Le gouvernement Bayrou cherche à faire du neuf avec du vieux


Hassan Bentaleb
Samedi 1 Mars 2025

Le gouvernement Bayrou cherche à faire du neuf avec du vieux
Le gouvernement Bayrou veut plus de restrictions dans la délivrance des visas. Il estime que « la France est le pays d'Europe qui a délivré le plus de visas en 2024, avec 2,8 millions accordés ». Par conséquent, il a demandé un "audit interministériel" sur la "politique de délivrance des visas" par la France aux inspections générales de la police et des affaires étrangères. Délivrance qui "tiendra compte de la qualité de la coopération migratoire des pays d'origine".

Par ailleurs, le ministre des Affaires étrangères a proposé que les délivrances de visas soient réduites "par tous les pays européens en même temps". "Si un pays ne coopère pas avec les autorités françaises, je vais proposer que tous les pays européens en même temps puissent restreindre leur délivrance de visas", a affirmé Jean-Noël Barrot sur la chaîne France 2, quelques heures avant la réunion interministérielle de mercredi.

À l'inverse, il a suggéré que l'Union européenne baisse les droits de douanes pour les pays avec qui la coopération pour la reprise de leurs ressortissants s'améliore. "C'est un levier qui est particulièrement puissant", selon le ministre.
 
Interrogation
 
Toutefois, une question s’impose : Pourquoi recourir à une mesure qui a déjà démontré ses limites ? En effet, deux rapports issus de deux institutions étatiques françaises ont affirmé   et sans détour que « la politique de restriction des visas déjà utilisée par la France contre le Maroc, l’Algérie et la Tunisie suite aux difficultés rencontrées par Paris pour renvoyer dans leurs pays les ressortissants maghrébins faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire s’est révélée inefficace et a montré ses failles ».

En effet, un récent rapport parlementaire français a assuré que ladite politique « n’a pas eu l’effet escompté. Pis, elle a eu comme effet pervers des suspensions de coopération consulaire et d’aggraver les blocages ». En précisant qu’« une politique migratoire basée sur des représailles diplomatiques s’avère peu viable à long terme ».

En détail, ledit rapport explique que « malgré le nombre élevé d’OQTF, les résultats concrets restent faibles. En 2023, seuls 7,6% des migrants en séjour irrégulier visés par une OQTF ont effectivement quitté le territoire français, contre une moyenne de 19% dans l’Union européenne.
 
Blocages
 
Les blocages consulaires jouent un rôle central dans cette situation, indiquent les rédacteurs dudit document qui révèle que « 96% des annulations d’éloignement sont dues au refus de délivrance de laissez-passer consulaires, nécessaires pour renvoyer les clandestins dans leur pays d’origine. Les pays du Maghreb, particulièrement l’Algérie, figurent parmi les principaux obstacles. Les tensions diplomatiques, exacerbées par des désaccords, compliquent encore davantage la coopération ».

Selon certains observateurs, la coopération consulaire, lorsqu’elle existe, est souvent sporadique et insuffisante pour atteindre les objectifs fixés par la France. Par ailleurs, les refus massifs de laissez-passer traduisent une résistance systématique des pays du Maghreb, qui rejettent les méthodes perçues comme coercitives.

Outre les blocages consulaires, plusieurs autres facteurs entravent les éloignements forcés, ajoute le rapport qui cite « les contraintes du trafic aérien international, notamment avec des pays en conflit ou en crise ; l’impossibilité physique d’éloignement forcé, incluant des actes d’automutilation ou des refus d’embarquer ; les situations géopolitiques instables dans certains pays comme la Syrie, la Libye, l’Afghanistan ou encore le Mali qui refusent toute réadmission ou sont inaccessibles en raison de l’insécurité ; la pression juridique et administrative des recours et protections légales complexes qui prolongent les délais et réduisent l’exécution des OQTF.
 
Inefficacité
 
De son côté, un rapport de la Cour des comptes sur la politique de lutte contre l'immigration irrégulière, publié en 2024, a conclu que  « les mesures de restriction de visas, mises en œuvre par le gouvernement français entre septembre 2021 et décembre 2022, en réponse au soi-disant « manque de coopération» des pays du Maghreb, concernant la réadmission des migrants irréguliers, ont été d’une efficacité en demi-teinte, voire peu opérantes ». 

Selon le document de la Cour des comptes, les facteurs expliquant l’inefficacité desdites mesures de restriction de visas se résument dans le fait qu’elles sont établies « sans activation pour autant du dispositif européen ». En fait, la France a fixé « non pas un quota de visas à délivrer, mais une cible de taux de refus. Ainsi, les consulats français en Algérie, au Maroc et en Tunisie avaient pour consigne de refuser 50% des demandes de visas ».

La même source précise que cette politique «a été décidée unilatéralement par la France et peu préparée ». Ainsi, explique le document en question, il n’a pas toujours été possible pour les consulats d’atteindre ces cibles de taux de refus car cela pouvait nuire aux politiques d’attractivité vis-à-vis de publics spécifiques (médecins, entrepreneurs, étudiants, etc.). « Leur capacité à prononcer un refus est encadrée par le droit européen. De plus, cette mesure a dégradé la relation avec ces trois pays sans que ceux-ci n’acceptent pour autant de réadmettre davantage de leurs ressortissants. Ce sont finalement d’autres initiatives diplomatiques qui ont permis de relancer les éloignements, même s’il est possible que l’activation du levier visa-réadmission ait contribué à ce résultat », indique le rapport.

A noter, cependant, que la Cour des comptes affirme que même l’activation du levier européen apparaît décevante à ce stade en révélant que sur les deux premières années, seule la Gambie a fait l’objet de l’activation du mécanisme par le Conseil de l’UE. Toutefois, la menace de son activation a d’ores et déjà permis de fluidifier les retours vers certains pays (Sénégal en décembre 2022, Irak en juin 2023).

Le rapport révèle que la création d’un levier commercial est également en cours de négociation au sein de l’Union européenne, avec le soutien de la France. « Il permettrait de restreindre les facilités tarifaires à l’importation de certains pays qui ne se montreraient pas suffisamment coopératifs en matière de réadmission. Sa mise en place n’est pas certaine, du fait de l’opposition d’une partie des Etats-membres ».
 
Défaillances
 
 Sur un autre registre, le document de la Cour des comptes constate plusieurs défaillances liées à l’administration française.  « Dans ce contexte de relations parfois difficiles avec les Etats tiers, l’administration française est insuffisamment coordonnée pour optimiser ses demandes de laissez-passer consulaires. En effet, ses recherches reposent à titre principal sur les préfectures de département. Pour chaque éloignement, elles doivent contacter le consulat compétent, dont la majorité se trouve uniquement à Paris, voire à Londres pour certains pays qui n’ont pas de consulat en France. De plus, de nombreuses préfectures ont des activités d’éloignement limitées, si bien qu’elles manquent d’expertise », explique le rapport. Et de poursuivre : « Les demandes sont souvent suivies directement par les préfets de département, pour garantir un niveau suffisant de représentation, ce qui s’avère chronophage pour eux. Les consulats ont donc des centaines d’interlocuteurs différents, ce qui engendre parfois des tensions ou des maladresses d’après le Quai d’Orsay.

En cas de difficultés réitérées dans les relations avec les consulats ou en cas d’éloignement particulièrement signalé, les préfectures saisissent la direction générale des étrangers en France, qui elle-même saisit le cabinet du ministre de l’Intérieur, pour que ce dernier sollicite le cabinet du ministre des Affaires étrangères ».
 
Podium
 
A rappeler qu’en 2022, les Algériens se trouvaient en deuxième position avec 1876 cas, tandis que les Marocains et les Tunisiens occupaient respectivement les 5e et 6e places avec 980 et 785 cas. Une dynamique similaire a été observée en 2021 et en 2018, où les ressortissants de ces trois pays étaient régulièrement classés parmi les nationalités les plus éloignées. L’Algérie enregistre une hausse significative de +148,8% en 2022 par rapport à l’année précédente, retrouvant ainsi son niveau de 2018. Cette augmentation est directement liée au renforcement de la coopération consulaire entre Alger et Paris.

Malgré des variations ponctuelles, la liste des dix principales nationalités concernées par les mesures d’éloignement demeure remarquablement stable sur les trois années étudiées (2018, 2021, 2022). On y retrouve des nationalités non seulement maghrébines, mais aussi albanaise, roumaine, géorgienne, soudanaise et afghane, témoignant de l’hétérogénéité des flux migratoires. En 2022, des nationalités ivoirienne et pakistanaise ont fait leur entrée dans cette liste, remplaçant la Moldavie et le Mali.

Hassan Bentaleb 


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