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La création des groupements sanitaires territoriaux (GST), prévue par la loi-cadre 06.22, est présentée comme la clé de voûte du nouveau système national de santé. Le choix de la région Tanger–Tétouan–Al Hoceima pour l’expérience pilote n’est pas anodin : il traduit une ambition politique claire, celle de démontrer que le Maroc est capable de territorialiser la gestion sanitaire et de concrétiser la promesse d’Etat social formulée par SM le Roi Mohammed VI.
Mais ce pari comporte de sérieux risques. Cette région, vitrine de modernité urbaine mais aussi territoire marqué par un fort enclavement rural, dispose d’un hôpital universitaire encore récent et reste confrontée à de vastes zones dépourvues de spécialistes. Elle devient ainsi un laboratoire révélateur des fractures sociales et territoriales. La réussite ou l’échec de ce projet pilote pèsera directement sur la crédibilité de la réforme et sur la confiance des citoyens envers les institutions.
Derrière le discours officiel aux accents modernistes, une réalité plus sombre s’impose : le citoyen ne cache plus sa colère face à un système de santé publique à bout de souffle. Files d’attente interminables, pénuries chroniques de médecins généralistes, d’anesthésistes ou de pédiatres, manque de médicaments essentiels et infrastructures vétustes rythment désormais le quotidien des hôpitaux. Dans les zones rurales, accéder aux soins relève d’un véritable parcours du combattant. A cette crise structurelle s’ajoute une fuite continue des compétences vers le secteur privé ou l’étranger, accentuant la désertification médicale des établissements publics et trahissant une crise de confiance des professionnels eux-mêmes.
Dès lors, une question cruciale s’impose: les GST constitueront-ils réellement le levier d’un renouveau de la santé publique, apportant équité, proximité et efficacité? Ou bien ne seront-ils qu’une promesse supplémentaire non tenue, risquant de creuser davantage la fracture entre l’État et des citoyens déjà éprouvés par les défaillances d’un système en crise ?
2. La gouvernance: une décentralisation encore théorique
A quelques jours du lancement du premier GST dans la région Tanger–Tétouan–Al Hoceima, le contraste est saisissant. D’un côté, l’Etat présente la réforme comme un tournant historique censé réconcilier le citoyen avec le système de santé et répondre à l’exigence d’égalité territoriale. De l’autre, la rue gronde : manifestations, sit-in et cris d’alerte se multiplient devant les hôpitaux, traduisant une colère sociale profonde.
Les causes de cette exaspération sont multiples: pénurie criante de personnel, urgences saturées, équipements défectueux, médicaments introuvables. Les récents événements d’Agadir, largement relayés sur les réseaux sociaux, en donnent une illustration frappante: des patients abandonnés dans des couloirs bondés, des familles privées de soins faute de médecins ou de traitements. Ces scènes traduisent une fracture entre le discours officiel et la réalité vécue par les citoyens.
En théorie, les GST visent à décentraliser la gestion sanitaire en regroupant hôpitaux, centres de santé et collectivités locales. Les conseils territoriaux devraient planifier, coordonner et rapprocher les décisions du terrain. Mais dans la pratique, la gouvernance reste fortement centralisée: autonomie régionale limitée, absence de mécanismes d’évaluation indépendants, faible implication des élus locaux et des citoyens. Ce décalage entre l’esprit de la réforme et sa mise en œuvre concrète nourrit le scepticisme. Sans un véritable partage des responsabilités et une gouvernance participative, les GST risquent d'être réduits à une sorte de réforme administrative, incapable de transformer la réalité sanitaire.
3. Ressources humaines : le talon d’Achille de la réforme
La crise des ressources humaines demeure la faille structurelle du système de santé et le principal défi des GST. Le Maroc ne compte qu’environ 32.000 médecins pour 37 millions d’habitants, soit un ratio d’un pour 1.700, bien loin de la norme de l’OMS fixée à un pour 1.000. Cette pénurie est aggravée par une véritable hémorragie médicale: chaque année, près de 600 médecins émigrent, soit environ 30% des promotions formées.
La situation est tout aussi préoccupante du côté infirmier, avec un ratio inférieur à un pour treize lits hospitaliers. Résultat: surcharge de travail, épuisement professionnel et baisse de la qualité des soins.
Pour inverser cette tendance, un simple ajustement ne suffit plus. Il faut un plan national de recrutement massif, soutenu par des incitations régionales fortes (logement, primes, perspectives de carrière) pour stabiliser les praticiens dans les territoires sous-dotés. A cela devrait s’ajouter la création d’un service médical national, inspiré de modèles étrangers, garantissant une présence obligatoire dans les régions les plus défavorisées. Sans ces mesures structurelles, les GST resteront des coquilles vides, incapables d’assurer une couverture sanitaire équitable et de répondre aux attentes légitimes de la population.
4. Un financement loin des standards internationaux
La couverture médicale universelle constitue l’un des chantiers les plus ambitieux de la réforme. Présentée comme une avancée historique vers l’égalité d’accès aux soins, elle révèle pourtant un décalage inquiétant entre ambitions et moyens. Le budget de la santé plafonne à 6% du budget national, contre 9% en Espagne et 11% en France. Rapportées à la population, les dépenses de santé par habitant ne dépassent pas 2000 DH par an, contre 4000 DH en Tunisie et plus de 3 0000 DH en France.
Faute de ressources suffisantes, la couverture médicale universelle risque donc d’être perçue comme une simple vitrine institutionnelle, sans impact concret sur la vie quotidienne des Marocains. Avoir une carte d’assurance maladie ne sert à rien si l’hôpital manque de médecins, de médicaments ou d’équipements. Le financement de la santé doit être considéré non comme une charge, mais comme un investissement stratégique, indispensable pour améliorer la productivité nationale, réduire les inégalités sociales et renforcer la confiance citoyenne dans l’Etat.
5. Le médicament : une injustice sociale persistante
Le coût élevé des traitements au Maorc imapctera inéluctablement la mise en œuvre des GST. Avons-nous besoin de rappeler que les prix des médicaments qui y sont appliqués figurent parmi les plus élevés de la région MENA, rendant de nombreux traitements inaccessibles à une large partie de la population. Les ruptures fréquentes d’insuline, d’antibiotiques et de traitements anticancéreux, aggravent, quant à ells, la détresse des patients atteints de maladies chroniques.
Cette situation est accentuée par l’absence d’une politique forte de promotion du médicament générique, qui reste limité et mal valorisé. Les GST ne pourront réussir qu’à travers une réforme profonde du secteur pharmaceutique: contrôle des prix, développement de la production locale et régulation stricte de la distribution. Sans cela, la réforme restera inachevée et les inégalités d’accès continueront de se creuser.
6. Colère populaire et mobilisation professionnelle
La colère des citoyens rejoint aujourd’hui la mobilisation des professionnels de santé. Le 27 septembre 2025, l’ISPITS de Tétouan accueillera le congrès constitutif du bureau régional du GST, organisé par le Syndicat national de la santé publique, membre constitutif de la Fédération démocratique du travail (FDT). Placée sous le slogan « Pour une vision unifiée de la reconstruction du système de santé et la protection des acquis », cette rencontre vise à construire un front syndical militant pour défendre le droit à la santé et améliorer les conditions de travail.
Cette convergence entre colère populaire et mobilisation syndicale illustre une vérité simple : sans l’implication active des praticiens et des citoyens, la réforme restera lettre morte.
Conclusion: promesse d’un Etat social ou illusion d’Etat ?
L’expérience pilote des GST à Tanger–Tétouan–Al Hoceima est bien plus qu’une réforme technique : c’est un test politique décisif. L’article 31 de la Constitution garantit le droit à la santé, et son non-respect équivaudrait à une rupture du contrat social.
Entre la rue qui gronde et les syndicats qui proposent, l’Etat est placé face à une responsabilité historique : soit transformer les GST en véritable levier de justice sociale et territoriale, soit les réduire à une vitrine creuse, aggravant la crise de confiance entre citoyens et institutions.
Le Maroc est aujourd’hui à la croisée des chemins. Réussir ce chantier, c’est donner corps à l’idéal d’Etat social et rendre effectif le droit à la santé pour tous. Echouer, c’est laisser s’installer une nouvelle illusion institutionnelle, où la carte d’assurance maladie existe, mais pas le médecin, pas le médicament, et pas le soin garanti par la Constitution. Plus qu’une réforme, les GST représentent un moment de vérité pour la santé publique et pour la crédibilité même de l’Etat social.
Par Mohamed Assouali
Secrétaire provincial de l’USFP à Tétouan