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Depuis quelques jours, le marché mondial du pétrole s’agite au rythme des missiles et des drones. Une hausse de plus de 5% des prix a suffi à rappeler à tous la réalité crue de la dépendance énergétique. Pour un pays comme le Maroc, qui importe entre 80 et 90% de ses besoins en énergie, cette volatilité n’est pas une simple variable macroéconomique, elle est une menace directe à la stabilité sociale et budgétaire du Royaume.
A Rabat, le gouvernement surveille de près les courbes de prix, les flux de tankers dans le détroit d’Ormuz et les mouvements des grandes capitales. L’expert en sécurité énergétique, Rachid Kaouss a résumé la situation avec clarté : «l’impact sur le Maroc ne sera pas immédiat, mais il est inévitable si le conflit persiste. Car même si des réserves ont été achetées à des prix antérieurs à la crise, le temps joue contre les économies vulnérables».
Effet domino à retardement
Le Maroc ne flotte pas hors du monde. Il dépend du bon fonctionnement du commerce mondial de l’énergie, dont un cinquième passe par le détroit d’Ormuz — ce mince goulet maritime contrôlé par l’Iran. Toute menace sur ce passage stratégique, que ce soit par un blocus explicite ou par une insécurité implicite, suffit à semer la panique dans les marchés.
Si l’actuelle confrontation israélo-iranienne se prolonge, le Maroc pourrait subir une double peine : une flambée des coûts d’importation et un affaissement du pouvoir d’achat domestique. Les premières victimes seraient les produits de base — carburants, électricité et alimentation. Un scénario redouté car il réactiverait les tensions inflationnistes déjà observées depuis la pandémie et la guerre en Ukraine.
L’inflation énergétique, explique Rachid Kaouss, agit comme une onde de choc. «Elle augmente le coût du transport, perturbe les chaînes d’approvisionnement, renchérit les biens de consommation, rogne les marges des entreprises et freine l’investissement», précise-t-il. Le résultat? Une croissance bridée, une facture extérieure qui explose, une pression accrue sur les finances publiques. Et au bout de la chaîne, des citoyens étranglés.
Vulnérabilité et dépendance
La crise actuelle met crûment en lumière les failles structurelles de la stratégie énergétique marocaine. Malgré des ambitions affichées dans les énergies renouvelables, le Royaume reste largement tributaire des importations d’hydrocarbures. Une dépendance qui expose ses équilibres à des facteurs échappant à tout contrôle local.
Le gaz naturel, par exemple, qui devait être en partie sécurisé par le gazoduc Maghreb-Europe, souffre aujourd’hui des fantasmes de grandeur d’un régime algérien à la dérive et pour qui l’obsession de nuire à Rabat semble primer sur toute considération économique.
Les alternatives, comme l'importation de GNL via des ports espagnols ou à travers des projets de terminaux flottants, ne sont pas encore pleinement opérationnelles. Quant au pétrole, le Maroc ne dispose plus d’aucune capacité de raffinage depuis la fermeture de la raffinerie Samir, ce qui le rend encore plus vulnérable à la volatilité des marchés internationaux.
Dans ces conditions, toute hausse durable du prix du baril vient alourdir une facture énergétique déjà colossale — estimée à plus de 110 milliards de dirhams en 2023. Et le choc externe se transforme vite en déséquilibre interne: aggravation du déficit commercial, érosion des réserves en devises, fragilisation du dirham et nécessité pour l’État d’intervenir soit par des subventions, soit par des arbitrages budgétaires.
Echiquier géopolitique instable mais encore contenu
Faut-il pour autant céder à la panique ? «Pas encore», estime l’analyste géopolitique Ahmed Chouati. Car jusqu’ici, les protagonistes du conflit ont joué une partition de retenue stratégique. Comme le note notre interlocuteur, «les frappes se sont limitées à des infrastructures secondaires — raffineries, dépôts et installations non critiques. Les terminaux d’exportation, les champs pétroliers majeurs, les grandes artères logistiques restent intacts». Ce n’est pas un hasard : ni Israël, ni l’Iran, ni les grandes puissances comme les États-Unis, la Russie ou la Chine n’ont intérêt à voir l’offre mondiale s’effondrer.
Cette prudence géopolitique vise à éviter le scénario du pire : une contraction réelle de l’offre mondiale de pétrole, avec le retrait brutal d’un à deux millions de barils par jour — ce que représente la production exportable de l’Iran. «Dans une telle hypothèse, les prix s’envoleraient au-delà de 100 dollars le baril, bouleversant l’équilibre des économies importatrices», estime Rachid Kaouss.
«Mais même en cas de choc, certains garde-fous subsistent. L’OPEP+, emmenée par l’Arabie saoudite et les Émirats, dispose de capacités de réserve pouvant atteindre 5 millions de barils/jour. De quoi, en théorie, compenser une défaillance temporaire de l’Iran», explique, pour sa part, Ahmed Chouati. Le vrai danger serait donc une généralisation du conflit, touchant simultanément plusieurs producteurs majeurs.
Options étroites d’une économie exposée
Dans ce climat de tension, le Maroc dispose de peu de leviers immédiats. A court terme, il peut chercher à diversifier ses fournisseurs, à optimiser la logistique de ses importations, ou à renforcer ses stocks stratégiques. Mais tout cela reste des mesures de gestion, non de transformation.
Le vrai défi est structurel. Il tient à la nécessité d’accélérer la transition énergétique. L’éolien et le solaire — où le Maroc a pris une longueur d’avance en Afrique — doivent passer de vitrines technologiques à piliers économiques. Cela implique des investissements massifs dans le stockage, la flexibilité du réseau, l’électrification des usages et, à terme, la production locale d’hydrogène vert. Mais la transition prend du temps. Et le temps presse.
Le nerf de la guerre
La guerre entre Israël et l’Iran n’est pas (encore) une guerre mondiale de l’énergie. Mais elle en réactive toutes les peurs. Pour les économies dépendantes comme le Maroc, elle rappelle une vérité brutale : sans souveraineté énergétique, il n’y a pas d’autonomie économique.
Ce n’est pas seulement une question de prix, mais de sécurité nationale. Car à chaque fois que le baril grimpe, ce sont les équilibres sociaux, les équations budgétaires et la paix intérieure qui vacillent. Le Maroc, comme tant d’autres, navigue en eaux troubles. La seule boussole fiable, c’est l’anticipation. Et l’urgence d’un modèle énergétique enfin performant.
Mehdi Ouassat