Alger-Téhéran : les liaisons dangereuses

Le déplacement mercredi à Alger du ministre iranien des Affaires étrangères n’a pas laissé indifférent. Et pas vraiment à tort. Tenez, «Je suis venu inviter le président algérien pour le sommet du G15 prévu à la mi-mai à Téhéran», a déclaré Manouchehr Mottaki, avant d’être gratifié par un accueil chaleureux au palais présidentiel Al Mouradia, à Alger. Le président Bouteflika donné gravement malade s’est du coup manifesté pour recevoir son hôte iranien. A l’évidence, il était question de quelque chose de plus intéressant qu’une simple «invitation» au sommet de Téhéran. Le chef de la diplomatie iranienne, cité par l’Agence de presse algérienne (APS), a évoqué avec le président Bouteflika « la possibilité de parvenir à une entente autour de la question de l’échange nucléaire ». « Le meilleur héritage que le président Bouteflika pourrait laisser à son peuple, c’est la conversion de leur pays à l’atome », estime sur le ton de la parodie un observateur. D’autres, plus sérieux, voient d’un œil inquiet le rapprochement croissant entre Alger et Téhéran. «L’Algérie est actuellement, sinon le seul pays au monde, du moins l’un des rares à soutenir l’Iran sur le dossier nucléaire», relève Mohamed Talib, spécialiste des affaires algériennes. «Les deux réacteurs algériens, situés à Aïn Oussara (250 km au sud d’Alger), sont déjà capables d’enrichir l’uranium et de produire entre 3 et 5 kilos de plutonium par an», fait-il constater, ajoutant que le rapprochement algéro-iranien actuel est de nature à faciliter l’entrée du voisin de l’Est dans le select club des puissances nucléaires. Une préoccupation partagée par la majorité des observateurs, d’autant plus qu’Alger ne lésine sur aucun moyen pour tirer profit de l’expertise nucléaire iranienne. «Alger connaît le coût politique de l’appui qu’elle apporte à Téhéran sur son dossier atomique, mais elle ne semble pas s’inquiéter outre mesure des préoccupations internationales», fait remarquer un expert des relations internationales, s’interrogeant par la même occasion sur le silence observé par les Etats-Unis et la discrétion de l’Union européenne sur ce dossier.
«Il est vrai que les Etats-Unis possèdent des intérêts majeurs en Algérie, mais devraient-ils pour autant fermer les yeux sur le programme nucléaire algérien qui fait planer de sérieuses menaces non seulement à l’échelle maghrébine mais sur toute la région de la rive sud et nord de la Méditerranée?», se demandent les observateurs. Faudrait-il attendre que l’Algérie procède à des essais nucléaires pour que la communauté internationale se mobilise? C’est le pire scénario qui puisse se produire, d’autant plus que l’Algérie de Bouteflika souffre d’un manque patent et néanmoins cruel de stabilité.
L’intrusion de l’Iran au Maghreb, par la porte grande ouverte de l’Algérie, ne risque-t-elle pas d’introduire un nouvel élément déstabilisateur dans une région qui a déjà fort à faire avec la menace d’Al Qaïda et la prolifération de toutes sortes de trafics? Au-delà du nucléaire, le danger d’une ingérence iranienne dans les affaires religieuses du Maghreb est plus que flagrant. Sur ce point, la presse algérienne fait déjà état d’une «mystérieuse poussée chiite en Algérie». Plusieurs sources font état de l’apparition de «comportements nouveaux dans les écoles de l’est de l’Algérie, notamment à Batna et Tébessa, où des enseignants s’attellent à faire apprendre aux écoliers des histoires étranges sur l’Islam, en totale contradiction avec l’éducation religieuse que les parents prodiguent à leur progéniture», a relevé l’un des journaux algériens. Surgit cette question angoissée : «Pourquoi l’Algérie, qui suit le rite malékite sunnite, accueille à bras ouverts un chiisme porteur de déstabilisation?». «Il y a en Algérie une orientation soutenue à haut niveau selon laquelle le chiisme pourrait constituer le moyen de contrer l’extrémisme sunnite incarné par l’AQMI (Al-Qaïda au Maghreb islamique», indique Mohamed Talib. D’où le feu vert donné par les autorités algériennes aux diplomates iraniens accrédités à Alger. «A l’opposé des autres représentations diplomatiques étrangères, l’ambassade de Téhéran jouit d’une grande liberté d’action», note M. Talib.
Le prosélytisme chiite en Algérie est de plus en plus actif, au point de laisser planer un gros point d’interrogation sur l’avenir du rite malékite dans ce pays. De tout cela, il ressort cette question non moins lancinante si l’Iran pourra réaliser au Maghreb ce qu’elle n’a pu faire dans le Moyen-Orient, particulièrement dans les pays du Golfe. Le régime de Bouteflika se porte malheureusement volontaire pour faciliter ce processus de «chiisation» du Maghreb, au détriment non seulement du peuple algérien mais de tous les peuples de la région du Maghreb et de la Méditerranée occidentale.