Lecture synoptique dans un roman intarissable

«Une impossible consolation» de l’écrivain Abdelghani Fennane


Ismail Idabbou
Jeudi 15 Mai 2025

Lecture synoptique dans un roman intarissable
Le roman «Une impossible consolation» de l’écrivain Abdelghani Fennane est sous forme d’un récit de vie relaté par son personnage principal. Il se prête à des lectures plurielles qui permettent d’être face à l’avènement de surprenantes découvertes. 

L’histoire est enclenchée par une succession remarquablement enrichie de personnages sous la suggestion de la voix du fameux personnage Saïd au nom révélé à la fin de l’histoire narrée.
L’écriture d’Abdelghani Fennane est dotée d’une vitalité inégalée. Les phrases du roman s’enchainent à la manière d’un puzzle qui attend sa cohésion finale d’où la soif du lecteur à en savoir davantage
Saïd, le héros, grandit au fur et à mesure de l’histoire (adolescent puis adulte). La narration est entamée par sa voix innocente et puérile.  Son nom sera révélé à la fin du roman (Saïd, l’heureux en arabe). Mais a-t-il été heureux si l’on considère les péripéties de son récit ? Le narrateur vivra une mutation d’idées le long de la vie. Il a été marxiste lors de sa vie estudiantine. Mais, il a fini par dire : « Moi qui ne jurais que par Marx, qui prônait la révolte, dont les dieux étaient des poètes maudits…des penseurs martyrs,(…) me voilà tombé dans la masse du grand système». Le narrateur reconnaît avoir été happé par l’alcool. Il y sombre. Cela serait le saut qu’il a effectué, lui qui a dit : «Le saut a finalement eu lieu. Et la chute aussi. L’un correspond à mon désir, l’autre à ma réalité… ».

Le narrateur peint le foyer familial où Mourad, son frère, imprégné plus tard d’idées fanatiques, lui a été rival. Le narrateur avait une affinité avec Makhlouf incarcéré à plusieurs reprises et dont le cœur de sa mère en a été éprouvé… le narrateur en insistant sur le destin de Makhlouf dresse une vie où la prédation de l’adversité fait loi. Le narrateur tombe en dépression mais il nous révèle que « la vie est notre grand job » … le narrateur aura une large connaissance de la vie au moment où il devient scribe, attelé à écrire des lettres pour les familles dont les membres sont emprisonnés.

Et, puisque Saïd occupe une place importante par sa voix, il nous guide à chaque évolution vers de nouveaux personnages. Il nous présente sa mère Mi Daouia et son père fabulateur, Makhlouf et sa mère Khalti l’kamla,   L’Haj Didi le personnage paradoxal qui savait mener la population par le bout du nez par sa ruse et finit par faire son ascension sociale vertigineuse. Saïd a évoqué aussi le professeur de philosophie qui s’est trouvé condamné pour ses idées. Saïd n’a pas omis de peindre son univers passionnel en citant ses amantes et sa femme dont il a eu Mouja, figure de son immense espoir. Saïd  a aussi évoqué l’envoûtante cheikha par sa Aita. Etudiant, Said a aussi découvert les obédiences idéologiques de ses pairs.

Dans le roman, l’espace est central. Il est bien planté et bien célébré. Il s’agit principalement de Dour El-Massakines que la narration a magnifiquement déployé en citant ses éléments discordants (mosquée, antre d’une entremetteuse, etc). Plus tard, le Foundouk abritera des hommes et des bêtes en attendant un relogement… Le bar 66, refuge du narrateur à plusieurs reprises, a été animé de gens de natures différentes. Il abritera le narrateur ensorcelé par la voix de la cheikha… le narrateur décrit Diour El-Massakines comme « une matrice qui attend toujours réparation ». Lyautey  ou le saint patron «de la ville nouvelle » a été évoqué comme figure créatrice  de la ville de Marrakech au niveau urbanistique.

L’espace d’un rang majeur abrite l’horreur. La souffrance représente alors une thématique centrale de l’œuvre. Le narrateur révèle son intention : « Je voulais reconstituer la généalogie de la misère et de l’infamie dont j’avais hérité » (Chapitre l’épopée des origines). Il y a alors une impossibilité que la consolation ait lieu.

Les événements sont contextualisés temporellement dans des périodes où le Maroc a connu des émeutes, la sécheresse et la mort de Feu SM le Roi Hassan II.
Dans « Une impossible consolation », la plume d’Abdelghani Fennane est d’une surprenante créativité. A mon sens, « dire vrai » a été le souci de l’écrivain. Ainsi, le réalisme donne à l’histoire un haut degré de vraisemblance.

Le lecteur se trouve toujours surpris par des événements où un personnage interagissant avec son milieu, revitalise le récit et lui donne une portée de sens plus ou moins explicite. L’histoire s’offre alors foisonnante par les dimensions augmentées de la trame narrative. Le lecteur ne pourra qu’être surpris à la fin du récit et y éprouvera un goût amer.

L’histoire a connu des moments de tensions dont le pic est le saut du narrateur décrit à la fin de l’œuvre. C’était un saut spectaculaire auquel a été réservé un chapitre exclusif.
L’écriture d’Abdelghani Fennane est dotée d’une vitalité inégalée. Les phrases du roman s’enchaînent à la manière d’un puzzle qui attend sa cohésion finale d’où la soif du lecteur à en savoir davantage. Par moments, l’esprit du poète en l’écrivain surgit pour s’exprimer d’un lyrisme célébrant l’enfantement de Mouja. Par ailleurs, un ton d’épopée a été aussi mobilisé pour mettre des lauriers au personnage héroïque de Mi Daouia.

Le narrateur pourrait être identifiable à l’écrivain au moment où il a déclaré à la fin du roman qu’il est capable de faire bifurquer les lignes existentielles de ses personnages à sa guise. Lire «Une impossible consolation» est une aventure truffée de découvertes et de plaisir qui demeure inassouvi.

Ismail Idabbou-  Marrakech.
 


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