Paralyser le Parlement par simple communiqué administratif ! Il faut le faire !


Libé
Jeudi 12 Juin 2025

La séance des questions orales du lundi 9 juin 2025, prévue comme chaque semaine conformément à l’article 100 de la Constitution, n’a pas eu lieu. Aucun communiqué officiel n’a été publié, aucun éclaircissement n’a été apporté quant à la partie responsable de cette décision : ni la présidence de la Chambre des représentants, ni son bureau, ni la réunion des présidents – pourtant les seules instances habilitées à délibérer et statuer sur le calendrier des séances hebdomadaires, dans le respect des compétences institutionnelles et des équilibres constitutionnels.

Ce précédent inquiétant est survenu à la suite d’une démarche inhabituelle : la Présidence du gouvernement a, par le biais d’un communiqué de presse, décidé de suspendre le travail dans les administrations publiques et les collectivités territoriales le lundi 9 juin 2025, au lendemain du congé de l’Aïd Al-Adha. Pour justifier cette mesure, elle s’est appuyée sur les dispositions de l’article 3 du décret n°2.05.916 du 20 juillet 2005, tel que modifié et complété.

Certes, ce type de décision relève des prérogatives réglementaires du chef du gouvernement, telles que définies par l’article 90 de la Constitution. Toutefois, la controverse qu’elle a suscitée dépasse largement le cadre d’un simple congé administratif. Elle soulève une question de fond, essentielle : celle du respect effectif du principe de séparation des pouvoirs.

Le lundi est, en effet, le jour consacré à la tenue de la séance hebdomadaire des questions orales à la Chambre des représentants. C’est une exigence constitutionnelle, consacrée par l’article 100, qui impose l’organisation d’une séance hebdomadaire dédiée au contrôle de l’action gouvernementale. Elle est également inscrite dans l’article 275 du Règlement intérieur de la Chambre, qui réserve expressément le lundi à cet exercice fondamental.

Par ailleurs, l’article 155 dudit Règlement précise, lui aussi, que les séances plénières doivent se tenir les jours — entendons par là les jours habituels de la semaine — et non ceux où l’administration est mise en congé par décision exceptionnelle de l’Exécutif. Car le Parlement n’est pas une administration publique soumise aux directives du chef du gouvernement. Il s’agit d’un pouvoir législatif indépendant, doté d’une souveraineté organisationnelle interne, garantie tant par la Constitution que par son propre règlement, qui tient lieu de loi organique.

Ce qui est encore plus grave, c’est que ni le président de la Chambre des représentants, ni son bureau, n’ont jugé bon d’informer les députés ou l’opinion publique du sort réservé à la séance du lundi. Cette absence de communication constitue une violation manifeste de la Constitution et des règles élémentaires de fonctionnement parlementaire. Comme si une décision purement administrative émanant de l’Exécutif avait suffi à entraîner l’institution législative dans des « vacances forcées », sans base juridique ni délibération institutionnelle.

Ce qui s’est produit ne peut être considéré comme un simple oubli de programmation. Il s’agit d’un signal préoccupant : une banalisation du non-respect de la séparation des pouvoirs, et une dangereuse complaisance vis-à-vis de la paralysie d’une institution constitutionnelle – sans justification légale, ni même explication politique. Ce qui est encore plus alarmant, c’est que la Chambre des représentants, dans toutes ses composantes, n’a pas su mesurer la gravité de la situation. Aucune réaction officielle n’a été formulée. Aucun sursaut institutionnel n’a permis d’affirmer la dignité et l’indépendance de la représentation nationale.

Sommes-nous en train d’assister à l’établissement d’un nouveau précédent, où il deviendrait acceptable de suspendre les travaux parlementaires par un simple communiqué administratif ?

Les autorisations exceptionnelles délivrées par le chef du gouvernement peuvent-elles désormais neutraliser les dispositions impératives de l’article 100 de la Constitution ?
Où se situe donc l’indépendance de l’institution législative, si ses séances peuvent être annulées sans décision émanant d’elle-même ?

Ces interrogations, lourdes de sens, ne doivent pas occulter une vérité éclatante : il y a bien eu suspension non déclarée des travaux du Parlement, et violation flagrante d’un principe fondamental de notre ordre constitutionnel : la séparation des pouvoirs.


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