​Ceci n’est pas un polar


Par Jean Zaganiaris*
Samedi 20 Juin 2015

​Ceci n’est pas un polar
Connu pour ses travaux historiques sur le Maroc, Guillaume Jobin se lance désormais dans la littérature et vient de publier un roman policier dans la nouvelle maison d’édition « Editeur de Talents ». Fidèle à sa façon d’écrire l’histoire, en jouant avec les codes officiels de l’académisme universitaire sans lâcher sur l’impératif de rigueur, il développe une attitude analogue avec l’art du roman. Car si la quatrième de couverture annonce au lecteur un livre « d’espionnage international dont Rabat est l’épicentre », disons d’emblée que le texte qu’il aura le plaisir de parcourir n’est pas un polar au sens classique du terme. Situé entre les intrigues d’un Gaston Leroux et les atmosphères paranoïaques de Kafka, Guillaume Jobin apporte au roman policier un bol d’air analogue à celui que Khair-Eddine ou Bouanani ont apporté aux classiques représentations du social.  Il s’agit de reprendre des codes littéraires et des exercices de style mais de les déconstruire de l’intérieur, en inventant des univers et des façons de parler du réel. L’histoire du roman est simple. Tout démarre dans un contexte où la France et le Maroc connaissent de nombreuses tensions diplomatiques depuis la malheureuse fouille d’un ministre à Roissy. L’auteur joue à rendre public ce qui est habituellement dans l’ombre. Il évoque le milieu des ambassades, des conseillers politiques, les différents services secrets de la Méditerranée. Il scrute les liaisons possibles entre la DRS algérienne et le quai d’Orsay, à la façon dont un journaliste aguerri spécule sur un scoop potentiel. D’ailleurs, il énonce sans sourciller que « les meilleurs diplomates de France sont les dessinateurs des cartes routières Michelin ». Le ton est donné. Les amateurs de croustillants légers apprécieront. 
Dans ce climat de crise, les services secrets français et russe vont s’arracher les services d’Alexandre, un personnage transparent qui ne semble être rien d’autre que l’incarnation narrative de l’écrivain jouant avec le lecteur. Que s’est-il passé pour que les rapports entre la France et le Maroc se détériorent autant, dans un contexte de lutte international contre le terrorisme, notamment après le massacre à Charlie Hebdo ? Est-ce que la coopération judiciaire pourra se rétablir ? Si oui, comment ? Les questions virent très vite à la paranoïa. Chacun est tellement pris dans ses propres jeux qu’il devient incapable de saisir la dimension panoramique du jeu. Il ne s’agit pas de chercher un enchainement factuel et logique ou bien une intrigue à ce roman mais de suivre un périple – tiens le mot me dit quelque chose -  tout autour de la Méditerranée. Ce n’est pas un hasard si le pseudo d’Alexandre est Ulysse et qu’il lui arrive de boire un vin qui s’appelle Ithaque. Ce dernier traîne de pays en pays, de réceptions en réceptions. Il est chargé d’observer ce qui se passe et de savoir qui est qui : « Votre mission est simple, poursuit-il, vous devrez collecter toutes les informations que vous jugerez utiles sur la situation culturelle, politique, sécuritaire, militaire, juridique […] les seuls capables de rapporter de l’information, ce sont les agents de la DGSE et les journalistes, parce que ce sont leurs métiers respectifs. Vous, vous cumulerez les deux ». Faisant corps avec sa couverture de journaliste, il se rend compte que le but n’est pas de dissocier la vérité de l’erreur mais plutôt de comprendre et de se positionner parmi les différentes représentations de l’exactitude qui luttent entre elles.
 Qui a raison ? Qui a tort ? Et quelles sont les stratégies latentes des situations explosives qu’il traverse ?  Durant son périple, Alexandre rencontre tout un ensemble de personnes qui existent réellement, depuis Abdallah le bouquiniste du Chellah à l’artiste Chourouq Hriech, en passant par la célèbre styliste Fadila El Gadi, Yann Lechartier du Grand Comptoir, le journaliste Merouane Kabbaj et même un sociologue dénommé Jean Zaganiaris. Il déjeune au restaurant Le Cosmopolitan, dans le quartier des Orangers, et se rend dans les cafés de la place Piétri. Il soutient le talentueux écrivain Reda Dalil face aux « néo-staliniens de la critique littéraire, dont le combat est à des années-lumière des préoccupations du lecteur » et vit des passions amoureuses avec les belles femmes qui croisent sa route. Le dénouement sera à la hauteur des diatribes mielleuses qui jalonnent le récit. Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage au milieu des mots…

*Enseignant chercheur 
CRESC/EGE Rabat
(Cercle de Littérature Contemporaine)
 


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