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Ce paradoxe apparent – une amélioration par rapport à l’an passé mais une détérioration fulgurante en temps réel – illustre parfaitement la vulnérabilité du système hydrique national. Le Royaume n’est pas seulement confronté à un problème conjoncturel lié à un été caniculaire. Il est prisonnier d’une spirale où la demande croissante, alimentée par l’urbanisation, le tourisme et l’agriculture intensive, vient buter sur une offre contrainte par la faiblesse des précipitations, l’évaporation massive et l’envasement persistant des barrages.
Ce scénario n’est pas inédit, mais il prend désormais une dimension critique. Car si les réservoirs nationaux affichent un volume stocké de 5,7 milliards de mètres cubes, soit 12,1% de moins qu’il y a seulement deux mois, c’est l’équilibre structurel entre apports et déversements qui inquiète le plus. Au 23 août, les apports cumulés ne dépassaient pas 3,59 millions de mètres cubes, tandis que les déversements atteignaient plus du double, à 8,07 millions. Autrement dit, le pays consomme deux fois plus qu’il ne reçoit, accentuant un déséquilibre qui ne peut que fragiliser l’avenir.
La géographie accentue les disparités et révèle les failles. Le bassin de l'Oum Errabiâ, jadis colonne vertébrale hydraulique du pays, affiche un taux de remplissage dérisoire de 10%, une situation qui met en péril non seulement l’agriculture irriguée de la plaine de Tadla, mais aussi l’approvisionnement en eau potable de villes stratégiques. Le Moulouya, le Souss-Massa et Drâa-Oued Noun suivent la même pente descendante, avec des taux inférieurs à 30%. Même les bassins historiquement mieux lotis comme le Sebou et le Loukkos montrent des signes d’essoufflement. Seul le Bouregreg résiste, avec plus de 63% de remplissage, mais cette exception, concentrée autour de Rabat et Casablanca, ne suffit pas à masquer la fragilité de l’ensemble.
Ce que révèlent ces chiffres, au-delà de la sécheresse actuelle, c’est un modèle de gestion ayant atteint ses limites. Le Maroc a longtemps misé sur les grands barrages comme pilier central de sa politique hydraulique. Mais l’envasement réduit progressivement leur capacité réelle, tandis que l’irrégularité des pluies rend leurs apports de plus en plus aléatoires. La stratégie nationale de l’eau, qui mise sur le dessalement, la réutilisation des eaux usées et la sensibilisation à l’économie d’eau, avance, mais à un rythme trop lent par rapport à l’accélération des pressions climatiques et démographiques.
L’urgence aujourd’hui ne réside pas seulement dans l’anticipation de la prochaine campagne agricole, déjà menacée par un déficit pluviométrique probable, mais dans la redéfinition des priorités. Le pays ne peut plus se contenter de réagir par à-coups en période de crise. Il doit réinventer son rapport à l’eau, en faisant de sa rareté une donnée structurante de tout modèle de développement. Cela suppose de revoir l’arbitrage entre agriculture d’exportation fortement consommatrice en eau et besoins domestiques vitaux, d’accélérer les investissements dans le dessalement, mais aussi de traiter la question sensible de la gouvernance locale des ressources hydriques.
Le spectre d’un Maroc en stress hydrique permanent n’est plus une hypothèse lointaine, c’est une réalité qui se dessine déjà dans certaines régions. Les coupures d’eau estivales, encore sporadiques, pourraient se généraliser dans un futur proche si la tendance actuelle se poursuit. Les choix politiques et économiques qui seront faits dans les prochaines années pèseront lourdement sur la capacité du pays à garantir une sécurité hydrique minimale à ses citoyens.
Il faut enfin souligner que cette crise n’est pas uniquement une affaire de chiffres, mais un enjeu social et territorial majeur. Derrière chaque baisse de niveau d’un barrage, ce sont des agriculteurs qui réduisent leurs surfaces cultivées, des ménages qui s’inquiètent pour l’accès à l’eau potable, des villes qui revoient leurs projets d’expansion, des industries qui calculent leur rentabilité future. L’eau devient un facteur de stabilité ou d’instabilité, et dans un pays déjà traversé par des inégalités territoriales, la fracture hydrique risque d’aggraver d’autres fractures.
A l’heure où la communauté internationale s’interroge sur l’adaptation au changement climatique, le Maroc se trouve à un carrefour décisif. Les chiffres de l’été 2025 doivent servir de signal d’alarme, non pas pour s’alarmer vainement, mais pour accélérer les réformes, réinventer la gestion et préparer une transition hydrique à la hauteur des défis. Car dans ce domaine plus qu’ailleurs, attendre, c’est déjà perdre.
Mehdi Ouassat