Un programme de 1.100 milliards de dollars destiné à soutenir le crédit : Le G20 et la hiérarchisation du financier international


Par Jean-Claude Paye *
Vendredi 10 Avril 2009

Un programme de 1.100 milliards de dollars destiné à soutenir le crédit  : Le G20 et la hiérarchisation du financier international
Le G20 a présenté un programme de 1.100 milliards de dollars destiné à soutenir le crédit. Cependant, aucun plan de relance global coordonné n’est annoncé. Comme dans l’ensemble des politiques économiques nationales, l’objectif n’est pas d’entraîner une relance de la machine économique par une augmentation de la demande des ménages, mais de promouvoir une redistribution des revenus, principalement vers le secteur bancaire. Ce processus s’accompagne d’une hiérarchisation accrue du système financier international. Ce double mouvement est perceptible dans l’étude des « acquis » du sommet. L’essentiel a porté sur « la lutte contre les paradis fiscaux ».  L’action se fonde à partir de 3 listes qui viennent d’être établies par l’OCDE. La première, la liste noire, ne comprend que 4 Etats, tels le Costa Rica et l’Urugay, des pays n’ayant aucun rapport de force au niveau international. La deuxième, la liste grise, qui comprend les pays « ayant des efforts à faire en matière de coopération fiscale » comprend la Suisse et le Luxembourg, mais aussi... la Belgique. La troisième, la liste blanche, celle des pays coopératifs comprend le Royaume-Uni, qui, avec la City, possède un des principaux centres offshore du monde, ainsi que quatre de ses «territoires dépendants»: Jersey, Guernesey, l’Ile de Man et les Iles Vierges. Les Etats-Unis en font évidemment partie et cela sans aucune note désignant les pratiques opaques d’Etats tels que le Delaware ou le Wyoming.
L’offensive s’est focalisée sur le secret bancaire, présenté comme étant le moyen privilégié de l’évasion fiscale. Lors de leur déclaration finale, les pays du G20 ont même affirmé que «l’ère du secret bancaire est terminée».
o Les « trusts »
Cependant, actuellement, la moitié du marché offshore se concentre dans les trusts, des créations juridiques anglo-saxonnes, qui ne nécessitent pas de secret bancaire pour pouvoir se mettre à l’abri du fisc. Ce n’est plus un marché de la discrétion bancaire, mais celui des techniques juridiques en ingénierie fiscale. Ainsi, l’évasion fiscale s’est déplacée progressivement vers ces structures légales. Les trusts sont devenus le principal outil de la soustraction fiscale, le substitut le plus efficace au secret bancaire.
Le trust est un véhicule de droit anglo-saxon, qui permet à une personne fortunée de se dessaisir de sa fortune, afin de ne pas en apparaître comme le propriétaire aux yeux du fisc. S’il est «discrétionnaire et irrévocable», la banque qui ouvre le compte peut ne pas exiger l’identité du bénéficiaire. Une personne qui a constitué un tel trust à l’étranger n’est nullement taxée, car elle n’est plus considérée comme propriétaire de ses biens. Quant au bénéficiaire du trust, qui est en principe imposable, son identité n’est pas exigée lors de l’ouverture du compte.
Les îles de Jersey et Guernesey, toutes deux territoires britanniques, sont des juridictions spécialisées dans la constitution des trusts. C’est également le cas du Delaware et des Caraïbes, qui servent de refuge à l’argent « gris » en provenance des Etats-Unis, ainsi que de Miami, qui accueille aux USA les capitaux latino-américains qui veulent échapper au fisc de leur pays. Singapour, en traitant des fortunes asiatiques ou européennes, a la même fonction.
Les grandes banques suisses se sont également lancées dans le marché des trusts. Elles exigent peu d’informations sur les ayants droit économiques de trusts « discrétionnaires et irrévocables », mais elles conservent l’identité du constituant du trust. Les banques anglo-saxonnes pratiquent un usage encore moins contraignant, en ne retenant que des informations sur le contractant, le « trustee », la société de gestion et d’administration du trust. Ce qui leur permet, dans les faits, d’obtenir une opacité complète de la personne désirant échapper au fisc. Elles arrivent ainsi à une confidentialité encore plus grande, sans secret bancaire au sens formel du terme. Même si, lors d’une enquête déterminée, les législations obligent ces places financières à remettre les informations sur leurs clients, ces dernières ne peuvent fournir des renseignements qu’elles ne disposent pas.
Ainsi, les juridictions anglo-saxonnes disposent d’un avantage substantiel sur la Suisse en cas de disparition du secret bancaire : l’opacité de leurs trusts est plus complète.
o Une hiérarchisation du système financier
La Suisse, l’une des principales places financières mondiales, est la cible principale de ce G20. Il s’agit en fait d’une tentative de réorganisation du système financier international à ses dépends. Les choses sont déjà apparues clairement à travers l’affaire UBS. L’action de l’administration étasunienne contre cette banque helvétique est l’utilisation d’une opération contre l’évasion fiscale de ses nationaux, afin de modifier, à son avantage, les règles de fonctionnement du système bancaire mondial.
Les Etats-Unis et leur satellite des Caraïbes ainsi que les centres offshores sous pavillon britannique,  contrôlent  chacun un marché de l’«argent gris», presque égal à celui de la Suisse. Suite à l’offensive étasunienne, la Suisse, qui détient encore 27% du marché de l’épargne mondiale, gérée hors du pays de résidence, pourrait rapidement abandonner le terrain à ses concurrents principaux : le Royaume-Uni et ses îles Anglo-Normandes, l’île de Man et Dublin qui traitent 24% de ces capitaux, ainsi que New York, Miami, les Caraïbes et Panama qui détiennent 19% des 7300 milliards de dollars placés hors frontières. La moitié de cette somme ne serait pas déclarée.
Suite à la menace d’être inscrite sur la liste des paradis fiscaux de l’OCDE, la Suisse a ouvert une brèche dans son secret bancaire. Elle va abandonner la distinction entre fraude et évasion fiscales et consentir à l’échange de renseignements, au cas par cas, en réponse aux demandes, concrètes et fondées, des administrations fiscales de pays tiers. Le Luxembourg et l’Autriche, les deux derniers membres de l’Union européenne désirant garder leur secret bancaire, ont fait de même. Cependant, il n’a jamais été question, par exemple, d’inclure sur cette liste des Etats américains comme le Delaware dont les LLC (Limited Liabilities Compagnies) sont soustraites à toute forme d’imposition.
Placée dans le contexte de la crise financière, cette opération, sous hégémonie étasunienne, « de lutte contre la fraude fiscale », apparaît bien comme une tentative de la part des Etats de récupérer des capitaux destinés à financer en partie les aides consenties aux banques et aux assurances. Cependant, tous les fraudeurs du fisc ne sont pas appelés à apporter leur contribution, les plus aisés auront toujours la possibilité de faire appel à l’ingénierie fiscale des trusts afin d’échapper à l’impôt. Cette opération de soustraction fiscale leur sera d’autant  facilitée s’ils placent leurs capitaux dans des centres offshores étasuniens ou anglo-saxons, dans des territoires placés sous contrôle direct de la puissance dominante.

* Auteur de La fin de l’Etat de droit. La Dispute.



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