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Cancre de la classe et fière de l’être

En dépit des grandes richesses de son sol, l’Algérie ne cesse de s’enliser


Mehdi Ouassat
Vendredi 9 Juin 2023

Son PIB en dit long

Cancre de la classe et fière de l’être
Pour la première fois depuis son indépendance, l’Algérie affiche le PIB par habitant le plus faible par rapport à ses voisins du Maghreb. Cette réalité économique inquiétante met en lumière le retard considérable que ne cesse d’accuser le pays. Malgré ses gigantesques richesses naturelles, l’Algérie n'est plus en mesure de masquer ses difficultés économiques, qui devraient s'aggraver d'ici 2028. Selon des données de la Banque mondiale, le PIB par habitant de l'Algérie se situait à 3.691 dollars en 2021, dernière année pour laquelle les statistiques sont disponibles, contre 3.807 dollars pour la Tunisie et 3.795 dollars pour le Maroc.

Politiques économiques inefficaces

 «En dépassant l’Algérie, le Maroc et la Tunisie ont ainsi réalisé une remarquable performance, vu leurs faibles richesses naturelles en comparaison avec leur voisin, un des principaux producteurs mondiaux d’hydrocarbures», explique Ilyes Zouari, président du Centre d’étude et de réflexion sur le monde francophone (CERMF). «Premier producteur africain de gaz naturel et troisième pour le pétrole, l’Algérie a en effet extrait 101 milliards de mètres cubes de gaz naturel en 2021 et environ 900 mille barils de pétrole par jour au cours de la même année, soit respectivement 53 fois et 24 fois plus que la Tunisie, dont les maigres richesses en la matière sont pourtant, elles-mêmes, considérablement supérieures à celles, quasi nulles, du Maroc. La production marocaine en hydrocarbures est si insignifiante que le pays n’a produit, par exemple, que 250 barils de pétrole par jour en 2021, soit environ 3.600 fois moins que l’Algérie, 150 fois moins que la Tunisie… et même 52 fois moins que la France, réputée être un pays sans pétrole avec seulement 13 mille barils par jour», souligne-t-il.

Si l'économie algérienne accuse un retard aussi important,  c’est en grande partie dû aux politiques économiques inefficaces adoptées depuis l'indépendance du pays. Malgré sa position dominante au sein du Maghreb et du monde arabe grâce aux infrastructures modernes héritées de la période coloniale, l'Algérie n'a pas su diversifier son économie. Aujourd'hui, elle reste fortement dépendante des hydrocarbures, représentant environ 90% de ses exportations, contrairement à ses voisins qui ont réussi à développer une économie diversifiée et compétitive.

Le Maroc et la Tunisie se sont notamment illustrés par la mise en place de cadres favorables aux investissements nationaux et internationaux, ainsi que par le développement de filières industrielles performantes. Ces deux pays se classent parmi les premiers en matière d'industrialisation en Afrique, tandis que l'Algérie se situe en 11ème position, loin derrière des pays tels que le Sénégal et le Kenya.

Le Maroc se distingue particulièrement par son décollage économique au cours des dernières décennies. Il est le seul pays arabe à posséder une véritable industrie automobile et il dispose du réseau de trains à grande vitesse le plus avancé du monde arabe. De plus, le Maroc est devenu un acteur majeur sur la scène africaine, tant par ses investissements que par son réseau bancaire et sa compagnie aérienne nationale.

Un Etat au bord de la faillite

«Alors que le Maroc a vu ses réserves de change augmenter régulièrement au cours des dernières années, pour atteindre un plus haut historique de 35,5 milliards de dollars fin mars 2023, contre seulement 19 milliards début 2014 grâce à la robustesse de son économie diversifiée, la forte dépendance de l’Algérie aux hydrocarbures a entraîné un effondrement des réserves de change du pays, parallèlement à une explosion de son endettement», précise Ilyes Zouari.

«L’Etat algérien était encore un Etat riche en 2014 avec près de 200 milliards de dollars dans ses caisses, mis de coté, ce que l’on appelle les réserves de change.  Mais ce pactole a fondu à moins de 46 milliards fin 2021, soit une baisse annuelle de 18,5 milliards de dollars en moyenne sur cette période de huit années et il est fort probable que d’ici quelques années, les caisses soient vidées», explique l’économiste Camille Sari. «La croissance économique du pays a également été divisée en deux en moins de 5 ans. C’est dramatique parce que le pays aujourd’hui ne produit pratiquement plus rien en dehors des hydrocarbures  et des services liés à ce secteur», souligne le spécialiste dans une déclaration à nos confrères de TV5.
L’Algérie ne devrait alors plus pouvoir couvrir que quatre mois d’importations mi-2028, soit le niveau à partir duquel un pays est considéré comme étant proche de la faillite, comme actuellement le Kenya, qui ne parvient plus à payer tous ses fonctionnaires.

«Cette situation, qui paraît difficilement évitable, compte tenu de la modeste politique de diversification actuellement menée, mais également du fait qu’il est peu probable que l’Algérie puisse réaliser en seulement cinq ans ce que la Tunisie et le Maroc ont mis de nombreuses années à mettre en place, obligerait alors le pays à se tourner vers les institutions financières internationales et à mettre en œuvre de douloureuses réformes, afin d’éviter une faillite complète dès l’année suivante, et un scénario semblable à celui qu’avait connu le Venezuela, autre grand pays producteur d’hydrocarbures et allié de l’Algérie», souligne Ilyes Zouari.
Dans le même temps, et selon les dernières données fournies par le FMI, la dette publique du pays a considérablement augmenté, passant de seulement 7,7% du PIB fin 2014 à 62,8 % fin 2021 (avant de redescendre, provisoirement, à 52,4% fin 2022). Alors que l’Algérie était le pays le moins endetté des 54 pays du continent en 2014, elle est ainsi passée à la 26ème place des pays africains les plus endettés en seulement sept ans, et devrait bientôt faire partie des 10 pays les plus endettés, selon les prévisions en la matière.

Même en cas de hausse des prix du baril, l’Algérie ne serait pas pour autant au bout de ses peines. En effet, pour le professeur à l'université Paris Dauphine, El Mouhoub Mouhoud, «la part réservée aux exportations des hydrocarbures recule car la consommation nationale de gaz et de pétrole flambe». «Le régime algérien, qui dépend de la rente pétrolière a choisi la fuite en avant. Il faut trouver de nouveaux gisements coûte que coûte. La loi récente sur les hydrocarbures autorise désormais les entreprises étrangères à prospecter», indique-t-il. Cette fuite en avant se traduit également par la volonté  d’exploiter du gaz de schiste dans le sud du pays en dépit de l'opposition des populations locales.

Un capitalisme de copinage 

Autre facteur majeur de cette décadence de l’économie algérienne est le fait que le pays fait appel à l’importation massive des biens d’équipement en plus des produits alimentaires depuis des décennies. L’Algérie importe par exemple la totalité de son sucre, 90 % de son huile alimentaire, 95 % de son lait et presque 100% de son blé. Et cette politique d'importation est favorisée par les caciques du régime, ruinant de fait tout effort pour faire émerger une production locale. «Des généraux contrôlent, via des hommes de paille,  les filières d’importations. Vous avez un général sucre et huile, qui gère l’importation du sucre et de l’huile. Vous avez un autre  général qui contrôle l’importation des voitures. Ces filières d’importations sont très lucratives et constituent une rente et donc les cadres du régime ne veulent  pas voir émerger un secteur privé qui pourrait concurrencer certains de ces produits importés», souligne l’économiste Camille Sari.

El Mouhoub Mouhoud dénonce, quant à lui, «un capitalisme de copinage où copains et coquins se réservent les marchés publics et empêchent l’émergence d’autres acteurs privés indépendants qui ne sont pas acoquinés avec le régime». «Ces acteurs privés indépendants sont souvent des gens issus de la diaspora. Ils travaillent notamment dans le numérique mais très rapidement leurs entreprises atteignent un plafond de verre car les lois sont faites pour protéger de toute concurrence économique les proches du clan au pouvoir», souligne cet économiste. Selon lui, cette économie au lieu d’être inclusive reste donc «exclusive». Il faut graviter autour des proches du régime pour s’en sortir. Et les conséquences sociales sont désastreuses. «Le taux d’activité en Algérie est catastrophique. Aujourd’hui seulement 40% de la population en âge de travailler occupe un emploi.  Le taux d’activité des femmes reste très bas. Un peu plus de la moitié des jeunes, à la sortie des études supérieures, ne trouvent pas d'emploi.  Le taux  de chômage officiel de 12%,  avancé par le gouvernement, reste très loin de la réalité», conclut-il.

Mehdi Ouassat


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