Vers l’Indépendance du Maroc : LES PRÉMISSES D’UN DIALOGUE DANS UN CONTEXTE TROUBLÉ (Juin – Août 1955) : Le plan du général Boyer De Latour


par Abderrahim Bouabid
Jeudi 10 Septembre 2009

Vers l’Indépendance du Maroc : LES PRÉMISSES D’UN DIALOGUE DANS UN CONTEXTE TROUBLÉ  (Juin – Août 1955) : Le plan du général Boyer De Latour
L’écrit de feu Abderrahim Bouabid que nous publions a été rédigé d’un seul trait, à Missour, au cours de l’hiver 1981-82. Le texte de ce manuscrit évoque une période charnière dans le processus qui a conduit à la fin du protectorat. De l’épisode d’Aix-les-Bains aux
entretiens d’Antsirabé, en passant par l’évocation des mouvements insurrectionnels, l’auteur s’emploie à restituer le climat de
tensions, d’incertitudes et de tâtonnements qui préfigure le dénouement de la crise franco-marocaine dont l’été 1955 reste un moment fort. L’occasion lui est ainsi fournie de donner sa lecture des événements. Surtout et s’agissant de ce qui deviendra a posteriori la « controverse d’Aix-les-Bains », l’auteur développe ses arguments et revient sur le sens, les motivations et la portée de cette rencontre. L’histoire de l’indépendance du Maroc,
est, de ce point de vue, sans doute aussi l’histoire d’un système complexe  d’équivoques et de tensions qui structurent dès son origine le mouvement national. Abderrahim Bouabid nous en fournit ici un aperçu saisissant.


Le dialogue, une fois engagé, a permis de ramener les discussions à l’essentiel.
Il n’y avait pas trace de différend sur le plan idéologique. Si la doctrine du parti de l’Istiqlal paraissait s’inspirer d’un réformisme plus au moins progressif, celle des nouveaux conseillers, de Tétouan ou du Caire se révélait, elle, simpliste, entendue de manière confuse, voire réactionnaire par certains aspects. Il est vrai qu’à l’époque, le nassérisme n’avait pas encore opté pour le socialisme scientifique.
S’agissait-il de différences de vue sur les objectifs immédiats à atteindre ? Sur ce point, aucune divergence majeure ne s’est révélée : à l’unanimité, le peuple marocain étaient pour la restauration du souverain légitime et la proclamation de l’indépendance nationale.
Une question précise a été posée à ce sujet : dans le cas ou le gouvernement français accepterait la constitution d’un conseil du trône, après l’éviction de Ben Arafa, quelle serait l’attitude des dirigeants de la résistance ?
Il n’était pas possible d’obtenir une réponse claire, reflétant l’adhésion de toutes les tendances. Pour les uns, se serait un pas positif, dans la mesure où certaines garanties étaient données. Pour les autres, il ne s’agissait que d’une manoeuvre destinée à démobiliser les masses populaires et à maintenir Ben Youssef à l’écart.
Nous n’avions pas omis de faire remarquer, que l’idée d’un conseil du trône avait été émise publiquement à Paris par Si Bekkaï, alors que nous étions encore en détention. Certains membres du Conseil National de la Résistance se trouvaient à l’époque dans l’entourage intime de Si Bekkaï. Pourquoi avaient-ils négligé de prendre position à ce moment là ?
De telles explications ont dissipé beaucoup de malentendus. Mais elles n’ont pas désarmé les détracteurs du mouvement national. Il a fallu d’autres rencontres pour découvrir finalement le péché majeur des dirigeants de l’Istiqlal. En gros, on nous reprochait de n’avoir pas ordonné la révolte armée dès 1951 ! On ajoutait qu’il avait fallu notre élimination de la scène politique par les forces répressives du protectorat pour que le peuple, « libéré » de notre emprise, pût prendre les armes !
J’ai évoqué ailleurs, la ligne de conduite du parti pendant la période 1950-5220.
Nous avions effectivement essayé d’éviter de tomber dans les provocations du protectorat. Nos mots d’ordre aux militants étaient de s’abstenir de toute réaction violente généralisée et systématique. Pourquoi ? Pour des raisons tactiques qui avaient été minutieusement examinées. En effet, l’ultimatum du résident Juin, en février 1951, adressé à Mohammed V, faisait partie d’un plan d’ensemble. Il visait en premier lieu à évincer le souverain du pouvoir. Ensuite il devait procéder à la répression générale de l’ensemble du parti. On sait que cette première tentative ne put aboutir. De cet échec, la résistance dut tirer quelques enseignements.
La thèse officielle de la Résidence présentait le Roi comme un homme complètement isolé dont l’élimination ne pouvait provoquer de conséquence marquante. Cette thèse, fondamentalement erronée, était destinée à rassurer Paris, à tromper l’opinion française et internationale. La réalité était toute autre, car Juin et son entourage savaient que l’élimination de Mohammed V, déclencherait dans le pays des réactions en chaîne dont les développements pourraient aller très loin. S’il a reculé, en février 1951, ce ne fut pas par scrupule, mais par crainte des conséquences explosives. On a donc décidé de surseoir, momentanément, à l’exécution du premier plan.
C’est alors que fut mis au point un nouveau plan, conçu par le général Boyer De Latour, Secrétaire général des Affaires politiques et militaires. On allait procéder d’une autre façon. Il fallait assurer l’isolement complet de Mohammed V, et pour cela, en finir une fois pour toutes et dans une première étape avec l’Istiqlal.
C’est alors que l’éviction du souverain deviendrait une opération possible avec le minimum de risques.
D’où donc, les multiples provocations dont notre parti fut l’objet durant plus d’un an et demi. Mehdi Ben Barka, cheville ouvrière du parti, a été arrêté et mis en détention administrative. Partout, et surtout dans les campagnes, nos militants étaient attaqués, persécutés ou arrêtés. Les pachas et caïds hostiles au Glaoui étaient destitués de leurs fonctions par des contrôleurs civils sur ordre de la Résidence. L’article du dernier numéro de notre organe en langue française, Al Istiqlal avait pour titre « Où veut-on en venir ? ». Il décrivait le climat d’arbitraire, de répressions systématiques et de terreur dans lequel nous vivions.
Notre tactique visait à déjouer le plan de l’adversaire. Notre devoir était de rester sur la scène politique, aux côtés de notre souverain. Telles furent donc les raisons des mots d’ordre invitant les militants à la vigilance et au sang-froid. Les événements ne tardèrent pas à démontrer la justesse de cette analyse. La Résidence saisit en effet l’occasion tant attendue, en décembre 1952, en réprimant les grèves et les manifestations populaires organisées en solidarité avec les travailleurs tunisiens, après l’assassinat de Ferhat Hachad. La première étape du plan de répression étant réalisée, il ne restait à Guillaume qu’à perpétrer son coup de force d’août 1953.
Par ailleurs, tout mot d’ordre préconisant le recours à l’action directe insurrectionnelle, alors que le monarque était encore à la tête du pays, aurait donné prétexte à la Résidence de le contraindre à le désavouer. Si j’ai tenu à rappeler brièvement ces circonstances, c’est pour répondre aux critiques totalement injustifiées formulées sur le tard par des détracteurs malveillants. Ces derniers ne pouvaient pas ne pas constater que les premiers résistants, Allal Ben Abdellah, Mohammed Zerktouni, Mohammed Basri et tant d’autres, étaient des anciens militants du parti de l’Istiqlal. C’est donc dans les rangs du parti que l’organisation de la résistance a pris naissance, en 1953.
L’effort de clarification a eu des résultats positifs. Néanmoins le malentendu n’était pas totalement levé. Et c’est dans cette ambiance que la délégation du parti s’était rendue à la conférence d’Aix-les-Bains.
Haj Omar Abdeljalil, Mohammed Lyazidi et Mehdi Ben Barka m’y avaient précédé dans un avion spécial mis à leur disposition par le résident général. Je les rejoignis par la route, venant de Paris. Mahjoub Ben Seddik, M’Hamed Boucetta et M’Hamed Douiri étaient également sur les lieux.


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