Pierre Gambier: un gai soleil du printemps marocain


Par Miloudi Belmir
Jeudi 24 Mars 2011

Pierre Gambier: un gai soleil du printemps marocain
Brillant romancier. Dans son contact prolongé avec les Marocains, il recueillit l'inspiration de ses romans, tout en se consacrant à l'étude approfondie des traditions populaires du Maroc
Dans «Dialogue sous les oliviers », il évoqua le charme indéfinissable de ce pays. «En effet, tout est vert ici, le chèvrefeuille en fleur grimpe dans les peupliers blancs et la vigne se mêle aux branches des caroubiers. Plus bas, les tamaris marquent de leurs buissons le passage renouvelé des eaux à la saison des pluies ou de la fonte des neiges ». Dans ce roman, Gambier a décrit certaines mœurs du  Grand Atlas et a consacré sa plume élégante et fine aux joies et aux joliesses des gens de l'Atlas.
Les éléments que Pierre Gambier a réunis au cours de son voyage au Maroc forment une histoire à la fois pittoresque et passionnante. Les descriptions des coutumes, d'où sont originaires les ancêtres de la plupart des Marocains, sont appuyés sur des découvertes et sur des paysages. Son témoignage porte essentiellement sur les autochtones, les colons qui l'ont aidé en se chargeant de certaines documentations. Son roman sur le Maroc abonde en menus détails, regorge de souvenirs  et s'attache au fond des choses.
La génération des années 30-40 admirèrent Pierre Gambier qui, débarquant au Maroc, ne parlait que de ce pays et s'assimila si rapidement le dialecte marocain, que quelques années à peine  écoulées, il écrivait avec succès son roman «Dialogue sous les oliviers ». Le sujet de cet ouvrage n'était point dû à l'imagination de Gambier, il l'avait trouvé dans la réalité des faits. Par ce roman, il  a voulu nous laisser le mérite de sa découverte, nous révéler les secrets de la beauté du Maroc: « Rares sont ceux qui dans notre pays réalisent la gravité de l'époque et j'ai l'impression qu'au Maroc vos vues sont plus larges que celles de nos habitués du café du commerce, institution qui sévit dans tous les cantons de France. Cela est sans doute dû à la rencontre de l'Orient et de l'Occident sur ce glacis qui, en se couchant, ne se perd plus dans les flots ».
En explorant le Maroc, Pierre Gambier nous démontre que l'exploration est essentielle dans toute forme de connaissance, peu importe le pays. Découvrir un pays, un peuple permet de mieux le connaître, mieux le comprendre dans sa trajectoire historique et ses bienfaits de la civilisation: «L'histoire du Maroc qui s'étend sur plusieurs millénaires, est d'une complexité effarante et les apports du dehors sont aussi nombreux dans la montagne que sur la côte. Les invasions se sont heurtées à une population autochtone qui, elle-même, était la fusion d'éléments les plus divers arrivés par les itinéraires les plus variés, des pays les plus reculés, à des époques encore imprécisées ».
Pierre Gambier était certainement un des plus vrais conteurs du Maroc, où l'on fit tant de contes. Il écrivait comment vivait un Marocain : «Les Marocains sachant compter, pourquoi compteraient-ils? Leurs années? Effort inutile. Pourquoi ? disait un de mes amis espagnols. Cette forme de l'interrogatif m'est toujours apparue très vivante sinon académique. Oui, pourquoi-t-il? Quel intérêt vois-tu pour eux à connaître leur âge? Ils ont, comme disent les docteurs, l'âge de leurs artères et possèdent des points de repères dans le temps ».  Et malgré ce goût marocain, Gambier est plus varié dans ses types, plus riche dans ses sujets qu'aucun autre conteur de ce temps. Il est le grand peintre de la singularité marocaine. Il peint avec amour les fameux souks, les plus humbles villages, les forêts  qui longent les vallées, etc. Tous ses personnages, il nous les montre si distinctivement, que nous croyons les voir devant nos yeux et que nous les trouvons plus réels que la réalité même: « Le Maroc est ainsi plein de possibilités, ce qui permet à beaucoup de conclure après un bref séjour que c'est un pays de grand avenir ».
Au Maroc, Pierre Gambier passait son temps à avoir l'art et le loisir, peindre l'image d'un pays. Son imagination était celle d'un peintre. Il écrivait des phrases qui retentissent longtemps, il disait des choses avec une incomparable simplicité: « A cet endroit de la vallée, une falaise de terre domine l'oued Souss, dont le lit, large de deux kilomètres, est occupé par des cultures de maïs. Les oliviers sous lesquels nous sommes arrêtés descendent jusqu'à la berge sud que longe un plan d'eau courante et profonde. Cela me rappelle les bords de la Loire, ce fleuve africain du « vrai pays de France ».
Le «Dialogue sous les oliviers» marque une époque dans la vie de Pierre Gambier. Maroc des années 30-40: Le début d'une carrière qui, au rebours et la plupart des carrières littéraires, ne connut pas de déclin. A cette époque, le roman n'avait pas encore fait les progrès qui l'attendaient dans les années suivantes. Ceux qui l'exerçaient tâtonnaient dans le courant classique. C'étaient de rares romanciers certainement (Claude Farrère, Maurice Laquière, Serge Groussard, Pierre Viré, etc.), et qui faisaient de leur mieux pour montrer aux lecteurs la race marocaine dont le génie éternel par son sentiment de grandeur et de la beauté: «Les gens sont des sédentaires, chaque village a, sinon sa mosquée, du moins son marabout ou son mur de prière pour le jour du sacrifice du mouton. Les communautés y sont organisées avec une hiérarchie à la fois civile, militaire et religieuse».
Ce qui frappe quand on lit ce roman, c'est le beau style. Pierre Gambier était un vrai romancier capable de faire un bon récit. Il savait dire. Ces récits ne manquent pas d'esprit. Il faut considérer aussi que Gambier était plus fidèle à ses doctrines qu'il dit et qu'il croit «Ta notion du génie latin, élargi à la dimension internationale, me donne un peu le vertige. Je te connais assez pour savoir que tu ne risques pas de souffrir d'un complexe de supériorité et peut-être que tes pensées érigées en doctrine auraient plus de succès que  Garry Davis ». Il était romancier à sa manière, romancier avec élégance et avec grâce. « Je ne vivrai sans doute pas assez vieux pour connaître les mystères de l'au-delà auxquels le bond prodigieux de la science moderne donne une nouvelle actualité, mais il ne me déplait pas de penser que peut-être mon évocation sera créatrice d'une onde qui pourrait être interceptée».
Dans son roman, Pierre Gambier dialogue avec son condisciple André Richard qui vient de visiter le Maroc pour la première fois. La première partie s'inscrit sur la toile de fond d'une vie qui débute dans ce pays, une longue route que Gambier a faite en compagnie de grandes figures du siècle, et qui se trouvent dans toutes les pages. La seconde partie s'attache à son voyage d'études au Sud marocain. Dans la troisième partie, il peint l'existence mouvementée d'un Maroc blessé par la colonisation. Il analyse aussi la situation politique et sociale des années 30-40 et donne portrait de son être intellectuel, témoin des mutations d'une époque peu à peu transformée par les révolutions naissantes de la science et de la technologie.
Le «Dialogue sous les oliviers» est un roman captivant. Dans cette  œuvre, Pierre Gambier a essayé d'appliquer une nouvelle vision sur un temps fort éloigné. Cette vision est d'un romancier qui contemple la terre et le ciel. C'est pour cela qu'il goûte au charme du Maroc en amoureux, et comme il l'aime beaucoup, il sait voir mille images des paysages. Il connaît les diverses figures que ce pays nous montre, et il sait que ces portraits, en apparence innombrables, se réduisent réellement à deux, le portait de l'amour et celui de la beauté: « Et voici la  Koutoubia, premier contact avec les grands bâtisseurs Almohades. Laisse-toi conduire aux tombeaux saadiens et va en voiture, à cheval flâner un moment autour des bassins de la Ménara et de l'Agdal. Mais surtout promène-toi pendant des heures dans les souks, ce bazar oriental que je préfère à celui de Damas car je m'y sens beaucoup plus à l'aise. Les gens de Marrakech sont très accueillants ».
Pierre Gambier avait l'âme d'un grand romancier. Il sentait, il portait ce talent, ce souffle. Son roman est d'une beauté innée. Conçu si ardemment, il est écrit avec un soin particulier. On y retrouve la mémoire d'un Maroc dont il ne reste plus que le souvenir, souvenir cher, mais déjà lointain: «Autour de la maison du caïd, véritable palais dont les cours sont des jardins, se groupèrent des boutiques, une cantine et une école. Une petite ville est en train d'éclore en ce lieu dont le nom réel est Ouled Teima, mais que les indigènes nomment couramment « arba arbain »  qui est la traduction de quarante-quatre comme Dar el Beida, nom arabe de Casablanca, n'est que la traduction des mots espagnols Casa blanca, maison blanche, qui, eux-mêmes, ne sont que la déformation de Casa Branca, nom donné par les Portugais en 1515».
Au Maroc, c'était là que Pierre Gambier prenait son premier contact avec le Grand Atlas: «Au loin, pas très loin, quarante kilomètres environ, la fin du Grand Atlas dresse sa barrière qui s'élève rapidement en direction de Taroudant jusqu'à 3.500 mètres d'altitude».  Là commençait le court bonheur de sa vie et venaient les paisibles moments qui lui ont donné le droit d'écrire: « J'avais découvert ce coin au cours d'une partie de chasse de Noël 1929 et d'y planter un jour ma tente, ce que j'ai fait. Non sans peine mais avec enthousiasme». C'était son temps des aventures, son temps des visites touristiques: « En nous  retournant nous pouvons voir nettement la ligne bleue de l'Anti Atlas dont la chaîne elle aussi s'en va vers la mer qu'elle n'atteindra pas. C'est l'écran protecteur des vents du Sud ».
Dans le «Dialogue sous les oliviers», Pierre Gambier a exploré toutes les contrées, il a décrit les tamaris, les buissons, les vallées, les montagnes, les forêts, les routes, etc. Il a étudié les traditions populaires, les anciennes coutumes et la civilisation islamique. On a loué chez lui, outre les connaissances acquises, la facilité et l'émotion qui tiennent le lecteur jusqu'à la dernière page: «L'homme, pour percer le mystère de cet ordre des choses, a besoin du concours de tous les hommes, car il est masqué par des nuées artificielles dès que la pensée veut s'élever au-delà des limites conventionnelles des patries, des empires et des continents ».
Rarement un écrivain est si bien inspiré que lorsqu'il raconte. Pierre Gambier ne nous intéresse pas du tout quand il parle d'un fait courant; mais il nous intéresse dès qu'il touche par ses témoignages qui excitent des souvenirs vivants. Il nous fait tout voir et tout sentir. Il n'écrit point pour des curieux; il écrit pour un lecteur avisé.
Le roman vit encore parce qu'il peint un Maroc dans un écrit informé et précieux. Il est à remarquer aussi que ce roman tout intime est aussi une œuvre littéraire. Son auteur est si bien voué à son art. Il observait et notait jusqu'à sa dernière page. Il n'entendait ni ne voyait que dans la réalité et pour la réalité. Tous ses sentiments, toutes ses idées aboutissent à ce roman.
C’est un roman d'histoire dont il faudrait faire usage, et lui consacrer une étude sérieuse. Il est bien oublié aujourd'hui, mais doit retrouver des lecteurs.  


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