Mawazine et la démocratisation de la culture : Une étrange inégalité de traitement

Jeudi 27 Mai 2010

Mawazine et la démocratisation de la culture : Une étrange inégalité de traitement
C’est un festival hors normes. Un festival qui voit tout en grand, en très grand, version XXL. Les sons et lumières de  Mawazine se  sont installés, depuis le 21 mai, à Rabat. Les méga-scènes ont investi les différents sites du festival, et les rythmes du monde se propagent au fil des espaces de la capitale. Après s’être mise au vert, Rabat se déhanche, fredonne, passe des nuits blanches. « La visibilité mondiale de Rabat  va exploser », prédisait lundi 24 mai sur les colonnes de l’Economiste la DG de Maroc-Cultures, l’association organisatrice de Mawazine.
De la plage de Salé, à l’OLM en passant par Hay Ryiad, Hay Nahda ou encore Yacoub Al Mansour et Chellah, il n’y a plus qu’un seul mot d’ordre, la fête. Même les télévisions publiques battent la mesure, à l’unisson et au même moment ne donnant pas d’autre choix au citoyen cathodique que de voir les concerts de Mawazine. Faire la fête à tout prix : les sirènes de l’unanimisme n’en finissent pas de fredonner à l’oreille. Mardi soir, Al Oula et 2M ont diffusé en direct, dès 21H30, le concert du rappeur marocain Don Bigg et Omar Sosa qui se produisaient dans le quartier populaire de Yacoub Al Mansour et de la chanteuse orientale Myriam Fares, en direct de l’espace Nahda. «Avec Mawazine, la programmation des télévisions publiques s’adaptent, arrivent à diffuser des concerts en direct. Ce qui ne se fait pas avec les autres festivals. L’égalité de traitement de tous les festivals de qualité  qui s’organisent dans ce pays –et il y en a- se pose aujourd’hui avec force. Pour quelles raisons ce qui est valable pour Mawazine ne l’est pas pour d’autres ? Pourquoi a-t-on ce sentiment que les télévisions ne sont plus autonomes dès qu’il s’agit du festival de Rabat ? », s’interroge avec amertume cet organisateur de festival.
Force est de le reconnaître, Mawazine participe à la démocratisation de la culture, l’accès du plus grand nombre aux concerts de stars internationales qui parfois débutent leur tournée mondiale à Rabat. Ce faisant, Maroc-Cultures contribue, alimente, propage une culture insidieuse de l’inégalité. Peut-être sans le savoir, peut-être sans le vouloir.  Les organisateurs de tous les autres festivals qui fleurissent un peu partout à travers le pays le savent : Mawazine est hors concours, hors catégorie. « Le péché est en fait originel. Il est né avec Mawazine, avant même la création de l’Association Maroc-Cultures. Au commencement, on a dit que c’était le festival du Palais. Et là tout le monde a voulu comprendre que Mawazine devait avoir droit à un traitement à part. L’enfer est bien souvent pavé de bonnes intentions », soupire cet homme de culture. « Est-ce dû à la personnalité de Mounir Majidi ? » se demande encore  notre interlocuteur.
Dans les terres arides des Rhamna, un autre homme fort du régime organise son festival. A Ben Guerir, Awtar est profondément lié à Fouad Ali Himma. Et aujourd’hui les organisateurs de ce festival dédié au patrimoine musical marocain vont jusqu’à se plaindre d’un F. Ali Himma faisant profil bas et n’usant pas de son influence pour que « Awtar » ait aussi droit à quelques privilèges cathodiques…
Pas question de faire de l’ombre aux autres
Mawazine voit grand. Et a les moyens de le faire. Le festival a ses propres entreprises : scènes, chapiteaux, communication. La billetterie est à l’image et à la démesure de Mawazine. Des cartes Gold à 10.000 dhs, les « black », à 20.000 dhs et des loges privatives sur certaines scènes, notamment celle de l’OLM,  au prix de 350.000 dhs. Les grandes entreprises de chez nous et autres holding internationaux ayant pignon sur rue au Maroc en sont, paraît-il,  clients et voient en Mawazine, selon la directrice générale de Maroc-Cultures, citée par l’Economiste, « une plateforme incontournable pour mener leur communication et leurs relations publiques ».
Chacun y trouve son compte. Et  ceux et celles de Maroc-Cultures s’enorgueillissent : Mawazine est désormais un modèle économique. « Mais ce festival aurait-il pu créer son propre modèle économique comme l’affirme l’Association Maroc-Cultures si dès sa naissance les fées ne s’étaient pas penchées sur son berceau ? » se demande avec perfidie ce spécialiste de la chose culturelle.
Pas question pourtant de faire un mauvais procès à Mawazine, ce festival qui s’est taillé une solide réputation à l’international et joue désormais dans la cour des grands. Le festival de Rabat est aussi et surtout un rempart dans l’obscurantisme et toutes les formes de conservatismes. Sur les scènes de cette manifestation artistique s’affiche grandeur nature le projet de société qui est celui du Maroc : ouverture, tolérance, liberté…Les polémiques vaines, stériles et profondément intolérantes car puisées dans la haine de l’Autre  en témoignent largement. Mawazine dérange les islamistes du PJD.  « Mais attention, Mawazine est loin de s’inscrire dans une politique culturelle qui ferait des festivals de vrais instruments de la démocratie. Puisque ces derniers ne jouissent pas des mêmes droits», commente cet habitué des festivals d’ici et d’ailleurs.
Face à une inégalité de traitement qui fait de plus en plus de mécontents, des initiateurs de festivals n’ont pourtant pas de crainte. Non, assurent-ils main sur le cœur, Mawazine ne fait pas d’ombre ni aux Gnawas d’Essaouira, ni aux musiques sacrées de Fès ni aux Alizées de la musique classique. «  Mawazine est sûrement un grand, un immense festival mais ce n’est pas encore un festival qui a du sens. On ramène des stars internationales, des têtes d’affiche sans lien entre elles. Côté marocain, tous les artistes sont de la fête, histoire de plaire à tout le monde ».

Narjis Rerhaye

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