
Là-bas, l’attention était portée sur les combattants: il s’agissait de retirer la majeure partie des 130.000 soldats de l’Otan d’ici la fin 2014 et trouver 4,1 milliards de dollars (3 milliards d’euros) pour payer les forces afghanes afin qu’elles poursuivent la lutte contre l’insurrection. Mais peu de temps a été consacré aux civils, qui souffrent pourtant le plus du conflit. Dans la seule année 2011, 3.021 d’entre eux sont morts de ses suites, selon l’ONU, contre 3.007 soldats de l’Otan depuis dix ans, d’après un décompte du site i-casualties.org.
D’autres statistiques de l’ONU permettent de comprendre combien la vie est dure en Afghanistan:
Le nombre de «réfugiés internes» atteignait l’an passé 447.000, le niveau le plus élevé depuis l’arrivée de la coalition internationale fin 2001.
Plus de 30.000 Afghans ont demandé l’asile dans un autre pays en 2011, soit une croissance de 25% par rapport à l’exercice précédent, un record là aussi. Et des milliers d’autres tentent de migrer illégalement ailleurs.
Aleema, elle, explique très simplement pourquoi ces chiffres sont si élevés. «Nous n’avons ni nourriture ni maison correcte», observe cette adolescente aux yeux tristes, vêtue de haillons. Et guère plus de certitude de pouvoir rentrer un jour chez elle.
Certains titres de la presse occidentale affirmaient lundi que la fin de 2014 marquerait le «terme de la guerre en Afghanistan». Elle y aboutira assurément pour nombre de soldats de l’Otan. Pour Aleema, en revanche, rien n’est moins sûr.
L’insurrection, menée par les talibans, est loin d’avoir été défaite sur le terrain. Les discussions de paix entre belligérants tâtonnent. Nombre d’acteurs craignent que les combats se poursuivent, voire s’intensifient, après le départ des militaires étrangers.
Pour les voisins d’Aleema, les rebelles ne sont pas les seuls responsables de la situation. «Tous, ils tuent tous des innocents: les talibans, les forces étrangères et les troupes du gouvernement», dénonce Said Gul, 35 ans, originaire du Helmand.
Lui aussi est arrivé à Charhi Qambar il y a quatre ans, avec 18 membres de sa famille. Son avenir et son retour chez lui sont «entre les mains de Dieu», assure-t-il, tout en vendant quelques patates et oignons, alors que des enfants jouent dans la terre et les ordures autour de lui. L’Otan, qui se «rue» hors de l’Afghanistan, «dépeint une situation appropriée pour la transition», observe Nigel Jenkins, de l’ONG américaine IRC. «Cela ne résiste pas vraiment à l’analyse des faits sur le terrain», poursuit-il, ajoutant que les «chiffres» «parlent d’eux-mêmes».
Depuis l’arrivée de la coalition fin 2001, quelque 5,7 millions d’Afghans, qui avaient fui les talibans au Pakistan ou en Iran, sont en outre rentrés chez eux. Nombre d’entre eux vivent dans un dénuement extrême.
La stratégie du Haut commissariat aux réfugiés en Afghanistan depuis 2002 a été «la plus grande erreur jamais faite par le HCR», reconnaissait fin décembre Peter Nicolaus, chef de cette organisation en Afghanistan. Seul l’aspect humanitaire, selon lui, a été pris en compte tandis que le volet économique a été oublié.
Amnesty international qualifie la situation des réfugiés afghans de «crise des droits de l’Homme largement cachée mais terrifiante», en raison notamment d’entraves d’autorités locales à l’aide internationale. «Nous ne pouvous plus rien faire maintenant. Les dés sont jetés», déplore M. Jenkins. Les fonds pour l’aide humanitaire diminuent déjà. Et d’espérer que la conférence de Tokyo sur l’Afghanistan en juillet, consacrée au développement et non aux aspects militaires, pourra inverser la tendance.
Au Japon, Aleema et les siens seront au centre des préoccupations. Mais personne ne s’en inquiétera à Charhi Qambar, où aucun des interlocuteurs de l’AFP n’avait entendu parler de ce sommet.
Comme celui de Chicago, le rendez-vous de Tokyo, entre gratte-ciels et néons, risque de passer inaperçu pour les oubliés afghans.