Mnangagwa, le “crocodile” autoritaire accroché au pouvoir


Libé
Mardi 29 Août 2023

Sa réputation d'être encore plus autoritaire que Mugabe lui vaut au Zimbabwe le surnom de "crocodile": Emmerson Mnangagwa, accroché au pouvoir, part pour un second mandat à la tête du pays d'Afrique australe.


Orateur terne, le président de 80 ans est sorti samedi victorieux (52,6%) d'un scrutin tendu dont opposition et observateurs internationaux ont dénoncé les irrégularités.


Pendant des mois avant l'élection présidentielle et législative cette semaine, ses détracteurs l'ont accusé de mettre en oeuvre une répression de la dissidence, étouffant le désir de changement d'un pays plongé dans l'hyperinflation et le marasme économique.
"C'est un personnage très répressif et autoritaire", résume Brian Raftopoulos, chercheur politique zimbabwéen.


Partisan d'une ligne dure et poids lourd du parti au pouvoir depuis l'indépendance (Zanu-PF), Mnangagwa avait succédé à la faveur d'un coup d'Etat à l'homme fort Robert Mugabe, écarté en 2017.

La guerre de succession qui l'opposait à Grace Mugabe, épouse du président nonagénaire, s'était soldée pourtant dans un premier temps par son limogeage du poste de vice-président.

Craignant pour sa vie, Mnangagwa fuit au Mozambique.
Son fils, qui l'accompagne, le décrit après un périple nocturne à travers la montagne, assis à un arrêt de bus, costume poussiéreux et chaussures déchirées, avec pour tout bagage une mallette remplie de dollars.

Mais la situation se renverse en quelques semaines: les généraux prennent le pouvoir et désignent Mnangagwa. Le pays assiste au retour triomphal de l'ancien dauphin soutenu par le parti au pouvoir.


L'année suivante, Mnangagwa remporte la présidentielle avec 50,8%. L'opposition conteste les résultats, l'armée tue six manifestants. La justice valide le scrutin.

Cette élection, - opposant déjà Mnangagwa à son jeune rival Nelson Chamisa, aujourd'hui 45 ans - portait les espoirs du pays pour plus de libertés et une reprise économique, rapidement dissipés.


Le pays riche en minerais reste accablé par les pénuries de courant, d'essence, de pain ou de médicaments. Des manifestations contre la vie chère sont violemment réprimées. L'opposition accuse le nouveau régime de surpasser Mugabe en brutalité.


Des lois jugées "liberticides" ont récemment été adoptées. Militants, élus et intellectuels multiplient les séjours en prison. La dernière campagne a été marquée par une répression sans réserve de la dissidence.


Le président accuse les sanctions occidentales contre le Zimbabwe d'empêcher l'économie exsangue de se relever. Washington et l'UE affirmant viser seulement ceux qui sont impliqués dans la corruption et l'abus de droit.


Mnangagwa n'a pas la vision idéologique de Mugabe, estime M. Raftopoulos: "Il s'appuie sur la militarisation et la sécurisation, non sur un message intellectuel fort".

Depuis l'indépendance en 1980, il était un intime de Mugabe. Il a enchaîné les postes clés dans le dispositif d'Etat.


Son mentor se méfie de son ambition et l'écarte un temps, mais il le choisit pour diriger sa campagne en 2008. Mugabe perd le premier tour et Mnangagwa aurait supervisé la vague de violence et d'intimidation qui contraint l'opposition à se retirer du second tour.

Ex-ministre de la Défense notamment, il conserve des liens étroits avec les services de renseignements qu'il a dirigés.


En public, il porte invariablement une écharpe rayée aux couleurs nationales et veut se forger une image d'homme politique abordable.


En campagne en 2018, il échappe de justesse à une explosion qui tue deux personnes. L'année précédente, il avait déjà survécu à la dégustation d'une glace présumée être empoisonnée.


L'octogénaire épais aux cheveux teints se dit chrétien et dit s'abstenir de consommer de l'alcool six mois par an.
Né en 1942, Emmerson Dambudzo ("adversité" en langue shona) Mnangagwa se forme à la guérilla notamment en Chine avant de rejoindre la lutte pour l'indépendance. Arrêté par les Britanniques, pendu par les pieds à un croc de boucher, il assoit sa légende.


Après avoir fait exploser un train, il est arrêté en 1964 et condamné à une peine de mort commuée en prison en raison de son jeune âge.
Après l'indépendance, il est accusé d'être l'architecte des "atrocités de Gukurahundi", dans les années 1980, quand des soldats ont massacré quelque 20.000 civils de la minorité ndébélé pour mater l'opposition dans l'ouest du pays.

 


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