Débats entre experts dans la perspective de la tenue du 12ème Congrès de l’USFP

Droits humains, élections et régionalisation avancée


Mourad Tabet
Mardi 1 Juillet 2025

Débats entre experts dans la perspective de la tenue du 12ème Congrès de l’USFP
Dans le cadre des préparatifs du 12ᵉ Congrès national de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), et dans le souci de renouveler en profondeur son document politique, la Commission politique issue de la Commission préparatoire a organisé, samedi dernier, une importante rencontre au siège central du parti à Rabat.

Cette initiative s’inscrit dans une dynamique de dialogue et d’ouverture portée par l’USFP, qui entend associer les universitaires, les chercheurs et les intellectuels aux réflexions stratégiques sur l’avenir politique et institutionnel du pays.

Après les réformes constitutionnelles et l’édification démocratique au Maroc et l’Etat social, trois autres thématiques importantes y ont été débattues, à savoir l’état des lieux des droits humains au Maroc, les élections et les défis de la pratique démocratique, ainsi que la réforme de l’organisation territoriale.

Droits humains au Maroc entre avancées normatives et effectivité

Une séance de cette rencontre  du colloque, modérée par Abdelhamid Jmahri, membre du Bureau politique, a été consacrée aux droits humains, à travers le thème : « Droits de l’Homme entre législations, politiques et pratiques ». Elle a réuni Houria Islami, militante des droits humains et ancienne présidente du Groupe de travail sur les disparitions forcées de l’ONU, et Ahmed Moufid, professeur de droit constitutionnel.

Dans son intervention, Houria Islami a mis en lumière la crise actuelle du système international des droits humains, illustrée par les événements tragiques à Gaza, qualifiés de «nettoyage ethnique».

Elle a estimé que cet échec met en lumière la fragilité du système mondial des droits de l’Homme, désormais impuissant face aux guerres et aux conflits, ce qui impose une révision en profondeur de ses fonctions et de ses mécanismes.

En évaluant la place du Maroc dans ce système mondial, Houria Islami a indiqué que le Royaume a interagi de manière volontaire avec les conventions internationales des droits de l’Homme, à travers la signature et la ratification d’un grand nombre d’entre elles, un point positif dans le bilan de son engagement international.

Cependant, elle a relevé un retard important dans l’interaction avec ce qu’on appelle les «procédures spéciales» des Nations unies, des mécanismes élaborés par des experts en droits de l’Homme qui représentent la voix indépendante de l’ONU dans le suivi des situations des droits humains. Elle a mis en garde contre le retard dans la soumission des rapports internationaux concernant le Maroc dans les délais impartis, ce qui pourrait soulever des interrogations quant au niveau d’engagement et de suivi institutionnel.

Houria Islami a également insisté sur le fait que ces défis s’imposent aujourd’hui à tous les acteurs au Maroc, politiques, défenseurs des droits humains et société civile, estimant que la responsabilité de répondre aux exigences du système des droits de l’Homme ne relève plus uniquement de l’Etat, mais constitue désormais une responsabilité nationale qui nécessite une mobilisation collective et l’ouverture d’un large débat sur les modalités d’interaction avec les mécanismes onusiens et régionaux, en particulier le Conseil des droits de l’Homme, les organes des traités, les procédures spéciales, ainsi que la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples.

Pour sa part, Ahmed Moufid a souligné que le débat ne porte pas uniquement sur la promulgation de lois avancées, mais plutôt sur la capacité des politiques publiques à garantir la jouissance effective des droits.

Il a présenté plusieurs indicateurs montrant la faiblesse au niveau de la traduction concrète des principes d’égalité et de parité, encore loin d’être réalisés dans la vie quotidienne, attirant l’attention sur la fragile intégration de l’approche fondée sur les droits de l’Homme dans les politiques publiques, précisant que ce qui existe actuellement reste d’ordre formel.

Il a également insisté sur l’absence de mécanismes efficaces d’évaluation et de reddition des comptes en matière de respect des droits et libertés, mettant en évidence le manque de coordination entre les départements gouvernementaux, la faible convergence entre les programmes, ainsi que l’absence d’une base de données claire permettant de suivre les engagements de l’Etat dans le domaine des droits humains. Selon lui, ces lacunes contribuent à renforcer les inégalités sociales et territoriales, et limitent les possibilités d’amélioration des indicateurs sociaux liés à la dignité et à la justice.

Elections et enjeux de la pratique démocratique

La séance animée par Younes Moujahid a porté sur «les réformes politiques, les élections et les enjeux de la pratique démocratique». Y ont pris part les chercheurs et militants Kamal Lahbib, Said Khomri et Kamal Hachoumi.

Kamal Lahbib a mis l’accent sur l’importance de la transparence et du respect des standards internationaux dans les processus électoraux. Il a souligné que l’USFP, en tant que parti démocratique, devait s’armer d’une stratégie électorale claire, nouer des alliances cohérentes et s’appuyer sur les mouvements sociaux comme base électorale. Il a aussi dénoncé le rôle central toujours joué par le ministère de l’Intérieur dans la gestion des scrutins, appelant à la mise en place d’une autorité indépendante de supervision électorale, ainsi qu’à l’adoption d’un Code électoral unifié.

Pour sa part, Kamal Hachoumi a abordé la crise du politique, soulevant des questions fondamentales: la politique est-elle encore possible? Les élections conservent-elles une efficacité dans un contexte de domination de l’argent et de l’image?
Il a pointé du doigt le délitement du sens politique, remplacé par un pragmatisme technique, et a évoqué les risques structurels liés à ce vide : désaffection citoyenne, perte d’initiative du Parlement, marginalisation des partis politiques.

Le professeur universitaire Said Khomri, quant à lui, a insisté sur les effets ambivalents de la réforme constitutionnelle de 2011. Il a analysé les freins liés au mode de scrutin, les impacts de l’intelligence artificielle sur la communication politique et la concurrence électorale.

Il a conclu que la construction démocratique dépendra de l’instauration de conditions de compétitivité équitables entre les partis, tout en appelant à intégrer dans le débat futur des enjeux clés comme la consolidation de l’Etat social ou l’articulation entre pouvoir économique et gouvernance politique.

Régionalisation avancée: entre ambitions et réalités

Une autre séance, présidée par Ahmed El Aked, a été consacrée à la régionalisation avancée. Y sont intervenus Fatima Bouchtaoui, professeure de droit à Kénitra, Aicha Alaoui, professeure d’économie à l’Université de Béni Mellal, et Ahmed Chahid, membre du Conseil régional de Drâa-Tafilalet.

Fatima Bouchtaoui a dressé un diagnostic critique de la mise en œuvre de la régionalisation. Elle a relevé les blocages structurels dans la gouvernance territoriale, notamment le manque de coordination avec les services déconcentrés de l’Etat et l’insuffisance des moyens attribués aux régions. Elle a plaidé pour une décentralisation réelle des pouvoirs et une implication accrue des collectivités dans la définition des projets de développement.

De son côté, Aicha Alaoui a approfondi le lien entre régionalisation et contrat social, expliquant que seule une régionalisation citoyenne et inclusive peut permettre de corriger les déséquilibres entre centre et périphérie.

Elle a mis en garde contre les effets pervers du libéralisme économique qui creusent les écarts entre les territoires. Son intervention s’est conclue sur une interrogation critique : la régionalisation avancée est-elle véritablement un transfert de compétences, ou un simple aménagement du pouvoir central?

Quant à Ahmed Chahid, il a partagé son expérience concrète d’élu à Drâa-Tafilalet et en tant que président du comité du budget du Conseil régional. Il a mis en avant les spécificités naturelles, culturelles et économiques de cette région, tout en dénonçant les difficultés financières et le poids de la dépendance vis-à-vis du budget central (98% des ressources). Il a néanmoins réaffirmé sa détermination à faire progresser le développement durable dans sa région, en lien étroit avec les aspirations de la population locale.

Au terme de cette rencontre politique générale, Abderrahim Chahid, président de la Commission politique, a tenu à remercier chaleureusement tous les universitaires, experts, militants et élus pour la qualité de leurs contributions. Il a ajouté que les idées, constats et recommandations exprimés viendront nourrir la plateforme politique qui sera soumise au 12e Congrès du parti de la Rose en octobre prochain.

Ce cycle de débats marque une étape importante dans la redéfinition du projet progressiste de l’USFP : un projet fondé sur l’effectivité des droits, la démocratisation réelle de la vie publique et une régionalisation porteuse de justice spatiale et de développement équitable.

Mourad Tabet
 


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