajouter également le fait que les migrants installés au Maroc sont peu voire très peu connectés aux médias marocains. D’autant que l’Etat ou les autorités communiquent souvent en français avec ces migrants et avec les ONG dirigées par des migrants ».
Aujourd’hui, de plus en plus d’enfants de migrants parlent couramment l’arabe et la darija.Pour sa part, Ebeha Beyeth Gueck estime que ce désintérêt est compréhensible dans le cas des premières générations des migrants qui ont toujours considéré le Maroc comme un point de passage vers l’Europe et non comme un pays d’installation. « Cette génération a considéré la langue arabe comme une langue qui n’a que peu de valeur. Pis, certains ont vécu l’apprentissage de la darija comme un danger ou comme un abandon de leur propre culture voire une aliénation de leur culture d’origine, notamment dans une société qui ne leur permet pas de concilier ces deux cultures (celle d’origine et celle de la société d’accueil)», nous a-t-il précisé. Et de poursuivre : «Il faut ajouter également les conditions sociales des migrants qui influent directement sur cet intérêt pour la langue. Leur place et leur rôle dans la société marocaine (racisme, xénophobie, chômage, exclusion sociale…) les découragent à faire des efforts pour l’apprentissage de la langue dialectale ou autre».
L’apprentissage reste cependant une nécessité
Pour les migrants installés au Maroc, le désintérêt pour la langue arabe et la darija ne signifie pas un manque de prise de conscience de l’importance de la langue dans la communication au quotidien. La majorité de nos interlocuteurs réalisent, cependant, l’impact de la langue dans l’intégration dans la société d’accueil, dans la création des liens et dans l’accès au marché d’emploi, entre autres. Ils sont également conscients des frustrations et des malentendus engendrés par l’ignorance d’une langue. Selon ces interlocuteurs, l’installation de longue durée au Maroc additionnée à l’arrivée d’une nouvelle génération de migrants ont changé la donne. «Aujourd’hui, de plus en plus de migrants ont des enfants qui parlent couramment l’arabe et la darija et cela pose un problème de communication pour les parents qui parlent peu ou pas la darija», nous a confié Ebeha Beyeth Gueck.
«Pour longtemps, le Maroc a été un point de passage, aujourd’hui, de plus en plus de migrants réalisent qu’il s’agit d’un pays d’installation. Cette installation a poussé les migrants à revoir leur relation avec la darija dont ils ont besoin pour trouver du travail et pour communiquer avec leur entourage voire leurs enfants qui apprennent de plus en plus l’arabe», a noté Fatima Zahra Benadi.
Pour Younes Foudil, l’initiateur de la campagne «Talam darija», il est temps de plaider en faveur de l’apprentissage de la darija, d’inviter les étrangers, non arabophones, à faire cet effort et d’appeler les autorités à assumer leurs responsabilités et à mettre en place les politiques et mesures nécessaires pour relever ce défi. «L’apprentissage de la darija contribuera sensiblement à améliorer la communication entre les étrangers non arabophones et les citoyens marocains dans la vie quotidienne, sur les lieux de travail…et à réduire la xénophobie, la méfiance entre les communautés et les discriminations raciales», précise un communiqué de Papiers pour tous.
Les étrangers ont des devoirs envers leur pays d’accueil, notamment l’apprentissage de la langue nationale.Pour cette plateforme regroupant plusieurs ONG, «depuis l’amplification du phénomène migratoire au Maroc, la dynamique de défense des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile, s’est focalisée sur une approche, somme toute légitime, de réclamation des droits (droit à la résidence, droit au travail, droit à l’éducation, droit à la santé, droit à la libre circulation...) en omettant que les étrangers ont également des devoirs envers le pays d’accueil, notamment l’apprentissage de la langue nationale, facteur essentiel et déterminant dans le processus de leur inclusion dans la société marocaine», indique le communiqué.
La nécessité des formations adoptées
Pour Abderrahmane Sadiq, l’apprentissage de la langue du pays d’accueil nécessite la mise en place d’un programme qui prend en considération les conditions de vie des migrants. Pour lui, l’accent doit être mis sur des programmes adaptatifs selon le cas de chaque migrant. De son côté, Alhassane estime que les entreprises et les écoles supérieures doivent jouer un rôle d’incitation et de motivation dans ce processus d’apprentissage. «Les responsables de ces institutions doivent encourager leurs salariés et leurs étudiants à investir davantage dans l’apprentissage de l’arabe ou de la darija en mettant en place des incitations ou des formations couronnées par des diplômes», nous a-t-il lancé. Et de préciser : «D’autant que le bagage langagier des migrants se forme et s’accumule via les contacts directs dans les multiples situations sociales de communication, notamment dans le lieu du travail ou de formation».
Fatima Zahra Benadi met, pour sa part, l’accent plutôt sur la formation notamment au profit des formateurs chargés de dispenser les cours de langue. Pour elle, ces derniers doivent jouir d’un minimum de connaissances psychologiques puisque leur public cible n’est autre que des migrants et non pas de simples apprentis. «En effet, il s’agit d’individus qui ont vécu des drames et des expériences éprouvantes et qui endurent souvent un quotidien marqué par la vulnérabilité, la pauvreté et l’exclusion. Cette formation s’avère de plus en plus nécessaire notamment dans le cas des mineurs non-accompagnés qui se sentent désorientés et mal compris», a-t-elle conclu.
Hassan Bentaleb