Quand Si Mohamed Lemkami épousa Zehor Kahia-Tani à El Jadida


Par Mustapha Jmahri
Mercredi 31 Juillet 2019

Quand Si Mohamed Lemkami épousa Zehor Kahia-Tani à El Jadida
Au temps du Protectorat, la ville d’El Jadida abritait plusieurs familles algériennes dont les parents travaillaient dans l’administration locale installée par le gouvernement français. Il y avait également des familles algériennes dites «réfugiées» qui fuyaient la situation difficile de l’époque dans leur pays. Parmi ces dernières figure celle de Hamdane Kahia-Tani dont la fille Zehor épousa Mohamed Lemkami. Ce dernier deviendra «malgache», ce qui désigne les membres du MALG (ministère de l'Armement et des Liaisons générales), une structure du FLN durant la guerre de libération nationale. Cette structure donna naissance après l’indépendance de l’Algérie  aux services de renseignements et de contre-espionnage connus sous des dénominations successives telles que la Sécurité militaire SM, la DGPS ou le DRS. 
Si Mohamed Lemkami est né en 1932, au village de Khémis de la tribu de Beni Snouss, dans la wilaya de Tlemcen, en Algérie. Son ancêtre paternel est Sidi Ali Belkacem Ouzéroual, affilié à la zaouïa kadiria, enterré à Debdou au Maroc dans la région de l’Oriental.
Il venait d’avoir onze ans quand il a appris le Coran. A l’école, son nouveau maître était Tayeb Khelladi -alias Si Kada- originaire de Tlemcen, un normalien d’Annecy marié à la cousine de sa mère. Il avait enseigné à Aïn Sefra avant de venir à Khémis. C’était l’année scolaire 1944-1945. Cet instituteur allait bientôt être son maître et son sauveur. C’est grâce à lui que Mohamed Lemkami deviendra l’homme qu’il fut.  En mars 1956, le Maroc accédait à l’indépendance après le protectorat. Le retour de Feu Mohammed V ouvrit une nouvelle page à ce pays frère. Si Lemkami profita de cette nouvelle situation pour rechercher ses parents, le long de la frontière, en terre marocaine. Cette opération fut facilitée par la présence dense des réfugiés dans les villages frontaliers. Si Mohamed Lemkami s’installa à Rabat pour une courte durée où il rejoignit ses amis de Maghnia : Fadil Bouayad, commissaire des scouts musulmans algériens, Abderrahmane Ouassini, géomètre au cadastre de Rabat, les frères Mami Daoudi, Haj Benyelles, Mahmoud Sari et bien d’autres.
Pendant trois mois à Rabat, Lemkami va pouvoir trouver un travail pour payer le loyer de l’hôtel et subvenir à ses besoins. Il enseigna dans une école privée appartenant à Si Ahmed Belafrej, ancien ministre des Affaires étrangères du Maroc. Ensuite, il devint inspecteur stagiaire recruté par Léon Benzaken, ministre marocain. Il partagea une chambre avec son ami Bouayad dans un petit hôtel tenu par une Française, Madame Fouquet. Mais il voulait rejoindre l’ALN en Algérie. C’était alors sa dernière semaine au Maroc avant de rejoindre le maquis à nouveau. L’heureuse surprise qui l’attendait était celle de la rencontre de deux jeunes filles d’El Jadida qui lui demandèrent l’adresse du ministère de l’Education nationale. L’une des deux filles qui l’avaient abordé, d’origine algérienne, le connaissait puisqu’elle l’avait appelé par son nom. Ils échangèrent leurs coordonnées, Si Mohamed Lemkami, avant son départ à Oujda, prit son courage à deux mains et se rendit à El Jadida demander la main de Zehor à son père Si Hamdane Kahia-Tani. La famille le reçut chez elle dans la rue Bensimon où elle habitait en tant que réfugiée. 
Si Lemkami rejoignit le maquis laissant, derrière lui à El Jadida, celle qui allait devenir sa future épouse. Comme ses deux frères, Zehor s’activait dans les rangs du FLN. Elle avait deux frères qui avaient rejoint le maquis dont un, Mohamed dit Hammi, responsable du secteur sanitaire, devait tomber à Jebel Louh le 12 janvier 1957, et l’autre, Fethi, a été fait prisonnier les armes à la main dans l’ancien secteur 3. Il sera condamné à mort, puis gracié à l’arrivée du général de  Gaulle. Il connaîtra les principales prisons d’Algérie et s’est éteint en 1990 emporté par une maladie.
Le retour de Si Lemkami de Rabat à Oujda se fit par train. Dès son arrivée, c’est Mohamed Kaou, sur instruction du capitaine Jaber, qui prit en charge sa nouvelle affectation au maquis (avril 1957).  Après la période du maquis, Si Lemkami rejoignit les services des renseignements et liaisons (SRL) à Oujda, à la maison Benyekhlef puis à la base Didouche en Libye (juillet 1960 - février 1961), matrice du MALG. En décembre 1959, Si Merbah, son compagnon au MALG, lui ordonna de se rendre au Maroc sur instruction de Si Boussouf Abdelhafid, alias Si Mabrouk. En fait, c’était pour rencontrer les parents Kahia-Tani qui étaient voisins et amis du Dr Abdelkrim Khatib, lui-même ami de Si Mabrouk, pour concrétiser son union avec sa future épouse Zehor.  Il obtint la permission pour sceller leur mariage autorisé à la condition que la cérémonie se tienne dans la stricte intimité familiale. La cérémonie eut lieu le 31 décembre 1959 en présence de la famille du Dr Abdelkrim Khatib, de la mère de Si Ahmed Benbella, Hajja Fatma, et de la famille Bouchnaki. 
En janvier 1960, Si Lemkami fut officiellement chargé du Service de renseignement du MALG appelé service spécial S4. Il fut l’adjoint pour l’Ouest de Toufik Rouaï dit Haj Barigou. Mohamed Lemkami publia de son vivant une autobiographie intitulée «Les hommes de l’ombre, mémoires d’un officier du MALG». Alors que son épouse Mme Lemkami Zehor Kahia-Tani, ancienne résistante et ayant exercé comme bibliothécaire à la Bibliothèque nationale d’Alger, publia le livre «Tlemcen, allée des sources à Khémis. Vallée des Beni Snous».
Après 57 ans de vie conjugale, Mme Zehor Lemkami a rappelé qu’en dehors de son rôle dans le MALG, Mohamed Lemkami a formé, en exerçant la fonction d’instituteur, bon nombre de cadres qui ont dirigé de grands postes de responsabilité après l’indépendance.  Ses mémoires «Les hommes de l'ombre», livre de 531 pages, présentent le parcours d'un militant nationaliste et d'un officier de renseignements qui allait occuper, après 1962, différentes fonctions. Il fut  ainsi cadre supérieur dans le secteur économique, puis parlementaire et enfin ambassadeur en Albanie. Au début de ses mémoires, Mohamed Lemkami raconte son enfance dans le contexte d'une Algérie sous la colonisation française. Une scolarisation dans des conditions difficiles et où il faut rivaliser avec les petits Français blancs pour prouver que les petits «indigènes» étaient parfois les meilleurs. Si Mohamed Lemkami a été le premier bachelier en 1954 de son village natal. Un itinéraire qui lui permit de croiser d'autres petits Algériens qui deviendront d'illustres personnages plus tard, comme l'écrivain Mohamed Dib et Sid Ahmed Ghozali. Le déclenchement de la guerre de libération l’a surpris, comme beaucoup de militants. Intégré un peu plus tard au sein d'unités combattantes, opérant de part et d'autre de la frontière algéro-marocaine, le parcours de l'auteur croise celui des dirigeants militaires comme Abdelhamid Boussouf, futur patron du MALG, ou encore celui de Houari Boumediene, futur chef d'état-major de l'armée des frontières.
 


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